Les 12 et 13 novembre dernier a eu lieu une rencontre du «Groupe de contact de la Méditerranée centrale» - cette fois en Suisse. Officiellement, le but de ce groupe serait de met-tre fin aux traversées dangereuses de la Méditerranée et de sauver des vies. En réalité, il s’agit une fois encore d’une tentative de l’Europe de transférer la surveillance des frontières en Afrique.
Le groupe de contact s’était déjà réuni deux fois: d’abord en mars 2017 à Rome et ensuite en juillet à Tunis. Lors de sa troisième réunion, la partie européenne était représentée par la conseillère fédérale suisse Simonetta Sommaruga, qui s’était chargée de l’accueil, et par ses homologues de France, d’Autriche, de Malte, d’Italie et d’Estonie, alors titulaire de la présidence du Conseil de l’Union Européenne (UE), ainsi que par des représentants de la Commission de l’UE.
Du côté africain, les gouvernements de Libye, d’Algérie, de Tunisie, du Mali, du Niger et du Tchad étaient représentés. Selon la «Déclaration d’intention» adoptée à Rome, le groupe de contact doit discuter des défis en lien avec les divers flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe par la Méditerranée. La déclaration faisait état de valeurs communes comme «l’humanisme, l’hospitalité et le respect des droits humains». Au-delà de ces belles paroles, il s’agit en fait d’empêcher la migration irrégulière, de faire diminuer le nombre des migrant·es arrivant par la Méditerranée, de former et d’équiper les polices des frontières et de faciliter les renvois.
Camps en Libye
Actuellement, la plupart des migrant·es qui se rendent en Europe partent de Libye pour traverser la Méditerranée. Illes seraient jusqu’à un million qui se trouveraient encore dans ce pays, dont une forte proportion internée dans des camps. Or, dans ces véritables prisons privées gérées par des milices, la situation est «semblable à celle des camps de concentration». Telle est la conclusion formulée par l’ambassade d’Allemagne au Niger au début de cette année dans une dépêche adressée au ministère des Affaires étrangères à Berlin. Ce document, dont des extraits ont été publiés le 27 janvier par l’hebdomadaire Welt am Sonntag, parle de «violations gravissimes systématiques des droits humains». Les «exécutions de personnes insolvables, actes de torture, viols, rackets et abandons dans le désert» seraient monnaie courante.
En août, l’œuvre d’entraide britannique Oxfam a publié les résultats des 158 interviews qu’elle avait menées auprès de migrant·es qui avaient réussi à atteindre la Sicile: 80% des personnes interrogées ont parlé de tortures et d’assassinats dans les camps libyens.
Presque toutes les femmes questionnées ont affirmé avoir été victimes de viols et d’autres formes de violence sexuelle. En outre, un reportage de Michael Obert pour la Süddeutsche Zeitung (9 juin 2017) fait état de camps spéciaux pour hommes où ceux-ci vivent – ou meurent – dans leurs excréments faute d’espaces suffisants.
Sales arrangements de l’Europe avec les garde-côtes libyens
Cette situation est connue des gouvernements européens. Néanmoins, ni l’UE ni la Suisse ne font pression pour la fermeture de ces camps. Le rôle de portier de la forteresse Europe tenu par la Libye est trop important. A la rencontre au sommet de l’UE du 3 février 2017 à Malte, à laquelle participait également la conseillère fédérale Sommaruga, le but formulé en priorité était de créer davantage de «capacités d’accueil approprié en Libye» et les participants ont salué le financement de telles «capacités» par l’Italie convenu la veille. Pour réduire le nombre de migrant·es venant en Europe, il s’agirait avant tout d’offrir des formations et des équipements à la «garde nationale libyenne des côtes». Du reste, l’UE le fait déjà depuis l’an dernier dans le cadre de son opération marine «Sophia». L’Italie a envoyé une mission marine en août pour aider cette garde des côtes dans ses opérations d’interception des embarcations de migrant·es en Méditerranée aux fins de les ramener en Libye. Alors que le gouvernement italien a soumis le sauvetage en mer par des ONG à un «code de conduite», la garde libyenne des côtes a tiré plusieurs fois sur des bateaux de ces ONG.
En fait, cette «garde nationale des côtes» est l’affaire de seigneurs de guerre armés qui contrôlent des territoires libyens. Le reporter Michael Obert a suivi le commandant Al Bija dans des opérations de reconduite en Libye d’embarcations de réfugié·es. Sa conclusion est éloquente: «Al Bija n’a aucun mandat légitime, n’est légitimé par aucun gouvernement et n’est soumis à aucun contrôle. C’est le seul qui se tient à la disposition de l’Europe en tant que garde des côtes à l’ouest de Tripoli». Il n’empêche que cette troupe a reçu récemment 200 millions d’euro de l’UE. 46 millions de plus lui reviendront dans le cadre de l’opération «Sophia» qui se poursuit jusqu’en 2018.
L’UE souhaite davantage de contrôle non seulement dans la zone côtière, mais aussi à la frontière sud de la Libye et dans les pays situés à l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest. Là aussi, des missions militaires européennes participent à l’aide en équipement et en formation en plus de Frontex.
Voyages de Madame
Sommaruga
Dans des interviews données à la presse, la conseillère fédérale Sommaruga se montre consciente de l’exploitation de l’Afrique par l’Europe. En octobre, elle s’est rendue au Niger. La Suisse n’y investit pas seulement dans la mise en place d’une agriculture durable mais aussi dans des centres d’accueil et de transit pour les personnes voulant aller en Europe – centres de détention dans le désert.
Sous la devise «nommer, combattre et perturber», des activistes ont appelé à des journées d’action contre la rencontre du «groupe de contact» et Sosf* a participé à une conférence de presse pour dénoncer le cynisme de la politique européenne et suisse (voir ci-contre).
*Solidarité sans frontières www.sosf.ch