«A Palerme, il y a 670.000 migrant·es. Ou nous sommes tous des immigré·es ou personne ne l’est dans cette ville»,
Leo Luca Orlando, maire de Palerme, pendant la Semaine des migrant·es, 14-20 mai 2018.
Ouvrir les portes de la ville à l’immigration qui afflue de l’Orient et des territoires africains, dans le prolongement de celle des pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Albanie, Yougoslavie), tel est l’objectif que cette cité portuaire s’est donné, en marge de la politique de fermeture européenne.
L’enquête du FCE que nous publions a été entreprise dans le sillage d’un certain nombre de réactions médiatiques (Le Courrier, LMD, WoZ, Le Monde, The Mirror...) à des propos du maire Leo Luca Orlando, promoteur en 2015 d’une Charte de mobilité en rupture totale avec la stratégie de l’UE. Selon lui, un journal allemand aurait même écrit «qu’en pensant à Palerme l’Europe devrait avoir honte».
Dans le propos qui suit, le lecteur réprouvera peut-être une certaine froideur qui ne convient pas au constat d’une tragédie où ont péri, jour après jour, en Méditerranée, des milliers de nos semblables. Simple principe de précaution pour ne pas se cantonner dans le casting des figurant·es de la déploration rituelle. La rhétorique larmoyante qui tient lieu de véritable compassion n’a pas fait progresser jusqu’ici la solution politique qui mettrait fin à l’hécatombe. Elle permet à un certain nombre de paroissien·nes du café du commerce ou aux bureaucrates de la raison d’Etat de se dédouaner de leurs responsabilités respectives. Aux citoyen·nes lambda d’estomper leurs fonds de préjugés plus ou moins xénophobes, pour ne pas dire racistes; aux gestionnaires des démocraties droit-de-l’hommistes de déplorer qu’elles ne peuvent pas «accueillir toute la misère du monde». La pitié mondaine, le front chagrin et les cils battant d’émotion, la flûte de champagne en main, n’est pas une spécificité des vernissages. Elle opère parfois de bouleversantes conversions sous les lambris du pouvoir. Comme celle de ce ministre de la Justice de la République française qui s’apitoya jadis, en un moment de faiblesse humaine, sur «les cercueils flottants» des boat-people de l’époque .
De l’autre côté des Alpes où notre investigation s’est préoccupée du défi de Palerme, ce genre d’émotion rétrospective ne risque pas de faire larmoyer l’actuel ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini. Il rêve de surpasser en férocité ubuesque la pugnacité berlusconienne où l’un de ses commis énonça jadis le projet de faire canonner les envahisseurs des années 1990-93. A vrai dire le consensus de tous les Etats de l’UE responsables de la gabegie de vies humaines aujourd’hui légalement organisée nous dispense de procéder à une quelconque hiérarchie des compassions nationales. Hormis quelques casaques rouges, au demeurant défraîchies, nostalgiques d’une humanité «humaniste», toutes les couleurs du spectre politique rivalisent dans la compétition sécuritaire du rejet de l’immigration. Au nom de l’ordre, du bien commun et d’une inquiétante interprétation de tous les traités internationaux. L’initiative même de cette enquête devrait nous disculper de la rareté pathétique de notre narration. C’est que le parti pris en a été de laisser aux lecteurs et lectrices le soin de consulter les médias pour prendre la mesure du désastre en cours. Ceux-ci se sont tellement dévoués pour en communiquer la nécrologie qu’ils nous dispensent de procéder à une comptabilité minutieuse des victimes de la traversée des déserts africains et de la mer Méditerranée. 20, 30, 40.000 personnes, enfants, femmes et hommes? Aucun recensement n’est aujourd’hui possible. Le sera-t-il un jour?...
Palerme, ville ouverte? Notre déambulation, sans doute trop brève dans cette ville portuaire du Sud, s’est efforcée de rassembler les indices du bien-fondé d’une telle intitulation inspirée par la lecture de sa Charte. Ce sera un peu notre mémorial dédié à toutes ces victimes que de témoigner de l’accueil des survivant·es que cette grande métropole européenne ose entreprendre, en porte-à-faux avec l’indifférence réglementaire. En parcourant le dispositif réticulaire déployé dans ce débarcadère palermitain où ont été acheminés des milliers de transfuges de la précarité et des guerres, il a fallu rassembler des données qui ont parfois l’aridité d’une nomenclature abstraite. C’est que la dynamique d’insertion s’inscrit dans un contexte où l’économie, dans l’acception la plus large du terme, se réfère à des critères d’évaluation en grande partie quantitative. L’évaluation des secteurs où se réalise le processus d’intégration citoyenne (accès au droit commun par l’habitat, l’emploi, l’éducation scolaire, l’assistance sociale et sanitaire) requiert un certain nombre de données significatives. Les commentaires sociologiques ou politiques ne suffisent pas à rendre compte de l’état des lieux et des opérations en cours. Pour prendre la mesure de celles qui s’emploient à valoriser l’apport de l’immigration, ils ne peuvent pas se passer d’une certaine arithmétique sociale.
Davantage avenante devrait être sans doute l’information relative à la dimension culturelle de l’hospitalité palermitaine. Elle convaincra plus agréablement le lecteur de l’exemplarité de ce qui s’organise dans ce havre de l’extrême sud du continent occidental. La culture pourrait bien être le stratagème qui est en train d’ouvrir une brèche dans la grande muraille de la Forteresse Europe: au grand dam des élites policières et militaires comme Frontex qui sont censeés en garantir l’invulnérabilité.
En définitive, c’est à partir de cette Charte de Palerme, sous-titrée «De la migration comme souffrance à la mobilité comme droit inaliénable de l’humain» que nous avons décidé d’explorer un territoire où se met en place une alternative à la liturgie sacrificielle de l’Europe. Dans le dédale de cette ville portuaire où cohabitent palermitain·es et plusieurs dizaines de communautés étrangères, ce n’est pas seulement de l’étendue de la perte humaine actuelle dont on prend conscience, c’est aussi de celle de notre propre humanité.
Jean Duflot, membre du FCE France
- Palerme, ville ouverte et la charte de Palerme, enquête réalisée par Jean Duflot, paru aux éditions A plus d’un titre, 550 pages
La solidarité n’est pas un crime
En janvier, Solidarité sans frontières (Sosf) a lancé la pétition «La solidarité n’est pas un crime», qui demande aux parlementaires suisses de soutenir l’initiative parlementaire 18.461 de la Conseillère nationale verte Lisa Mazzone. Intitulé «En finir avec le délit de solidarité», ce texte demande que l’article 116 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) soit modifié «pour ne plus criminaliser des individus prêtant assistance, dès lors que l’acte est désintéressé et que ces personnes n’en retirent aucun profit personnel». En effet, aujourd’hui, dans toute l’Europe, vous pouvez être condamné à de lourdes peines (amendes ou même prison, comme dans le cas des 3+4 de Briançon) si vous aidez une personne qui n’a pas les bons papiers! En Suisse, c’est ce qui est arrivé à Anni Lanz ou au pasteur Norbert Valley. La solidarité doit être encouragée, pas réprimée! Merci de signer et faire signer la pétition. La pétition se trouve jointe dans l’édition suisse d’Archipel.