Octobre 2016. Coup de tonnerre dans le ciel zapatiste. Le Congrès National Indigène (CNI)1, qui fête ses vingt ans cette année-là, propose de se déclarer en assemblée permanente et de nommer un Conseil Indigène de Gouvernement (CIG). Sa porte-parole sera une femme indigène, déléguée du CNI, elle sera candidate indépendante aux élections présidentielles de 2018.
Cette femme devra parler sa langue originaire et connaître sa culture. Pardon? Une femme indigène, proche des zapatistes, candidate aux présidentielles? J’ai dû mal comprendre non? Si c’est une blague, ce n’est vraiment pas drôle…
Et pourtant, c’est bel et bien le nouveau défi lancé par les zapatistes et le CNI. Le sous-commandement Galeano précisera lors de la clôture de ce congrès qu’un «bon stratège est celui qui prend la bonne décision, c’est-à-dire l’initiative à laquelle personne ne s’attend, au bon moment». Effectivement, ce fut une surprise totale, inattendue…
Il n’y a plus de doute, le temps de l’offensive est arrivé. La volonté étant de réapparaître au grand jour et de se rendre visible en dehors des montagnes du sud-est mexicain. Parce qu’aujourd’hui, la situation de violence est telle au Mexique que, l’exploitation, la misère, l’expropriation des terres, les disparitions forcées, les féminicides, les assassinats touchent tout le peuple d’en bas, pas seulement les peuples originaires. La douleur des indigènes est devenue une parmi tant d’autres. Par cette proposition, le CNI déclare que le temps est venu de s’unir et de s’organiser pour anéantir une fois pour toutes l’hydre capitaliste. Secouer les consciences de la nation afin qu’en 2018 sur les bulletins de vote figurent l’indignation, la résistance et la révolte. A Mexico, chacun semble se figer dans l’expectative. Mais «c’est quoi encore cette histoire?» semblent se dire ceux d’en haut. Toujours avec le même sourire méprisant mais légèrement fébrile quand même...
Une guerre idéologique qui prend pour nom «Que retiemble en sus centros la tierra»2. Ce texte fondateur dénonce 27 cas emblématiques d’expropriation et de répression, une sordide illustration de cette guerre d’extermination dont sont victimes les peuples originaires. Et cela dure depuis 525 ans et pour beaucoup, cela empire chaque jour davantage.
A partir de là, le mauvais gouvernement a craché toute sa haine, son racisme et son machisme le plus vulgaire. Encore une fois, la même triste et sale rengaine, les indigènes ignorants et bêtes sont manipulés et manipulables à loisir. Par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Forcément. Toujours eux, cachés derrière leur satané passe-montagne.
Dans ce triste concert de mépris et de bêtise, le sous-commandement Gaelano, toujours prêt à une joute verbale, va clairement répondre à la question de l’implication de l’EZLN: «Non; l’EZLN ne présente pas une candidate aux élections présidentielles. Non. L’EZLN ne lutte pas pour prendre le pouvoir»3. Ils ne seront là qu’en appui. De toute façon, aucun zapatiste ne possède une carte électorale. Le CNI est désormais seul maître à bord. Et avec lui, tous les hommes et les femmes qui se mettront au service de ce processus inédit afin de démontrer au pays qu’il existe une autre façon de faire de la politique.
Cette initiative, si surprenante soit-elle, n’a pas été imposée. Elle a été proposée, débattue et il n’est pas difficile d’imaginer la fureur des débats et des idées contradictoires qui ont dû se jouer dans le huis clos des communautés. Cette consultation des peuples originaires, des tribus, des quartiers de tout Mexico s’est déroulée d’octobre à décembre 2016. Une majorité de communautés ont adhéré à l’idée de participer à la création du CIG. Ce conseil est composé de binômes, homme et femme de chaque région du pays, appelés consejales et consejalas. Ils sont nommés par consensus en assemblée communautaire, en accord avec les us et coutumes de chaque peuple. Il s’agit d’une charge tournante, révocable par l’assemblée. Toute désignation sera actée par écrit.
La femme désignée par le CNI ne sera que la porte-parole du CIG. Ni plus. Ni moins. Elle devra s’appliquer à elle-même les sept principes qui régissent le CNI: Obéir et non commander, Représenter et non pas remplacer, Servir et ne pas se servir, Convaincre et non pas vaincre, Descendre et non monter, Proposer et non imposer, Construire et non détruire.
Pour une déclaration de candidature indépendante, l’INE4 impose la création d’une association civile. Pour répondre à cette exigence, le CNI va faire appel à des artistes, des musiciens, des universitaires, et des acteurs de la lutte sociale, au total plus d’une cinquantaine de personnes. Cette association aura pour nom, «Llego la hora del florecimiento de los pueblos»5. Comme toujours, la poésie au service des messages politiques des zapatistes.
En mai 2017, première assemblée constitutive du CIG où il est précisé que cette initiative est peut-être la dernière opportunité en tant que peuple originaire et comme société mexicaine de changer pacifiquement et radicalement leur gouvernement et de faire que la dignité soit l’épicentre d’un nouveau monde. Cela permettra aussi que la situation des peuples originaires de la campagne et de la ville, des ouvriers, étudiants, des laissés-pour-compte de tout le pays soit mise dans l’agenda politique de ces élections présidentielles. Plus jamais un Mexique sans nous! La devise des zapatistes revient avec force sous les feux de l’actualité.
Dans ce contexte-là, il est bon de se rappeler les mots de Juan Chavez, membre emblématique du CNI décédé en 2013, qui affirmait: «Quand un peuple originaire meurt, c’est tout un monde qui s’éteint». Rien que pour éviter cela, cette initiative prend tout son sens.
Lors de cette assemblée du 28 mai 2017, Máriá de Jésús Patricio Martinez dite Marichuy, originaire de l’Etat de Jalisco, est désignée comme porte-parole du CIG. Certains esprits critiques diront que cette désignation ne s’est pas déroulée dans la transparence la plus totale. La méthode habituelle qui régit le fonctionnement du CNI n’a pas été respectée totalement. Pour autant, le choix du nom n’a pas été remis en cause, juste la manière de faire…
Désormais au centre de toutes les attentions, Marichuy se veut aussi le symbole de toutes ces femmes indigènes qui sont au plus bas de l’échelle sociale, marginalisées, exploitées, humiliées en tant que femmes, pauvres et dont la peau couleur de la Terre attise le racisme le plus ordinaire. La misogynie n’étant qu’un ingrédient de plus dans cette ambiance délétère. Son discours est sans équivoque: «l’idée n’est pas de gagner, de prendre le pouvoir et de s’asseoir dans le fauteuil présidentiel, mais bien d’ouvrir un espace pour s’organiser en tant que peuple indigène avec d’autres secteurs de la société civile mexicaine». Digne héritière d’Emiliano Zapata qui, le 6 décembre 1914, entre en vainqueur avec Pancho Villa dans la ville de Mexico et refuse de s’asseoir sur le siège présidentiel.
Le 7 octobre 2017, Marichuy remet ses documents auprès de l’INE et se permet de dénoncer les petites mesquineries auxquelles elle a dû faire face pour être acceptée. Comme le refus de la banque HSBC de lui ouvrir un compte bancaire. Un système électoral fait uniquement pour ceux d’en haut, pour ceux qui jouent dans la même cour depuis toujours. Elle précisera avec force et vigueur que sa campagne se fera sans le moindre peso venant de l’INE. Ils se financeront comme ils l’ont toujours fait en ne dépendant que d’eux-mêmes.
Une autre difficulté et pas la moindre est de réunir un minimum de 866.593 signatures pour être validée comme candidate indépendante et ce dans au moins 17 des 32 Etats que compte le pays. Une autre aberration est que ces signatures doivent être enregistrées à partir d’un Smartphone haut de gamme. Il est bien entendu que chaque Mexicain pauvre, de la classe d’en bas possède au moins un Android 5.0 voire même un Iphone dernier cri…
Après le temps de la réflexion venait le temps de la présentation aux différentes communautés zapatistes et à celles de la région. Pour cela, deux temps forts. L’assemblée du CNI au CIDECI du 11 au 14 octobre. Puis une tournée des cinq caracoles et une réunion publique dans le centre de Palenque du 14 au 19 octobre 2017. Un premier pas pour tâter le pouls, sonder le cœur zapatiste et une première tentative pour engranger des signatures dans un territoire qui lui est plus ou moins acquis. Le reste est une autre histoire…
Patxi et Traba 23 octobre 2017*
*Article tiré de: delautrecoteducharco.wordpress.com
- Le Congrès National Indigène s’est constitué le 12 octobre 1996 avec la volonté d’être la maison de tous les peuples indigènes, c’est-à-dire un lieu où les peuples originaires trouvent l’espace de réflexion et de solidarité (nécessaire) pour consolider leurs luttes de résistance et rébellion, avec leurs propres formes d’organisation, de représentation et de prise de décision. Voir: www.congresonacionalindigena.org
- «Que la terre tremble jusque dans ses entrailles» communiqué du CNI du 14/10/17.
- «Una historia para intentar de entender», 17/11/16 .
- Institut National Electoral.
- «Voici venu le temps de l’éclosion des peuples».