« Que vont devenir nos villages? Nos lieux de culte historiques? Nos traditions et notre identité sont profondément liées à la terre, aux rivières, à la nature depuis des milliers d’années. Nous allons nous battre contre ce projet de barrage jusqu’au bout» déclare Enrique Rivera, président de l’association culturelle de Terraba.
Enrique n’est pas seul de cet avis: une grande majorité des six communautés indigènes du sud du Costa Rica, concernées par l’implantation du méga projet de barrage Boruca, partagent cette position. Le Canton de Rey Curre, situé au bord de la rivière Terraba, serait complètement englouti par un lac artificiel de 250 km2. Les villages de Boruca, Salitre, Cabagra et Ujarras perdraient une grande partie de leurs territoires. De plus, les villages situés sous le barrage seraient fortement menacés par les tremblements de terre permanents dans cette région. Les forêts de mangrove uniques de Terraba-Sierpe, dans le delta du Rio Grande seraient sérieusement menacées. Le barrage de Boruca doit devenir la centrale hydro-électrique la plus importante d’Amérique Centrale. Il aura une hauteur de 180 mètres, et les turbines produiront 1500 Mgw, surtout pour l’exportation d’électricité vers Mexico et les Etats-Unis. 1500 familles, principalement des indigènes, devront quitter leur village.
Le promoteur du projet, l’Institut National Costaricain de l’électricité (ICE), est également chargé de l’étude sur l’impact environnemental et social. Les communautés villageoises se plaignent depuis des années du manque d’informations et de transparence sur les intérêts qui se cachent derrière ce projet.
Le Plan Puebla Panama
La population costaricaine, qui est attachée au rôle de service public de son Institut de l’Electricité et du Téléphone et qui s’est déjà opposée avec succès en 2000 à un projet de privatisation de cet Institut, soupçonne le projet Boruca d’être un nouvelle tentative de privatisation, et d’être partie prenante d’une stratégie transnationale connue aujourd’hui sous le nom de «Plan Puebla Panama».
Ce plan, pour la réalisation duquel la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International mettent des moyens très importants, vise la construction de voies de communication pour les marchandises, de ports, ainsi qu’un approvisionnement énergétique transnational de l’Amérique Centrale. C’est surtout la côte Pacifique qui est concernée. Les ports doivent faciliter les exportations vers l’Asie et les Etats-Unis, et l’installation d’entreprises textiles (dans des maquiladores ) doit aider à réduire le chômage en Amérique Centrale.
Une partie de l’est de l’Amérique centrale est recouverte de larges étendues de forêt tropicale qui doivent être maintenues comme réserve biologique pour l’utilisation future du potentiel génétique de la flore et de la faune, et comme immense réserve d’eau.
Le Plan Puebla Panama (PPP) est la conséquence logique de la stratégie de globalisation des entreprises multinationales. Les bases juridiques qui le sous-tendent devraient être établies par un traité de libre échange. Les traités entre les Etats-Unis et l’Amérique Centrale doivent être ratifiés prochainement.
Des paysans, des syndicats, des universités, et une grande partie de la population civile voient avec scepticisme ce développement. Ils attirent l’attention sur le fait que le PPP et les traités de libre échange amèneront à une destruction accélérée de l’environnement, à une exploitation grandissante des régions indigènes, à une migration de groupes de populations entiers, et à l’exploitation des forces de travail bon marché à l’intérieur du pays, ainsi qu’à la perte de la sécurité alimentaire nationale.
Retour aux sources
A la mi-mars 2004, un groupe de l’association culturelle costaricaine des Teribes a rendu visite à la tribu des Naso qui est leur tribu d’origine, dans la région de Bocas del Toro, au Panama. Ils étaient accompagnés par une équipe de cinéma autrichienne, deux étudiantes allemandes en ethnologie, et le coordinateur de la Coopérative Longo maï au Costa Rica.
Ce voyage fut pour tous une expérience inoubliable. Le peuple Naso vit encore très retiré et pratique une économie d’autosubsistance dans le haut cours de la rivière Teribe au Panama. La forêt y est si dense que son territoire est seulement accessible par la rivière.
Il y a 300 ans, des Franciscains de cette région avaient kidnappé un groupe d’Indiens et les avaient emmenés au Costa Rica pour démarrer une colonie et créer le village de Terraba. Jusque dans les années 80, il n’y avait eu aucun contact entre les deux tribus soeurs. La première visite au Panama s’est faite à l’occasion de recherches des Teribes sur leurs origines et leur culture. A cette occasion, ils ont trouvé des professeurs Nasos prêts à leur réenseigner leur langue à Terraba. Par la suite, il y a eu des mariages entre Nasos et Teribes.
«A l’occasion de notre visite, en mars, notre surprise fut grande de voir que nos frères du Panama étaient confrontés aux mêmes problèmes que nous, au Costa Rica. Le projet de barrage Bonyic menace leur intégrité territoriale et ethnique. Sans le savoir à l’avance, et comme par une transmission de pensée, notre visite a eu lieu au moment de la réunion générale des onze communautés villageoises des Nasos. Le thème principal était le projet de barrage Bonyic» raconte Enrique Rivera.
Dans le cas de ce projet, l’entreprise exploitante vient de Colombie. L’étude existe depuis 1998. A cette époque, l’entreprise panaméenne HET (Hydro-Electrique du Teribe) et l’entreprise costaricaine Mc Energy avaient planifié le barrage dans la région des Nasos. L’entreprise HET avait obtenu un droit sur l’eau par l’Etat panaméen, mais ne disposait pas du financement nécessaire.
Quatre ans et demi plus tard, elle vendait ce droit à l’entreprise colombienne EPM (Entreprises Publiques de Medellin), qui possède aujourd’hui 75% des actions. Le droit d’eau étant accordé pour 5 ans, l’entreprise EPM est pressée de commencer les travaux.
Mais elle avait juste oublié que la loi l’oblige à obtenir l’accord des Nasos. La tradition des Nasos dit qu’une telle décision ne peut être prise que par l’assemblée générale de tous les villages, une assemblée qui s’est tenue les 9, 10 et 11 mars derniers. Une grande partie des délégués s’est prononcée contre le projet et une commission a été constituée avec pour mission de rassembler des informations plus précises, et de tenir les villages informés.
Sans attendre les résultats, la société EPM a passé un accord avec le principal représentant des Nasos. Cet accord sème la confusion et suscite des conflits internes et une tension grave dans le peuple Naso qui se bat depuis des années pour la reconnaissance légale de son territoire (contrairement au Costa Rica, le Panama n’a pas ratifié les traités internationaux protégeant le droit territorial des indigènes -ILO- convention 169).
Des anthropologues disent qu’avant même la réalisation d’un tel projet, surtout dans les régions indigènes, de telles provocations, tensions et scissions causent des dégâts irréparables.
«Nous devons nous préparer de façon adéquate à ce défit qui menace nos modes de vie et notre autonomie au nom du ‘développement’. Surtout nous, les jeunes qui allons prendre la place de nos parents et de nos aïeux, devons nous former pour avoir dans nos mains les outils pour nous défendre» dit José Gonzalez Salina, étudiant des Nasos qui suit des cours au lycée de Silencio grâce à une bourse autrichienne.
Roland Spendlingwimmer *
* Roland Spendlingwimmer est coordinateur du projet Longo maï dans le sud du Costa Rica. Longo maï est en contact avec la population Teribe depuis une douzaine d’années. Elle coordonne depuis cinq ans des parrainages scolaires européens pour des étudiants de Terraba. José Gonzalez Salina est le premier étudiant de la population Naso qui a obtenu une telle bourse.
Pour plus d’informations ou pour un parrainage:
rolspendling@gmx.net
Sources: Fondation Dobbo Yala, Panama, web: http://www.dobboyala.org.pa ,
e-mail: dobbo@cableonda.net