Dans le monde, le blé est cultivé sur près de 220 millions d’hectares, soit la majorité des surfaces agricoles cultivées. La plus grande partie des semences est produite par les paysan·ne·s elleux-mêmes ou échangée avec d’autres – état de fait que l’industrie semencière aspire à changer.
Supposons que, pour un hectare de culture, il faille 180 kg de semences. A un euro le kilo, la vente de semences au niveau mondial représenterait, à elle seule, près de 39 milliards d’euros. Aujourd’hui ce n’est qu’une infime partie des échanges liés au blé qui est véritablement monnayée. Pour l’économiste néo-libéral, il serait regrettable de laisser cette source de revenus inexploitée. C’est avec ce type d’arguments que les lobbyistes des multinationales semencières ont pu convaincre les gouvernements lors du G20 en 2011.
Un programme de recherche international concernant la question a alors vu le jour. Deux ans plus tard, à l’invitation du Ministère de l’Agriculture français, le programme détaillé et l’équipe de direction ont été présentés à Paris. Sous le nom d’«Initiative blé», le chantier est parrainé par 16 pays et 9 entreprises ou multinationales, dont Bayer, Monsanto, Syngenta et Limagrain. Les promoteurs annoncent qu’en 2050, les besoins mondiaux en blé augmenteront de 50%. Donc, pour accroître les rendements de la production de 50%, la recherche pour l’obtention de nouvelles variétés doit être coordonnée au niveau international.
L’obtention de blés pseudo-hybrides
Avec les variétés actuelles de blés, toutes obtenues de manière conventionnelle, il y a d’énormes différences de rendements à travers le monde. Le rendement moyen est de 3,2 tonnes par hectare. En Allemagne, il est de 8 tonnes et les rendements de pointe sont de 12 tonnes à l’hectare. Indépendamment des causes réelles de ces différences, l’agenda de recherche présenté par l’«Initiative blé» nomme comme priorité le décodage du génome du blé. Grâce à ce décodage, on espère trouver la clé pour accroître les rendements.
Le génome du blé est actuellement beaucoup moins connu que celui de nombreuses autres plantes cultivées. Il est cinq fois plus grand que celui de l’homme et est composé de 17 milliards de paires de bases. Les chercheurs promettent des progrès importants lorsque la position et la fonction de chaque gène seront connues. Ceci sert évidemment en premier lieu les nouvelles méthodes du génie génétique pour l’obtention de nouvelles variétés mais également le développement des marqueurs génétiques afin d’identifier les différentes variétés conventionnelles.
En Allemagne, le programme est présenté au public sous le titre de «recherche d’hybrides de blé» et est associé au noble et ambitieux but d’assurer la sécurité alimentaire mondiale de manière durable. Dans ce cadre, les Ministères de l’Agriculture et de la Recherche subventionnent plusieurs projets. La recherche concernant le déchiffrage du génome du blé est essentiellement menée par la banque de conservation «IPK Gatersleben» et est subventionnée à hauteur de 9 millions d’euros. Cinq millions d’euros sont alloués au programme «valeur d’obtention», mené par l’Université de Hohenheim en collaboration avec la multinationale Bayer et d’autres entreprises. Ils ont comme objectif d’analyser les caractères de 8.400 lignées de blé afin de pouvoir définir 7.920 «combinaisons hybrides». Leur but déclaré est de développer des variétés à haut rendement et résistantes aux champignons, pour utiliser, en fin de compte, moins de fongicides. Ce but sera probablement difficile à atteindre quand on sait que Bayer, très gros producteur de fongicides, est un des acteurs essentiels du projet.
L’appellation «recherche d’hybrides de blé» peut prêter à confusion. Les variétés de blé hybrides actuelles sont très peu rentables du point de vue économique et, à quelques exceptions près, inexistantes sur le marché. Le processus d’obtention de variétés non-hybrides est moins coûteux et elles sont de meilleure qualité. Ce programme de recherche ne s’occupe donc pas de cette forme d’hybride. Il est probable que les agents de communication aient choisi l’appellation «hybride» car elle est associée, par les non-professionnel·le·s, à «plus et meilleur», contrairement à l’appellation «bâtard» qui signifie au fond la même chose. Ce qui est moins connu, c’est que l’obtenteur d’une variété hybride en a le monopole, puisqu’elle ne peut pas être reproduite par les agriculteurs sur leur récolte, peu importe qu’il s’agisse de légumes, de céréales ou d’autres types de plantes.
En réalité, le programme «Initiative blé» recherche une technique génétique pour l’obtention de blés pseudo-hybrides. Dans ce cadre, les chercheurs et chercheuses tentent, dans un premier temps, de définir quel trait de caractère correspond à quelle séquence du génome. Dans un deuxième temps, illes essayent de «découper» une séquence liée à une qualité souhaitée afin de l’implanter dans le génome d’une autre variété. Pour donner un exemple: prendre le caractère de résistance d’une variété ancienne pour l’implanter dans le génome d’une variété à haut rendement. Le rêve... Les scientifiques s’efforcent d’obtenir dans un laboratoire ce qui, avant, était le fruit de méthodes de croisement sur plusieurs années.
L’invention de l’hyper-blé
Les comportements du nouveau génome sortant du laboratoire doivent être testés en plein champ, ce qui est évidement plus simple quand il est déclaré «hybride» et non «manipulé génétiquement». En effet, du moins en Europe, il existe l’obligation de déclaration et d’autorisation d’une culture OGM en champ. Si les essais se révélaient positifs, ce qui est rarement le cas, le génome serait cloné des millions de fois pour être proposé ensuite comme nouvelle variété de blé hybride. Toutefois, cette variété devrait encore passer nombre de contrôles avant de pouvoir être inscrite dans le catalogue des semences autorisées sur le marché. Une telle variété a l’avantage de pouvoir être brevetée puisqu’elle a été obtenue grâce à une nouvelle technologie développée spécialement pour cette variété, contournant ainsi l’interdiction de breveter du vivant. Ce brevet s’étend sur toute la récolte ainsi que tous les produits finis obtenus à partir de cette variété. Les profits espérés sont donc bien plus élevés que les 39 milliards d’euros que nous avions naïvement calculés au début de ce texte.
La question de la contradiction entre l’objectif écologique du programme et la participation de multinationales de la chimie telles que Bayer et d’autres reste ouverte. C’est précisément cette question que traite l’entreprise allemande «GVS», société pour l’acquisition et la valorisation des droits intellectuels. Son but est d’intégrer tous les éléments de la chaîne de valeur du blé avant leur mise sur le marché. Les résultats obtenus par les recherches sur le génome du blé pourront évidemment être utilisés différemment. En public, les scientifiques mettent en avant leur volonté d’introduire des gènes résistants de variétés anciennes dans des variétés modernes pour rendre ces dernières invulnérables aux champignons, et éviter, par l’apport de fongicides, de polluer l’environnement. Bayer et les autres multinationales sont intéressées par l’obtention de variétés résistantes à leurs produits chimiques. Elles pourraient ainsi vendre leurs semences brevetées en combinaison avec leurs produits de traitements adéquats. Quand il s’agira de l’utilisation réelle des résultats de la recherche, on abandonnera aux multinationales le champ cultivé grâce à l’argent public.
Il est plus que douteux que le rêve des généticien·ne·s de l’invention de l’hyper-blé voit le jour. Par contre, il est certain que les multinationales essaieront de faire passer sur le marché leurs blés OGM résistants à leurs produits chimiques sous l’étiquette de blés hybrides. Pour préparer les client·e·s potentiel·le·s, elles créent dès maintenant le mythe de l’hyper-blé à venir. De nombreux paysans et paysannes seront susceptibles de les acheter les premières années, avant que le mythe ne s’écroule. Il est donc grand temps d’exiger l’obligation de déclarer toute nouvelle méthode de manipulation génétique et de les interdire. Ou, pour le moins, de les soumettre aux restrictions en vigueur pour les OGM. C’est pour cela qu’en Allemagne, l’initiative freier Weizen statt Konzerngetreide demande:
- le gel des subventions publiques allouées à la recherche sur les blés hybrides,
- le soutien aux paysan·ne·s qui produisent leurs propres variétés, adaptées à leurs besoins – pour la souveraineté semencière paysanne,
- pas d’OGM dans les champs ni dans les boulangeries.
Vous pouvez soutenir l’appel de cette initiative sur le site <www.aktion-agrar.de>
Chaque signature aide à relancer le débat public et à augmenter la pression sur les divers ministères. L’appel sera appuyé par des actions créatives.