La naissance du Collectif Sans Ticket (C.S.T.) remonte à mai 98 et trouve sa source en Belgique au croisement d’une double dynamique. La première de ces dynamiques nous est venue de France, sous la forme du «mouvement des chômeurs» qui se construisit dès 1995. A travers ses composantes les plus novatrices, ce mouvement marquait deux ruptures. Rupture de contenu avec les appareils syndicaux et le plein emploi comme mot d’ordre incontournable, auquel nous opposions la revendication d’un revenu de citoyenneté, à savoir l’expression radicale d’une nouvelle posture subjective par rapport au salariat et à ce que peut signifier aujourd’hui le travail. AC! - «Agir contre le chômage». Cette invitation permanente qu’est le nom d’un des réseaux français de chômeurs et précaires signifiait d’abord pour nous agir contre les représentations sociales et contre les effets non désirés du chômage. Rupture également sur les formes de contestation, par des occupations de lieux intempestives, par des actions de désobéissance civile portées par cette joyeuse impertinence liée à l’émergence d’une parole minoritaire. Mises en scène donc, ludiques et subversives, des interventions publiques.
La seconde dynamique, venue d’Espagne et d’Italie, nous avait engagés à Bruxelles, dès février 1998, dans un projet multiple, entre autres par l’occupation d’un bâtiment vide. Il s’agissait d’ouvrir à une trentaine de personnes, dans ce petit bout de territoire réapproprié, un laboratoire d’expérimentation sociale, et de transformer en lieu de vie et d’organisation des espaces abandonnés depuis plusieurs années à la spéculation immobilière. Cet acte de reprise inaugurait le Centre social du «Collectif sans Nom» (ou «Cent noms»).
L’enjeu central qui nous est apparu à travers ces dynamiques et que nous avons fait notre, nous le nommons «réappropriation des moyens d’existence». Cela signifie tenter de construire des réponses solutionnantes et enthousiasmantes à nos besoins collectifs. Et le faire en sachant qu’on ne fait pas pour autant table rase, mais que l’on s’inscrit dans un environnement où ces pratiques coopératives doivent trouver des expressions politiques.
La carte de droit aux transports
Ces différentes questions furent également au cœur de débats qui s’ouvrirent en octobre 98 à Liège, à l’occasion du premier Carrefour des Luttes organisé à l’initiative du collectif «Chômeur, pas Chien». Ce Carrefour regroupa durant deux jours divers acteurs qui tentaient, sur des terrains bien différents, tels que le chômage bien sûr, mais aussi la culture, le travail de la terre ou la presse, d’inventer de nouvelles pratiques de résistances. C’est à cette occasion, et pour répondre au besoin très concret des invités à cette rencontre de devoir se déplacer pour pouvoir pratiquement se rencontrer, que fut inaugurée collectivement, festivement et médiatiquement la carte de droit aux transports, un petit document comportant le nom, les coordonnées et la photo de son titulaire, utilisé à la place des billets officiels lors des voyages sur les réseaux de transport en commun (trains, bus, métro et trams). La reprise de cette pratique au quotidien et son adoption par des centaines d’usagers, tant à Liège qu’à Bruxelles, fera de cet axe et de ce double pôle urbain la base toujours actuelle du Collectif sans ticket.
La pratique du C.S.T. a connu depuis lors, en près de quatre ans donc, bien des aventures et des soubresauts. Elle s’est cependant ancrée en priorité autour de l’usage de cette carte, dispositif principal qui nous a fait connaître: carte de «réappropriation de notre droit à nous déplacer», carte en tout cas d’affirmation non déguisée d’un acte assumé de désobéissance civile, carte appelant à débat avec le personnel, à commencer par l’incontournable contrôleur, carte emblématique, référentielle, voire identitaire parfois, pour nombre de «fraudeurs» sortant de l’ombre et qui rejoignirent progressivement notre action sans que nous les connaissions auparavant.
Carte aussi qui nous situait dans cette position nouvelle que nous voulions inaugurer, à laquelle nous continuons de chercher à donner corps et contenu singulier et innovant, et qui donne peut-être à notre lutte l’une de ses dimensions politiques les plus prospectives: «ni fraudeur, ni client», disions-nous hier; «usager», affirmons-nous aujourd’hui. «Usager» dans un sens nouveau, ou du moins à revisiter, usager de la relation publique, usager de la relation au territoire et aux équipements collectifs (transports, santé, école), usager résolument co-productif, usager de fait et de droit . Posture à construire, à affiner, à confronter.
Les usagers qui nous rejoignaient, nous avons aussi tenté de les rencontrer à travers des processus de réunions. Echanges d’expériences, de savoirs mineurs, de pratiques différenciées, d’idées, de subjectivités en devenir. Nous avons monté également avec eux d’autres types d’interventions: opérations «Free Zone» (repérage des contrôleurs dans les stations de métro et information solidaire entre usagers sur les lieux de contrôle), occupations collectives et festives de bus ou de trains, prises de parole et interventions intempestives dans divers espaces, de la rue et des quais du métro à quelques lieux spécifiques du pouvoir (Palais de Justice, Conseils d’administration.).
Les procès
Aujourd’hui, les chantiers qui s’ouvrent à nous sont multiples, enrichis des dynamiques suscitées et aussi des nombreux retours produits par la diffusion de notre «Livre-Accès» (voir encadré), en Belgique et en France. Certains chantiers pourtant relèvent davantage de la contrainte: les procès, par exemple, se multiplient. Contre les participants aux Free Zones: astreintes de 125 euros en cas de reprise de l’action, prononcées à l’encontre de 18 personnes, et instruction ouverte, à leur encontre également, du chef notamment d’association de malfaiteurs! Contre des utilisateurs réguliers de la carte de droit aux transports, mais cette fois dans les trains: 30 personnes sanctionnées en première instance et 17 condamnées en appel, avec des amendes lourdes et des peines de prison substitutives applicables en cas de non-paiement. Et à côté de cela, le silence du politique, voire de la plupart des instances syndicales.
Le C.S.T. a cependant cette particularité de rebondir. A chaque chose qui nous arrive ou que nous produisons, nous voyons s’entrouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles opportunités de provoquer des débats, de nouvelles possibilités d’expérimentation sur de nouveaux champs: nous irons à la Cour Européenne de Luxembourg! Mais pas uniquement pour reprendre les procès de Bruxelles. Au contraire, pour saisir l’occasion d’entrer en coopération avec des groupes d’usagers des transports, en France, en Espagne, en Suède, en Grande-Bretagne. Pour monter le coup avec eux. Mieux: en profiter pour tenter d’élargir l’offensive, en questionnant juridiquement et éthiquement (Charte des Droits fondamentaux) le droit d’usage aujourd’hui en Europe et la problématique d’ensemble du service public, de sa gestion et de son devenir.
Un pari à faire avec vous tous donc, une aventure nouvelle à mener et à gagner.
Le Collectif sans Ticket
Bruxelles
Contact:
Collectif sans ticket
35 rue Van Elewijck, B-1050 Bruxelles (Belgique)
tel.: 0032/ 2/ 644.17.1120
Livre-Accès en quelques mots
Ce livre marque une pause dans un processus qui a fait apparaître en Belgique et en France un acteur politique inédit et singulier dans le champ de la mobilité. Nés il y a plus de trois ans, les Collectifs sans ticket sont ces groupes d’usagers des transports publics qui refusent d’en devenir clients et qui tentent de construire un rapport de force autour du droit à la mobilité et des enjeux contemporains qui s’y articulent. Prenant appui sur cette triple urgence, sociale, économique et environnementale, d’un libre accès pour tous aux équipements collectifs de transport, ils sont là et ils exigent que l’avenir ne se restreigne pas aux lambeaux du passé que l’on aura réussi à défendre et conserver, mais s’invente dans une culture de luttes multiples, concrètes et créatives.
La première partie de l’ouvrage aborde l’itinéraire des Collectifs sans ticket sous l’angle de la pratique collective. Vous lirez au fil des pages notre parcours, l’élaboration progressive d’hypothèses de travail et l’expérimentation pratique de nouvelles formes de résistance. Les interventions intempestives dans l’espace public depuis mai 1998, l’émergence de la Carte de Droit aux Transports, les assemblées d’usagers, les opérations Free Zone, l’investissement des tribunaux comme espace public et politique à part entière, les brèches, les ouvertures qui se dessinent en terme de coopération sociale et de jurisprudence.
La seconde partie du livre se veut une contribution à une réflexion prospective sur l’accès libre et gratuit aux transports publics. C’est le fruit d’une contre-expertise par en bas sur le terrain des flux et normes de déplacement. L’ambition est claire: sortir la mobilité d’un débat d’experts pour la mettre sur la place publique et alimenter ce débat en déconstruisant les logiques tarifaires actuellement en vigueur et en réfutant les arguments les plus couramment opposés au libre accès. Qui paye quoi? Quelles sont les pistes de financement alternatives? Pourquoi les pouvoirs publics entretiennent-ils un régime de concurrence déloyale envers les transports en commun au profit de la voiture? Telles sont les questions qui structurent cette seconde partie.
Le Livre-Accès: Collectif sans ticket, collection Place Publique, Editions du Cerisier, novembre 2001, 160 pp.
à commander au Collectif sans ticket, 8 Euros (frais de port compris)
chèque: cpte: 068-2319901-76 communication: Livre-accès