ZONES A DEFENDRE: ZAD: Valls sans retour

von Collectif Mauvaise Troupe, 18.11.2016, Veröffentlicht in Archipel 253

Des extraits de cette tribune par le collectif Mauvaise Troupe sont parus dans le Monde du 7 octobre. Nous en publions ici l’intégralité. Le Collectif Mauvaise Troupe était présent aux rencontres de cet été*.

Alors que nous écrivons ces lignes, le bruit de l’hélicoptère tente de briser notre concentration. Il tourne, désormais quotidiennement, là-haut où les avions ne volent pas, répandant sa rumeur de guerre et de reconquête. César1 guette et cherche à impressionner. Parfois il se met légèrement sur le flanc, pour nous mieux observer. Est-il surpris par la ronde des tracteurs qui depuis quelques jours déposent des balles de foin aux carrefours? Par ces comités de soutien qui viennent repérer les lieux les plus stratégiques où ériger leurs barricades? Par les formations qui chaque fin de semaine regroupent plus de cent personnes venues se préparer aux expulsions annoncées? Peut-être l’est-il davantage encore de tous ces gestes qui perdurent. Sylvie et Marcel qui soignent leur troupeau, les moissons du sarrasin, un fest-noz célébrant la récolte de patates, quatre-vingt charpentiers bâtissant l’ossature d’un gigantesque hangar ou une bibliothèque tout juste inaugurée. Son regard peut-il embrasser avec les 2000 hectares toute la richesse de la vie qui les peuple? Celle qu’il prétend détruire dans le mois à venir...
Les préparatifs d’une nouvelle opération d’occupation et de destruction du bocage à sept mois des élections présidentielles ont quelque chose d’irréel. Après un printemps de grèves, de blocages économiques, d’agitation de rue contre la loi travail, en plein état d’urgence, quel serait l’enjeu de transformer ce coin de campagne mais aussi la ville de Nantes en véritables poudrières? Ce n’est certes pas seulement pour construire un aéroport de plus et ainsi honorer les «accords public-privé» avec la multinationale Vinci. S’il est vital pour les gouvernants d’écraser la ZAD, c’est qu’elle constitue une démonstration insolente d’une vie possible sans eux. Et d’une vie meilleure. À l’heure où la seule prise politique qui nous est proposée consiste à choisir, le nez bouché, le moins pire des affairistes en mesure de battre le FN (mais d’en appliquer le programme), le surgissement d’un territoire hors et contre le principe même de gouvernement leur est insupportable.
Car ici, l’expression «zone de non droit», qu’ils voudraient effrayante, a pris une acception radicalement positive. Contrairement à ce qui a lieu dans les rues des villes «policées», à la ZAD, personne ne dort dehors et chacun mange à sa faim. De grands dortoirs accueillent les arrivants, un «non-marché» hebdomadaire propose les légumes, la farine, le lait, le pain et les fromages produits sur place, sans qu’un prix ne vienne en sanctionner la valeur. Dans les nombreuses infrastructures collectives, mais aussi dans les échanges ou les travaux collectifs, les relations se basent sur la confiance et la mise en commun, à l’envers des logiques ayant cours qui s’appuient sur le soupçon et l’individualisme. Ce que les cyniques de tous bords taxent d’utopie irréalisable est éprouvé dans les gestes et la matière. Même l’absence de police et de justice - les gendarmes ne fréquentant plus la zone depuis 2013 - n’a pas produit le chaos que d’aucuns auraient imaginé et souhaité. Les opposants à l’aéroport ont démontré qu’ils étaient capables de vivre ensemble sans aucune tutelle les surplombant. Une communauté de lutte a donc patiemment vu le jour, nouant des liens tissés pour résister aux attaques comme au pourrissement. Tout ceci ne va pas sans heurts, évidemment, si déshabitués que nous sommes à décider nous-mêmes de nos devenirs. Nous réapprenons, nous apprenons, et rien n’est plus joyeux et passionnant que de se plonger dans cet inconnu.
C’est pour toutes ces raisons que la ZAD représente une véritable expérience révolutionnaire, de celles qui redessinent radicalement les lignes de conflit d’une époque. Le mouvement anti-aéroport s’étend aujourd’hui dans des pans de la société habituellement plus sensibles au chantage à l’emploi et à la crise qu’à la défense d’un bocage. Les salariés de Vinci, mais aussi de l’actuel aéroport, ont clairement exprimé, via leurs sections CGT, qu’ils rejoignaient la lutte et ne seraient jamais des «mercenaires». De même, les lycéens et étudiants mobilisés au cours du mouvement contre la loi travail s’apprêtent à bloquer leurs établissements dès l’arrivée des troupes. Trop d’espoirs sont condensés ici pour que nous puissions être vaincus, il en va de notre avenir, de nos possibilités d’émancipation. Nombreux sont ceux qui le pressentent, se tenant prêts à transformer la bataille de Notre-Dame-des-Landes, si elle a lieu, en véritable soulèvement populaire, capable de rabattre l’arrogance d’un État qui pense pouvoir impunément casser les travailleurs, précariser la population, mutiler les manifestants, tuer Rémi Fraisse, Adama Traoré et tant d’autres, donner un blanc-seing à sa police et continuer allègrement sa chasse aux migrants.
Face à leurs fusils semi-létaux, face à leurs blindés à chenilles, nous aurons les armes séculaires de la résistance: nos corps, des pierres, des tracteurs et des bouteilles incendiaires, mais surtout notre incroyable solidarité. Peu importe que la partie soit inégale, elle l’était tout autant en 2012, quand après des semaines dans la boue, derrière les barricades, nous leur avons finalement fait tourner les talons. Il y a quelques semaines déjà, alors que sous le hangar de la Vacherit l’assemblée du mouvement touchait à sa fin, un octogénaire se lève, un éclat de malice dans le regard et des cartons plein les bras. Il déballe fièrement les mille lance-pierres qu’il a fabriqués avec quelques complices pour projeter des glaçons de peinture. Tous rient, mais en essaient l’élastique. Car s’il faut à nouveau prendre les sentiers de la guerre pour défendre ce bocage, nous serons nombreux à le faire, ici, partout. C’est ce que nous avons affirmé ensemble une fois de plus lors de la grande manifestation du 8 octobre. Brandissant nos bâtons, nous avons scellé ce serment: nous défendrons ce bocage comme on défend sa peau; policiers, soldats, politiciens, vous pouvez venir raser les maisons, abattre le bétail, détruire les haies et les forêts, ne vous y trompez pas: la fin de votre mandat ne suffirait pas à éteindre ce que vous embraseriez à Notre-Dame-des-Landes.
Collectif Mauvaise Troupe

* Pour plus d’infos sur les ouvrages de la Mauvaise Troupe, entre autres Constellations, Contrées, de Notre-Dame-des-Landes au Lyon-Turin , et Défendre la ZAD, Collectif Mauvaise Troupe, éditions l’Eclat www.lyber-eclat.net et constellations.boum.org Nous ne serons pas les martyrs de Valls
Le 26 octobre dernier, M.Valls, invité de France Inter, déclarait au sujet d’une éventuelle tentative d’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes: «les zadistes veulent créer les conditions d’un drame, avec des victimes et des martyrs, de leur côté et du côté des forces de l’ordre.»
Selon lui, nous serions donc en train de planifier la mort de l’un-e des nôtres au profit d’une stratégie de lutte. Quelques jours après la commémoration du meurtre de Rémi Fraisse par la police, le cynisme de M. Valls est le signe d’un gouvernement en mal d’arguments pour tenter de diminuer le soutien massif dont la lutte contre l’aéroport et son monde fait l’objet, en diabolisant les habitant-e-s de la ZAD. Est-il nécessaire de rappeler que dans l’«Etat de droit» si cher au gouvernement – et que notre présence au-delà de la consultation locale semble tellement contrarier –, la police peut, sans jamais être inquiétée par la justice, mutiler voire tuer pour réprimer dans les quartiers populaires, aux alentours des camps de migrant-es et sur les terrains de résistance, des ZAD jusqu’aux luttes syndicales? Dans la même année 2014, nous n’oublions pas que la police a également assassiné Abdelhak Gorafia, Houcine Bouras, Timothée Lake, Abdoulaye Camara et encore cinq autres personnes.
En cas de tentative d’expulsion ou de démarrage des travaux, nous serons des dizaines de milliers à défendre la ZAD, sur place et ailleurs, dans notre diversité: occupations des arbres et des lieux de pouvoirs, sittings, affrontements, manifestations, blocages de la police et des flux économiques, sabotages… Uni-es contre un pouvoir en pleine crise autoritaire, nous rappelons que c’est ce dernier qui fixe le niveau de la violence et que nous ne plierons pas devant ses menaces.
Notre-Dame-Des-Landes, 31 octobre
paru sur zad.nadir.org