ACTUELLE: Une exception française?

von Désiré Mourvèdre, 15.09.2010, Veröffentlicht in Archipel 185

Avec le désormais célèbre « », Nicolas Sarkozy a-il ouvert la boîte de Pandore? En effet, une pensée que l’on pouvait croire réservée à l’extrême droite ou aux défoulements de cafés du commerce devient désormais un programme de gouvernement et parole politique issue des plus hautes sphères de l’Etat. La chasse aux Roms est devenue un événement médiatique, une pratique courante et publique que chacun peut commenter à souhait.

Le gouvernement français tente désespérément de créer des contre-feux. Empêtré dans les affaires, dans son impossibilité à résoudre les conflits sociaux et pris à son propre piège d’une gouvernance faite d’effets d’annonce perpétuels, Nicolas Sarkozy pense reprendre la main à coups de dérives xénophobes.
Même si le président français a choisi l’attitude sécuritaire comme devoir de vacances, le choix d’utiliser les Roms comme boucs émissaires et leur stigmatisation systématique n’est pas une exception française. Le gouvernement ne fait que reprendre la recette de son homologue italien. En effet, dès fin 2007, Romano Prodi alors président du conseil de centre gauche, décidait d’une législation d’exception visant à faciliter l’expulsion de citoyens roumains. Ce décret-loi voté le 31 octobre 2007 rendant plus aisée l’expulsion de ressortissants communautaires et surtout destinée à faire le ménage dans l’importante communauté roumaine, concernait à mots à peine voilés les milliers de Roms séjournant en Italie. Cette directive hors des clous des conventions européennes fut appliquée sans vergogne malgré les mises en garde sans suite de la Commission et du Parlement Européen. Ainsi le gouvernement Prodi inaugurait la pratique désormais appliquée en France des expulsions collectives de ressortissants européens. Quant aux partis de gauche français ou autres, ils se gardèrent bien de contredire un des leurs. A l’époque, le préfet de Rome déclara aux médias: «face à des bêtes, on ne peut agir qu’avec la plus grande sévérité». Sylvio Berlusconi se frotta les mains, et utilisa évidemment l’offensive anti-Roms pour mener sa campagne électorale.
Les Roms sont la cible idéale, en particulier depuis que les changements politiques à l’Est de l’Europe les contraignent à l’exil.
Pendant la seconde guerre mondiale, les nazis exterminèrent environ 400.000 tziganes dans les camps, génocide qui à ce jour n’a eu droit à aucune reconnaissance officielle; aucune reconnaissance de dette non plus pour leur engagement résistant. Les mesures d’extermination mises en œuvre par le régime hitlérien contre les Roms, éternels oubliés de l’histoire, ne soulevèrent aucun état d’âme particulier.
Le régime stalinien et ses émules ne persécutèrent pas les Roms outre mesure. Bien que le régime de Ceausescu n’eut de cesse de vanter la supériorité de la race Dace, les Roms, pauvres parmi les pauvres ont pu alors fréquenter les écoles, s’établir dans les villages, travailler la terre ou devenir ouvriers agricoles.
La fin du règne de Ceausescu sera synonyme du retour en force de la haine raciale publique. Présentés par les tenants du nouveau pouvoir comme responsables de la dégradation et de la précarisation des conditions de vie qui marqua l’adhésion au capitalisme ravageur, les Roms subirent des violences extrêmes. Dans cette atmosphère de haine raciale, une véritable campagne de pogroms de grande envergure se développa à travers tout le pays, maisons de villages incendiées, assassinats, lynchages. Cette flambée de violence tolérée par le nouveau gouvernement passa totalement inaperçue.
Un rapport de la Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance, rendu public le 23 avril 2002, parle «d’apaisement» à propos des affrontements violents qui se sont produits dans les années 1990 entre groupes majoritaires et minoritaires de la population, notamment avec la communauté rom.
Il serait trop long de citer la liste des discriminations que subissent quotidiennement les Roms roumains: violences policières, ségrégation dans les écoles, discrimination à l’embauche, à l’accès aux soins, à certaines aides sociales. Sans parler des slogans assénés par les partis nationalistes et d’extrême droite roumaine tel que le Parti Romania Mare dont les affiches proclament «mort aux Tziganes» ou «les Roms hors de Roumanie».
En Bulgarie, le Parti nationaliste Ataka est présent au second tour de l’élection présidentielle du 22 octobre 2006 avec 21,5% des suffrages après avoir appelé à «transformer les Tziganes en savon».
Evidemment, la Roumanie n’a pas l’apanage de la , , en Hongrie, en Ukraine, en Tchéquie, en Scandinavie, le même phénomène de rejet se reproduit éternellement. L’Allemagne a entamé en avril dernier l’expulsion de 12.000 Roms vers le Kosovo, le gouvernement suédois souhaite punir la «mendicité en groupe» par l’expulsion et l’interdiction de séjour pendant trois ans.
On le voit, Nicolas Sarkozy est loin d’être original: il est emblématique, caricature de dirigeant européen démontrant l’incapacité de l’Etat à trouver des solutions viables à une situation générale de plus en plus dure. Mais le discours stigmatisant les Roms répété à l’envi, finit par donner au racisme une nouvelle légitimité qui sera de plus en plus difficile à contenir. Les gouvernants l’ont bien compris: si une population fait l’unanimité du rejet, et ce malgré des protestations de circonstance, ce sont bien les Roms.
La grande majorité des citoyens européens, même si elle admet l’opportunisme qu’ont les chefs d’Etat dans le discours xénophobe, n’est pas totalement insensible à celui-ci. Les arguments que les Roms sont des délinquants, qu’ils appartiennent à des réseaux mafieux, qu’ils refusent de s’intégrer et que, par conséquent, ils provoquent l’insécurité tant redoutée est une idée qui fait son chemin.
vers la Roumanie ou la Bulgarie ne datent pas d’hier. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy et la mise en place de la politique des quotas de reconduite à la frontière, fixés à 30.000 personnes par an, 10.000 Roms roumains ou bulgares sont expulsés chaque année, soit un tiers du total des expulsions annuelles. Les Roms servent donc depuis pas mal de temps de «réserve», ce qui démontre l’aberration de cette politique puisque, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, l’Etat français s’en prend à des résidents de l’Union qui ont, en principe, le droit de libre circulation.
Jusqu’à présent, il s’agissait de faire du chiffre: le fait que les Roms vivent souvent regroupés dans des bidonvilles de fortune faisait de ceux-ci des proies faciles. Tout en gardant ces rafles relativement discrètes, le gouvernement pouvait se targuer de tenir ses promesses et d’expulser le nombre d’étrangers prévu. Politique cynique mais efficace.
Avec le discours de Grenoble du 30 juillet dernier, Sarkozy s’en prend directement aux populations rom, n’oubliant pas au passage de jouer sur l’amalgame Roms, Gitans, gens du voyage. Exit les sans papiers, l’ennemi déclaré est le Rom, qui submerge le paysage de ses campements sauvages. Ainsi, l’attitude xénophobe affichée, face à une population rejetée de toute part, permettra sans doute de faire croire que le gouvernement agit. La pseudo concertation entre les ministres français et roumains sur l’aide au retour et la «réintégration humanitaire» des Roms dans leurs pays d’origine est une mascarade; on a vu l’estime que portent les gouvernants roumains et bulgares à leurs ressortissants roms. Sarkozy a bien compris que si une unanimité existe, elle se fera sur le dos des Tziganes.
Pour le moment, le démantèlement des campements et le rapatriement de quelques milliers de Roms fait oublier, entre autres, qu’il manque 600.000 logements en France, et qu’on estime à 230.000 le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles.