Extrait de l'intervention de Guy Kastler, chargé de mission à Nature et Progrès et représentant de la Confédération Paysanne aux "Rencontres sur les semences paysannes" à Toulouse en février dernier qui ont réuni 350 personnes des milieux agricoles, scientifiques et consommateurs européens.
Le Certificat d'Obtention Végétale est la base sur laquelle s'articule l'ensemble de la réglementation européenne concernant les semences et plants. Mais ce COV n'existe pas sans l'inscription de la variété au catalogue officiel commun des variétés.
Les conditions techniques et économiques de cette inscription favorisent les grands semenciers, au détriment des sélections paysannes et des variétés anciennes. Elles sont la cause d'une érosion génétique sans précédent. Pourtant, la nouvelle directive européenne 98/95/CE pourrait constituer une avancée, en adoptant les mesures d'exception pour "la conservation de la biodiversité in situ " ainsi que pour les variétés adaptées à l'agriculture biologique.
Pour être inscrite au catalogue, une variété doit subir deux séries de tests: les tests DHS (distinction, homogénéité, stabilité) et les tests VAT (valeur agronomique et technologique), s'il s'agit d'une variété certifiée, pour évaluer qu'elle apporte réellement une amélioration par rapport aux autres variétés. Cette inscription a un coût: de 250 euros à plusieurs milliers d'euros par variété, avec un droit à repayer chaque année, coût difficile à supporter lorsqu'il s'agit d'une semence qui n'a pas vocation à être utilisée en agriculture industrielle.
Les critères DHS et d'avantages agronomiques et technologiques excluent les sélections des paysans. Ceux-ci cultivent des populations diversifiées et évolutives plutôt que des variétés homogènes et fixées, développent des avantages qualitatifs plus que quantitatifs, diminuent les intrants plutôt que d'augmenter à outrance les rendements, et cherchent une résistance globale aux maladies que les variétés tolèrent grâce à leur adaptation à leur terroir.
Pour être inscrits, semences et plants doivent aussi être conformes à la réglementation sanitaire. D'où une possibilité de monopoles par les seuls semenciers agréés. Ainsi par exemple, les plants de vigne commercialisés doivent obligatoirement être issus de la multiplication clonale par des établissements agréés de quelques plants officiellement sélectionnés exempts de virus. Cette réglementation interdit donc aux vignerons toute pratique autonome de sélection massale* au terroir, seule susceptible d'améliorer la santé des plants en les adaptant à leurs conditions de culture.
Les graines sont par nature faites pour voyager, pour être échangées. Cultivée toujours dans le même champ, une variété dégénère et meurt. Une variété qui ne peut être inscrite ne peut être échangée et fini par disparaître. Le catalogue officiel, voie d'accès aux COV, a transformé un patrimoine commun de l'humanité en marchandise: il est ainsi devenu un formidable accélérateur de l'érosion génétique provoquée par l'agriculture industrielle en interdisant de fait toutes les agricultures paysannes.
Pourtant, la nouvelle directive 98/95/CE constitue une véritable avancée législative, en adoptant des mesures d'exception pour la conservation de la biodiversité in situ ou pour les variétés adaptées à l'agriculture biologique mais aussi en limitant la commercialisation des variétés génétiquement modifiées. Tout dépendra cependant de la façon dont sera appliquée cette directive. Elle offre en effet la possibilité de remettre en cause les critères DHS et VAT fondés sur une conception scientiste qui voudrait que le vivant grâce à la magie des obtenteurs, puisse être définitivement prédéterminé, fixé et indéfiniment reproductible à l'identique. Cette directive permet aussi aux Etats de définir les conditions de mi-se en culture d'OGM sur leur territoire. Ces conditions peuvent être plus restrictives que celles définies au niveau européen et concerner par exemple les dangers pour les autres cultures ou les systèmes agraires existants (c'est le cas par exemple pour la loi italienne).
Pour être appliquée, cette directive doit être traduite dans le droit national de chaque Etat. La France ne l'a fait que très partiellement, par exemple l'assouplissement des critères d'inscription au catalogue des variétés de conservation n'a pas encore été inscrit dans le droit français.
Le brevet sur le vivant, indissociable des OGM, rendra inefficace cette directive tout autant que la réglementation sur les Certificats d'Obtention Végétale. Grâce à leur puissance financière, une poignée de multinationales peuvent concentrer entre leurs mains d'énormes portefeuilles de brevets: elles sont ainsi assurées de mettre sous dépendance tout autant les petits semenciers européens que les paysans.
Guy Kastler, Confédération Paysanne
* sélection massale: sélection opérée sur un ensemble de plants (ou population) sur le champ