La production d’énergie éolienne est montrée dans le monde comme une mesure écologique et alternative au changement climatique. En d’autres termes, ce qui est présenté comme une «transition énergétique», selon les Accords de Paris signés en 2015, a en fait ouvert un marché pour les crédits de carbone.
La crise environnementale quasi incontrôlable que nous connaissons annonce la catastrophe vers laquelle nous allons, mais elle reste aussi enracinée au colonialisme structurel qui domine dans les pays du «premier monde» à l’égard de ceux du «tiers-monde» ou des pays «émergents». C’est le cas des investissements de la société parapublique Electricité de France sur l’isthme de Tehuantepec, Oaxaca, dont les projets de parcs éoliens ont entraîné une violence génocidaire contre le peuple binnizá (zapotèque).
Ce génocide, comme l’a surnommé Alexander Dunlap de l’Université d’Oslo, s’explique à partir d’un ensemble «structurel» où entrent en jeu les relations politiques, sociales et culturelles aux niveaux international et local. Je parle de la manière dont le capital français se déploie dans l’isthme de Tehuantepec, intensifiant une économie criminelle qui se reflète dans les assassinats générés par les conflits entre caciques locaux. A ce sujet, j’affirme catégoriquement que le capital français est partie prenante de la violence structurelle s’exerçant actuellement contre les peuples de l’Isthme.
Ainsi, l’alternative à la catastrophe écologique n’est pas seulement une tartuferie du capitalisme vert, elle est aussi profondément ancrée dans une économie de guerre. En effet, dans la mesure où le capital français envenime les conflits locaux, il donne des arguments à l’Etat mexicain pour légitimer une intervention militaire et déployer des bases d’opération mixte, qui ne sont pas autre chose que des occupations des routes fédérales, des entrées et des sorties des communautés. Nous assistons à la tragédie de l’énergie renouvelable telle qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un colonialisme qui a des répercussions considérables sur la vie des peuples autochtones. En particulier dans la dépossession de leurs territoires, dans la privatisation accélérée des terres communales, dans la division des communautés, dans la modification des paysages, dans les assassinats de travailleurs, dans les féminicides systématiques et la criminalisation des hommes et des femmes qui prennent la défense de la vie et du territoire, qu’illes fassent partie de l’Assemblée des peuples indigènes de l’Isthme pour la défense de la terre et du territoire, de l’Assemblée populaire de peuple de Juchitán ou encore de l’Assemblée des comuneros d’Unión Hidalgo, tous faisant partie du Congrès national indigène.
Passer d’un régime de combustible fossile à un autre fondé sur l’énergie renouvelable pour sauver l’humanité ne devrait pas avoir pour prix la fin des peuples autochtones. Pourtant c’est bien ce qui est en train de se passer et, une fois de plus, nous sommes amené·es à entrevoir la continuité de la mentalité coloniale qui consiste à maintenir les peuples autochtones en marge de la condition humaine. C’est pourquoi il est difficile de mettre un terme aux violations de droits humains commises par le capital français, la France étant paradoxalement le berceau de ces droits. Alors que trois parcs éoliens d’EDF-Energie Nouvelles sont déjà installés, l’Assemblée zapotèque des comuneros d’Unión Hidalgo mène actuellement une lutte pacifique sur le plan légal contre le quatrième parc d’EDF EN appelé «Gunaa Sicarú» qui prévoit 96 aérogénérateurs sur 4400 ha de terres communales. Face à l’opposition des assemblées et aux constantes dénonciations concernant les violations des droits indigènes et agraires, le Secrétariat à l’énergie (SENER) s’est vu dans l’obligation d’avoir recours à une consultation indigène. Cependant celle-ci est pleine d’irrégularités, elle n’a pas respecté le caractère préalable (avant le commencement des travaux – ndtl) et objectif (concernant l’information, ndt) qu’elle doit avoir selon la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail.
En faisant valoir l’histoire et le droit, l’Assemblée des comuneros a réussi en 2018 à obtenir du premier Juge de district de l’Etat d’Oaxaca la suspension de la procédure de consultation autochtone et, avec elle, la construction et l’exploitation du parc éolien. Cependant à la fin de cette même année, la procédure a été à nouveau déclenchée et on devrait être actuellement à la première phase des accords préalables, dans un climat détestable avec des menaces de mort en direction des comuneros.
Parmi les irrégularités de la consultation, on retiendra le refus de la part de la SENER et de l’Institut national des peuples indigènes (INPI) de reconnaître le représentant des biens communaux comme faisant partie intégrante du sujet collectif à consulter, en dépit du fait qu’ils désignent l’Assemblée de l’Unión Hidalgo comme institution représentative de la communauté autochtone. Cette ambiguïté maintenue délibérément révèle la sujétion dans laquelle se trouve l’INPI à l’égard de la politique néolibérale menée par les ministères de l’Energie et de l’Economie; autrement dit cet assujettissement de l’INPI montre bien que le discours tenu par le gouvernement sur la reconnaissance des peuples comme sujet de droit n’est qu’un voile qui cache l’accaparement des terres et des territoires que les peuples autochtones de ce pays continuent à subir. La contradiction imminente entre l’économie néolibérale poursuivie par le nouveau gouvernement mexicain de la 4e transformation1 et la pleine reconnaissance des droits des peuples autochtones est une réalité incontournable en ces temps de consultations simulées. A la lumière de cette vérité, les parcs éoliens ne sont pas seulement une pure hypocrisie sur le plan de l’énergie propre, ils participent en outre à un génocide des peuples, et nous en sommes les témoins.
Josefa Sánchez Contreras est une universitaire indienne de la tribu Zoque (Université Nationale Autonome du Mexique), elle a conclu un Programme de Master en Etudes Latino-américaines avec une thèse intitulée: Racines historiques de la communauté Zoque.
- Quatrième transformation du Mexique, comme promis par Amlo, le nouveau président, après l’Indépendance (1810-1821), la Reforma (1858-1861) et la Révolution (1910-1920), des événements qui ont en commun d’avoir vu le peuple se soulever avec les armes contre le gouvernement afin de changer le cours de l’Histoire.