DOSSIER ELARGISSEMENT DE L'UE: L'agriculture dans l'Union Européenne élargie, qui sont les perdants?
L’élargissement prochain de l’Union Européenne (UE) à plusieurs pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) engendre dans les Etats membres de la périphérie de l’UE incertitudes, craintes et scepticisme. En 1999, le ministère autrichien de l’Economie et des Affaires sociales lançait le projet "Preparity" en coopération avec des experts autrichiens, italiens et allemands.
Sous la direction de l’Institut autrichien de recherche en économie (WIFO), un travail de deux ans a fourni une analyse des retombées économiques de l’élargissement à l’Est ainsi qu’une stratégie de politique régionale et économique pour l’accompagner.
Voici un résumé des résultats de cette étude pour la partie dirigée par le Professeur d’université Mathias Schneider et concernant l’agriculture. La plupart des PECO candidats sont ruraux: le nombre d’agriculteurs y est en moyenne quatre fois plus élevé que dans l’UE et les terres y sont fertiles. Pour l’agriculture et la sylviculture autrichienne, les problèmes et les risques de l’élargissement à l’Est l’emporteraient sur les avantages, en particulier pour les secteurs des céréales, de l’élevage bovin et du lait. Une forte pression sur l’offre et les prix pèserait également sur les cultures maraîchères car les conditions naturelles de production sont plus favorables dans les PECO. Pour l’arboriculture et la viticulture, Schneider voit des effets positifs pour l’Autriche: avec l’élévation de leur revenu, les pays candidats seront demandeurs de produits alimentaires à valeur élevée ce qui ouvrira de nouveaux débouchés aux produits autrichiens. Pas de changement à attendre pour la sylviculture et l’exploitation du bois: le marché libre règne et les sylviculteurs sont déjà touchés de plein fouet par la concurrence car il n’y aucune limite au commerce du bois avec les PECO. Selon l’étude, l’élargissement à l’Est aura pour conséquence négative une accélération de l’exode rural, surtout dans les régions frontalières à l’est de l’Autriche.
Mais Oliver Tamme, collaborateur de l’Institut fédéral pour l’Agriculture de montagne de Vienne, critique les résultats de l’étude de M. Schneider. Selon lui, les hypothèses et les scénarii de Schneider ne résistent pas à un examen critique. Des recherches de la Commission Européenne et de l’Institut de Vienne pour l’Economie Internationale comparée (WIIW) parviennent à un tout autre résultat. Comme c’était déjà le cas avec l’intégration de l’Allemagne de l’Est, après l’entrée dans l’Union Européenne, les prix de vente augmenteront dans les PECO. Les prix de la terre, de la main-d’œuvre et des machines suivront et la relation entre les prix des "output" et des "input" s’équilibrera: l’avantage concurrentiel des coûts de production plus bas pourrait disparaître plus vite que prévu, de même que le mythe de la concurrence effrénée de l’Est. D’une part, le manque de capitaux empêche jusqu’à présent le renouvellement des unités de production vieillies et l’augmentation de la productivité. De plus, le régime restrictif des quotas de l’UE ne permettra pas une augmentation de la production dans les PECO. D’autre part, l’adoption des normes sanitaires et de qualité dans le domaine phytosanitaire, dans le droit alimentaire et dans l’élevage posera des problèmes à ces pays et jouera le rôle de barrière douanière. Les PECO auront également des difficultés structurelles et institutionnelles: le démantèlement des kolkhozes et la privatisation de la terre ont divisé les surfaces agricoles; en de nombreux endroits, de nouvelles organisations de producteurs et de commercialisation commencent tout juste à se mettre en place.
Oliver Tamme critique également la façon dont l’étude Schneider a été menée et donc ses résultats. Le groupe de travail coordonné par Schneider est constitué de façon prépondérante par les experts du PRAEKO (Conférence des Présidents des Chambres d’Agriculture autrichiennes) et le processus de discussion et de réflexion en serait largement influencé. Les pondérations appliquées aux facteurs qui mènent à une estimation soit positive soit négative, sont tout à fait opaques. Dans tous les secteurs, l’étude prévoit que les parts de marché autrichiennes seront menacées. Lors de l’entrée de l’Autriche dans l’UE, des craintes semblables s’étaient exprimées, mais les parts de marché des marchandises produites en Autriche ont cependant pu être bien défendues et les importations et exportations ont augmenté en parallèle. Il est donc peu plausible que l’élargissement à l’Est puisse avoir des effets opposés. Les vrais gagnants seront les multinationales occidentales de l’agro-alimentaire qui inondent déjà les PECO de leurs produits.
Mais, selon moi, c’est plutôt l’agriculture des pays candidats qui a quelques craintes à avoir. Apparemment, certaines erreurs de la politique agricole de l’UE des années 60 et 70 devraient se répéter, alors qu’elles semblent – en partie du moins – avoir été corrigées dans les Etats de l’actuelle UE. La philosophie du "s'agrandir ou partir" sera étendue vers l’Est. Pour la Slovénie, les responsables du programme agricole SAPARD de l’UE, destiné aux pays candidats refusent systématiquement de donner des moyens à une agriculture écologique pourtant prévue par les directives de l’UE. Au contraire, des terres seront regroupées, le remembrement et l’intensification subventionnés. En Pologne, le nombre des petites fermes doit diminuer aussi rapidement que possible grâce aux "retraites de restructuration" : si un chef d’exploitation vend ses surfaces agricoles à l’âge de la retraite, il reçoit de l’Etat une rente mensuelle de 218 euros. Le syndicat polonais des paysans estime qu’environ 7.000 exploitations disparaîtront chaque année pour cette seule raison. Les petites et moyennes fermes de Slovénie et de Pologne ont survécu lors de la période socialiste parce que les paysans et paysannes s’étaient opposés à la collectivisation. Alors que dans les pays de l’actuelle UE on parle beaucoup de tournant agricole, d’agriculture éco-sociale et de durabilité suite à l’accumulation des scandales de l’agrobusiness, l’UE mène à l’Est cette même politique agricole qui est aujourd’hui remise en question chez nous. Les petites fermes à gestion proche de la nature doivent disparaître. Ces pays sont-ils prêts à défendre leur agriculture et à maintenir ainsi des valeurs qui ont déjà été détruites dans la plupart des pays d’Europe occidentale? Ou bien, demain déjà, les enfants des petits paysans slovènes mangeront-ils des tomates hollandaises?
Sources:
Dr. Matthias Schneider , professeur d’université, coordinateur agriculture in: Preparity - ready to enlarge. Politique structurelle et aménagement du territoire aux frontières de l’UE avec les PECO dans le cadre de l’élargissement à l’Est, pages 17 à 20, Europa-forum, Vienne, 2001
Oliver Tamme , Les Paysans sont-ils perdants? in: "Wege für eine bäuerliche Zukunft", No 269, 05-06/2002, pages 18 et 19.
Mensuel de l’association des paysans de montagne autrichiens Europa-Info Spezial II/2000 (publication du bureau de l’environnement de l’UE à Vienne) et AIZ (Centre d’informations agricoles, Vienne) du 6.6.2001, cité in: "Wege für eine bäuerliche Zukunft", No 269, 05-06/2002, page 19