En septembre dernier, pendant plusieurs nuits de suite, des centaines de migrants ont essayé de traverser illégalement la frontières séparant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Ce qui se passe tous les jours de manière diffuse dans ces coins du globe a pour une fois fait les gros titres des médias de toute l'Europe puisque la guardia civil et/ou l'armée marocaine ont tiré sur ces groupes de migrant-e-s (en tuant plusieurs dizaines) puis ont déporté (illégalement) les survivant-e-s par centaines au beau milieu du désert, sans eau ni nourriture.
(…) Face à cela, notamment autour du réseau Indymedia estrecho et de gens bossant sur le thème de la migration, a été coorganisée entre Malaga, Grenade, Séville, Madrid, Barcelone, Galice et Italie une marche jusqu'à la frontière de Ceuta pour exprimer notre rejet de ces politiques racistes, impérialistes (…) et pour la liberté de circulation... Je passe sur les difficultés de se coordonner, de se mettre d'accord sur un texte (…), un nom, des objectifs et ce par Internet et sans se connaître...
Avec un groupe d'ami-e-s, on décide de participer. On se rend donc le vendredi 4 novembre à Malaga pour ce qu'on envisageait comme l'assemblée de préparation. Là-bas on découvre, déçu-e-s, qu'on n'est pas là pour discuter de ce qu'on va faire. Un programme heure par heure avec une carte a été prévu par les gentils organisateurs et ce jusqu'à l'heure où on doit faire la fête. Tout a été négocié avec les autorités, aucune action n'est envisagée et une présentation d'un contexte super hostile des habitants de Ceuta (principalement des militaires et des flics) est faite. Avec mon groupe affinitaire, on décide après une mini réunion entre nous de participer malgré le tour symbolique/citoyenniste que prend le truc.
Le samedi matin à Algésiras se retrouvent donc 500 personnes de toute la péninsule espagnole, d'autres pays d'Europe et même un anar canadien qui était par hasard dans le même bateau. Dans le bateau, l'ambiance est un peu tendue, entre peur et excitation. On descend sans souci du bateau à Ceuta et la manif prévue jusqu'à l'endroit ou sont mortes le plus de personnes commence. C'est la première manifestation de l'histoire de Ceuta et ça se sent. La police nous encadre discrètement et nous marchons jusqu'à l'extérieur de la ville par les quartiers arabes. Là un accueil curieux puis vraiment chaleureux nous est fait. Les gamins se mettent à nous suivre, portent les tee-shirts de la caravane puis prennent le micro pour crier à la gueule des flics leur ras-le-bol d'être traité comme des chiens. On arrive après plusieurs heures juste à coté de la fameuse «Valla de la muerte», là un cordon policier et militaire nous empêche de nous en approcher. On reste bien sage et quelques personnes passent la rangée de flics conformément à ce qui a été négocié, pour déposer une banderole disant que «tombe la clôture», avec des fleurs au pied de la clôture. Je peste devant le cynisme de la situation. Les gamins eux sont plus hargneux et passent sans demander la permission à personne en utilisant leurs tee-shirts comme cagoule. Impression de Palestine que les très nombreux journalistes (aussi bien alternatifs que traditionnels) filment sous toutes les coutures. On se casse un peu dégoûté du ridicule de la mise en scène. Les gamins arrivent à me remonter le moral en se regroupant à une vingtaine pour chanter «viva los negros» (vive les noirs). Plus tard, sur la plage, on rencontre plusieurs illégaux et partage un bout de repas avec eux. Ils nous racontent comment ils ont passé à la nage la frontière et qu'ils dorment dans un «endroit pour les chats». On repart en manif jusqu'au CETI (centre de rétention de Ceuta ouvert la journée). Au moins 300 hommes et une femme du centre sortent pour nous rencontrer. Une fois encore l'accueil est délirant et une profonde émotion collective se fait sentir. On monte un camp dans le champ juste en face du centre de rétention. Malgré mon scepticisme, la fête prévue est un réel triomphe. Chaque communauté présente ses meilleurs chanteurs au micro, les danseurs s'y mettent et ça devient surréaliste. Plus loin, des jeunes du quartier arabe sont venus nous rejoindre et mettent à fond leur autoradio, formant du même coup une discothèque improvisée tout aussi incroyable. Partout, des petits groupes de gens essayent de communiquer. A 23h ils doivent rentrer au centre et le camp s'endort doucement complètement crevé par cette longue première journée.
Le samedi matin, une grosse assemblée est prévue; elle a surtout pour but de donner la parole aux immigrés. Avec une traduction espagnol/français/anglais/arabe, ils nous racontent la situation dramatique dans leurs pays d'origine, leurs interminables voyages, leurs aspirations à une vie meilleure en Europe. Plusieurs entretiens avec des migrants francophones et plein d'infos sur la caravane en français sont écoutables sur Indymedia Toulouse1.
Ensuite on se dit adieu et on part vers la délégation du gouvernement où une négociation est prévue. Les organisateur-trices veulent profiter du rapport de forces pour obtenir un engagement clair que les personnes étant dans le CETI ne seront pas déportées. Là encore, on est une bonne partie de la manif à se sentir un peu en décalage avec cette volonté de dialogue avec l'institution et les individus directement responsables de la mort de dizaines de personnes. Le délégué écoute et dit au revoir à celle-eux venu-e-s négocier qui du coup peuvent faire une conférence de presse pour exprimer leur indignation (...).
La manif passe par le quartier blanc et l'accueil change. On se fait cracher dessus, certains font des saluts fascistes, beaucoup nous insultent copieusement. Comme décidé auparavant, on ne répond pas à ces provocations et même quand un faf essaie d'étrangler quelqu'un, la situation est gérée relativement calmement. Je découvre avec étonnement ces caricatures de fascistes espagnols nous dire que si on avait des couilles on les emmènerait chez nous, ces arabes.
Au retour vers le bateau, réapparaissent les illégaux qu'on avait rencontrés la veille et d'autres ami-e-s à eux. Ils veulent prendre le bateau avec nous et une partie de la marche décide de prendre au mot ces fascistes; et d'essayer d'aider ces migrant-e-s à désobéir au système des frontières. Au port, une grande partie des gens refuse donc de montrer ses papiers. C'est soit tout le monde passe, soit personne ne passe. La confusion est énorme une partie des gens n'étant pas au courant de ce qui vient à peine de se décider de manière complètement informelle et doit rester un minimum discret. Soudain la police arrête un des gars qui essayait de passer avec nous et là tout s'accélère. L'indignation théorique exprimée depuis le début de la caravane se concrétise et les flics ne peuvent résister à une vague humaine qui déferle pour à la fois libérer le gars en question et rentrer massivement et sans contrôle (et donc avec ou sans papiers) dans le bateau. On descend du bateau sans que la police ne nous contrôle. On sait tous-tes que cette petite victoire ne solutionne pas le vaste problème des inégalités Nord/Sud, des guerres et tout ces trucs. On est juste content-e-s de sentir qu'avec un peu de détermination, d'organisation et de solidarité on peut faire défaillir (un peu) le système...
La lutte continue: Abajo los muros de las fronteras!
Un participant