TOBLERONE: Trop c'est trop! Chronique d'une défaite annoncée

von Claude Braun, 09.05.2010, Veröffentlicht in Archipel 156

Mercredi 12 décembre, Christoph Blocher, conseiller fédéral de la droite populiste, était destitué par le Parlement fédéral1. A la surprise générale, la conseillère aux Etats des Grisons Evelyne Widmer-Schlumpf, également de l’Union Démocratique du Centre (UDC), était élue à sa place. La direction du parti, qui avait menacé d’entrer en opposition si son «duce» n’était pas réélu, a essuyé un camouflet monumental dont elle mettra un moment à se remettre.

En écrivant sur le succès sans égal de l’UDC lors des élections parlementaires du 21 octobre dans le dernier Archipel, je demandais si «Trop, c’est trop?». Dans un pays où la médiocrité et le consensus mou priment, les extrémismes de tout poil dérangent. En politique, les personnalités dotées d'un caractère trop fort en font souvent les frais. A l’autre bout de l’échiquier politique, le socialiste genevois Jean Ziegler peut en témoigner: il y a quelques années, le parlement suisse avait levé son immunité parlementaire, l’exposant ainsi aux attaques juridiques de toutes les grandes institutions financières helvétiques qu’il avait critiquées dans ses différents ouvrages.

La politique populiste et xénophobe de Christoph Blocher a suscité l’approbation d’un électorat désorienté. Avec une machine électorale extrêmement disciplinée et dotée de moyens financiers considérables, le parti qui représentait traditionnellement les paysans et le petit commerce est devenu le plus grand parti du pays. Mais durant ses quatre années au Conseil fédéral, l’arrogance de Blocher envers toute personne qui ne pensait pas comme lui a suscité un antagonisme largement partagé. Ce qui explique qu’une partie des membres du Parti Radical Démocratique (PRD) et du Parti Démocrate Chrétien (PDC) était disposée à ne plus voter pour lui.

Tractations Après les élections du 21 octobre, les contacts informels se multiplient au sein du PS pour envisager la tactique à privilégier pour éjecter Blocher du Conseil fédéral. Par la suite, un petit groupe préparatoire prend contact avec des responsables des Verts et du PDC. Petit à petit, la candidature de Mme Widmer-Schlumpf se cristallise comme la plus prometteuse: elle fait partie de l’UDC, ce qui ne remet pas en cause le principe que ce parti soit représenté au sein du gouvernement avec deux sièges, mais elle fait partie d’une aile plus modérée de cette formation. La candidate potentielle est contactée par le PS quelques jours avant les élections. Elle n’accepte pas explicitement la demande, mais ne la refuse pas non plus.

Le soir du 11 décembre, le président de l’UDC Ueli Maurer annonce qu’il a «Mme Widmer-Schlumpf sous contrôle». Le parti plane encore sur un nuage rose après sa victoire du 21 octobre et n’envisage pas une seule seconde que le PDC, qui a viré de plus en plus à droite ces dernières années, puisse se révolter. Pendant la nuit du 11 au 12 décembre, le groupe informel constitué de Verts, de Socialistes et de Démocrates-Chrétiens parvient à convaincre quelques radicaux de ne pas donner leur voix à Blocher.

Le mercredi matin dès 7 heures, les fractions parlementaires se réunissent pour une ultime fois. La plupart des membres des groupes parlementaires concernés sont informés pour la première fois du «plan Widmer-Schlumpf» et des accords trouvés entre les partis à ce sujet. L’UDC n’est encore au courant de rien.

Coup de théâtre Mercredi, 10h18, premier tour: 116 voix pour Mme Widmer-Schlumpf, 111 pour Christoph Blocher, 11 voix pour d’autres; la majorité absolue étant de 120 voix, un deuxième tour est nécessaire. Coup de théâtre numéro un. Consternation chez l’UDC. 10h22 heures Ueli Maurer tente de joindre la candidate inofficielle mais tombe sur son répondeur. 10h39, deuxième tour; résultat: 125 contre 115. A la surprise quasi générale, Mme Evelyne Widmer-Schlumpf est élue Conseillère fédérale.

La choc à l’UDC est complet. Mais la nouvelle Conseillère fédérale ne peut pas être assermentée, elle est dans le train pour Berne. Une majorité écrasante de son parti lui demande de ne pas accepter le mandat, sous peine d’être exclue de son groupe parlementaire. Après son arrivée à Berne, elle rencontre ses «collègues» de parti et demande un temps de réflexion jusqu’au lendemain à 8 heures.

Jeudi 8h05, elle annonce qu’elle accepte son élection.

Le malheur des uns…

C’est une décision courageuse. Elle en subira le contrecoup plus tard: les premières menaces de mort lui parviennent peu après2. Tandis que les visages des hommes (et des quelques femmes) de droite tournent au grisâtre, que la plupart restent là pétrifiés, muets, la liesse se répand dans l’autre bord et gagne l’extérieur du parlement où plusieurs centaines de personnes, descendues spontanément dans la rue, donnent libre cours à leur joie. Des membres du personnel du département des Affaires étrangères à qui Blocher avait mené la vie dure sablent le champagne sur la place fédérale – c’est la première fois de leur vie qu’ils participent à une manifestation spontanée. Le «Mouton noir» est là aussi. Ce collectif avait organisé la Fête contre le racisme du 6 octobre dernier, au cour de laquelle Blocher était devenu persona non grata dans la vielle ville3. Aujourd’hui, c’est dans le gouvernement-même qu’il n’est plus le bienvenu.

C’est un Blocher en colère, blessé dans son orgueil, qui prend la parole devant l’Assemblée parlementaire, injuriant ses membres en qualifiant le vote de canaillerie. C’est sa dernière occasion pour démontrer son arrogance et de son esprit autoritaire à cette tribune. Plus tard, sans doute sous l’influence de ces conseillers en communication, il mettra de l’eau dans son vin.

L’UDC, qui s’était habituée à des victoires successives, vient de rentrer dans une zone de turbulences. Il ne se passe pas un jour sans que des membres du parti ne s’affrontent. L’une des pommes de discorde concerne l’attitude à adopter envers les deux membres du parti qui siègent au Conseil fédéral, tout en ayant été exclus de leur groupe parlementaire4. Mais la question de l’entrée en opposition, annoncée haut et clair auparavant, est tout sauf claire, justement.

Quoi qu'il en soit, en 2008, il faudra se mettre au travail. Christoph Blocher a eu quatre ans à la Police et Justice pour consolider les bases du démantèlement des acquis sociaux, avec une politique de migration discriminatoire et des instruments efficaces de surveillance pour l'Etat. Cela arrangeait bien les autres partis conservateurs. Sans une pression significative de la «Suisse ouverte» le nouveau gouvernement du centre s'empressera de continuer sagement dans cette voie.

  1. Le Conseil fédéral est composé de sept membres. Depuis 1958. deux socialistes y siègent, pour cinq membres des partis dits «bourgeois». La participation au gouvernement des principaux partis entraîne l’absence d’un grand parti d’opposition, c’est ce qu’on appelle ici la «Concordance». Les conseillers fédéraux sont élus tous les quatre ans à la suite d’élections parlementaires, l’habitude étant que les sortants soient simplement confirmés dans leur mandat. Il est arrivé quelques rares fois que la majorité bourgeoise ait refusé, par exemple, d’élire les candidates présentées par le PS, au profit de représentants masculins, ce qui convenait mieux à leurs convictions.

La représentation par parti au parlement est actuellement la suivante: PS 52, les Verts 22, PDC 46, Verts libéraux 4, Libéraux 4, PRD 43, UDC 69 et divers 6.

  1. Mme Widmer-Schlumpf avait déjà fait parler d’elle pour avoir défendu des positions contraires à celles de son parti, comme le principe d’une assurance maternité, par exemple – un non-sens dans un parti outrageusement masculin

  2. voir «Trop, c’est trop?», Archipel No 155, décembre 2007 et <www.le-mouton-noir.ch>

  3. Le deuxième conseiller fédéral issu de l’UDC est Samuel Schmid qui vient de la campagne bernoise, région où la position de l’UDC est plus proche des objectifs d’origine de ce parti, et moins extrémiste. Il y a plus d’un an, Blocher l’avait déjà traité de «demi conseiller fédéral».