Cette rencontre était organisée à Hambourg, les 26, 27 et 28 février 2016, par le groupe Lampedusa de Hambourg et le Coalition International des Sans-Papiers et Migrants (CISPM) d’Allemagne, en collaboration avec des groupes de réfugié-e-s auto-organisé-e-s de Berlin, afin de promouvoir un puissant réseau de réfugié-e-s et migrant-e-s ainsi que de créer une plateforme de réflexion et d’apprentissage. Retour sur cette rencontre.
Le groupe Lampedusa, créé en 2013, est né des rencontres de réfugié-e-s, de leurs souffrances vécues dans le camp de rétention de la petite île italienne où la présence des réfugié-e-s est d’un grand intérêt pour le business de la corruption. En effet, les réfugié-e-s de Lampedusa ont fait l’objet d’un marché juteux organisé par la mafia qui sévit en Sicile, selon l’adage bien connu que la fortune fructifie sur la misère. La plupart arrivaient de Libye qu’ils avaient fuie pour des raisons politiques. Ils avaient risqué leur vie pour survivre à cette guerre, et affronté un autre risque pour passer les frontières. Après s’être organisé-e-s à Lampedusa, arrivé-e-s en Allemagne, des questions se sont imposées immédiatement: comment continuer notre combat pour vivre dignement dans le pays d’accueil?
Comment s’organiser?
Après la 1ère conférence des réfugié-e-s d’Allemagne organisée à Hanovre en août 2015, cette rencontre a interpellé beaucoup d’autres associations, et le soutien de certain-e-s politiques de la gauche européenne venu-e-s s’exprimer à la tribune. Un migrant les a ainsi interpellés: «Le réfugié ne devrait pas être un problème. Si on était capable de reconnaître leur potentiel, le pays deviendrait riche».
1550 personnes ont participé à cette rencontre dont de nombreux-ses réfugié-e-s migrant-e-s sans-papiers également tou-te-s très impliqué-e-s dans l’organisation représentant l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, la France, la Pologne, l’Espagne, le Danemark, l’Autriche, la Grèce, la Syrie, le Maroc, la Tunisie, le Yemen, la Colombie et, comme toujours, l’organisation Afrique Europ Interact était présente. Les débats, dans le théâtre Kampangel International Center for Finer Arts qui accueillait tous les participant-e-s, étaient traduits par une équipe de bénévoles simultanément en français, anglais, allemand, serbo-croate, turc et langue des signes.
Une mort lente
Après la présentation des principaux organisateurs de la Conférence, dans la grande salle du théâtre, ces derniers sont intervenus sur les conditions d’accueil et de vie des immigrés en Allemagne. Compte tenu qu’il n’y a pas de titre de séjour définitif (il est accordé pour 3 mois ou plus), ce qui les isole et les divise, la nécessité de s’organiser ensemble s’est imposée. Une radio a été créée dénonçant leur condition de ségrégation, la difficulté de vivre pour les familles avec de très faibles ressources et des conditions de logement très modestes, la difficulté de s’intégrer par manque d’accès à une formation linguistique...
Des associations de citoyens allemands, des étudiants, organisent des projets à orientation culturelle mais aussi contre le racisme, le fascisme et les dictatures de leur pays d’origine et donnent la possibilité aux jeunes migrants qui le souhaitent, de poursuivre leurs études. Les groupes Femmes interviennent au nom des différents ateliers sur le sexisme et le racisme ou sur la situation à Calais.
La conférence s’est organisée autour de nombreux ateliers où les thèmes suivants ont été abordés:
politique intérieure et extérieure de l’Union européenne, reprenant l’expérience de la Marche européenne des sans-papiers de 2012 (traversant avec réussite neuf frontières sans qu’aucun d'eux ne soit arrêté!), racisme, colonisation et décolonisation s’agissant de l’Allemagne, autogestion d’un lieu central pour les migrants, pouvoir de la lutte collective face au racisme ambiant et à la terreur néo-nazie, citoyenneté urbaine et reconnaissance d’un statut de migrant ou de réfugié, violences aux frontières, sans-papiers dans le système de santé, comment soutenir la lutte, empêcher une expulsion, la nouvelle loi sur le droit d’asile en France.
Les femmes se font entendre
En guise d’atelier, environ 300 femmes occupent la scène pendant près de deux heures. «Nous voulons être responsables dans le changement du monde». Tous les débats animés par les femmes, (présentes dans de nombreux groupes) ont été abordés dans un lieu réservé, le Women Space, ouvert aux femmes, filles, LGBT, abordant leurs droits spécifiques et leurs revendications avec des espaces en non mixité et une auto-organisation.
Sur la grande scène du théâtre eut lieu un grand Forum féminin abordant leur propre réalité avec une question centrale en filigrane: à quelles conditions notre volonté d’autogestion peut se réaliser pour permettre une représentation politique, être en mesure d’agir, être actives et changer la donne?
Puis au rythme des slogans, témoignages et chansons, chacune, représentant son pays, s’est exprimée notamment en ces termes: «l’Etat allemand est raciste et sexiste.» «Nous devons être identifiables, les bénévoles de la société civile ont beaucoup de mal à traiter de ces questions: les patriarches ce sont nos pères, ils ne veulent pas prendre en compte ce que nous sommes. Nous avons appris à être dociles pour que ça se passe bien entre nous.» «On est reconnues en tant que réfugiées mais pas en tant que ce que nous sommes: artiste, personne humaine...», «Briser l’isolement, travailler ensemble.» Parmi de nombreux témoignages: «Nous intervenons dans les domaines culturels et sociaux ici et là-bas», «J’ai essayé de dire à mes sœurs, à toutes les femmes de ne pas traverser la mer», «Nous luttons contre les mutilations sexuelles», «Nous devons rendre visite aux femmes isolées, les inviter à participer à notre groupe», «Nous devons reprendre confiance et prendre le pouvoir. On a l’impression qu’on nous dicte notre comportement; les organisateurs sont des hommes»...
Des femmes syriennes ont parlé de leurs souffrances. Leurs enfants sont battus, torturés et tués sous leurs yeux, maris, frères et sœurs sont emprisonné-e-s. «Pour traverser la Turquie pour aller en Grèce, si tu es une femme, tu paies avec ton corps, quand tu es un homme, tu diriges le bateau». «Les personnes blanches essaient de nous organiser, on n’en a pas besoin pour être libres et avoir nos droits. Au Niger – considéré comme pays sûr – les lois brisent les existences, cassent notre avenir. On a pris la scène, mené les débats à la place des organisateurs pour être vues et entendues.
Nous avons pu constater le respect des organisateurs devant ce Forum improvisé qui bousculait l’ordre établi dans le déroulement des ateliers. Nous ne doutons pas que le dialogue se sera instauré ultérieurement dans l’esprit d’auto-organisation, et en toute démocratie, qui a présidé à cette conférence.»
Différentes situations
Puis, les différentes situations dans les pays d’Afrique et en France ont été évoquées.
Au Maroc, à l’heure où se tenait la conférence et depuis de nombreuses années, les migrants se mobilisent suite aux assassinats à la frontière. Des manifestants (300 à 400) devant le Consulat d’Espagne demandent la liberté de circulation. Il y a beaucoup d’enfants mineurs abandonnés. Le commerce équitable lutte contre l’expropriation des terres qui sont exploitées pour l’exportation des ressources au détriment de la consommation locale, raison de l’appauvrissement de la population et de son émigration au prix de nombreuses vies.
En Tunisie, l’art. 26 de la nouvelle constitution garantit le droit d’asile, interdit d’extrader. Mais il existe un délit d’émigration qui sanctionne d’un an de prison et 1000 dinars d’amende. Ce qui se fait en Tunisie va certainement «s’exporter» au Maroc.
L’Italie, une des portes de l’Europe, paie le prix par sa situation géographique. Au Nord-Est, les Autrichiens ont fermé leur frontière de même que la France. Les émigrés sont ainsi prisonniers en Italie. Lampedusa est le symbole de leur lutte. La mobilisation de la Marche Européenne a permis aux émigrés d’obtenir un titre de séjour qui leur permet de travailler, de se loger et de se soigner, ce qui prouve, il faut le souligner, que seule la lutte paie.
En Grèce, les routes de l’immigration ont changé, il y a un afflux de migrant-e-s, beaucoup plus de femmes et d’enfants, des personnes en situation de handicap. Ils ont fait la marche de l’espoir et essayé de détruire les barrières. Sur leur route, il y a beaucoup de solidarité et d’initiatives.
En France les conditions de vie des migrant-e-s sont dramatiques. A Calais comme à Paris, les conditions d’accueil telles qu’elles sont définies par la loi ne sont pas respectées. Les migrants sont gazés, arrêtés, déplacés, enfermés, matraqués, traqués. Où est la dignité humaine? La régularisation par le travail est un parcours de combattant de plus en plus difficile à atteindre.
L’intervention des délégués syriens, appuyée par une vidéo des villes mortes telles qu’Alep, les témoignages de la population dans la douleur des pertes de membres de leur famille, dans le dénuement le plus total, ont été bouleversants.
En Allemagne, la situation est humiliante en tant que demandeur d’asile: «Ce n’est pas un choix, nous avons été obligés de quitter notre pays», «les médias attirent l’attention sur la situation mais escamotent la vérité», «un mauvais regard pèse sur le réfugié, quel qu’il soit», «Je parle parce que j’ai des droits égaux et des capacités comme tout le monde», «La façon dont on est traité est négative».
Il y eut également une déclaration très forte sur les événements de Cologne, montrés comme une manœuvre politique, falsifiant la réalité des faits. Quoiqu’il en soit, les migrant-e-s n’ont pas à s’excuser devant les autorités du pays sur des actes dont ils ne sont pas responsables. Leur lutte ne peut être confondue avec des actes isolés. Cette délégation a reçu une ovation chaleureuse.
Dans le débat sur le droit d’asile en France, la question a été posée de savoir comment s’organiser en tant que demandeur d’asile avec des membres de sa communauté en échange de leur expérience. Les structures d’accueil ne sont pas forcément formées juridiquement.
Mais les aspects restrictifs de cette nouvelle mouture du droit d’asile ne permettent pas, étant donné le raccourcissement des délais d’examen, de construire sérieusement un dossier pour rassembler les documents et preuves nécessaires en vue d’argumenter leur demande. On constate également une mauvaise foi et un retard de la part des services chargés du règlement de l’ADA. Quelques chiffres officiels concernant le droit d’asile en France: les demandes accordées représentent en 2013, 24,50% (1/1000 habitants ce qui place la France au 8ème rang des pays européens), en 2014, 28%, en 2015, moins de 20%. Même si le pourcentage de statuts de demandeurs d’asile accordé en France reste stable, les demandes sont en baisse, la France n’étant plus considérée comme pays d’accueil pour les migrants qui arrivent en Europe.
Rester uni-e-s
En conclusion de cette rencontre, tou-te-s les intervenant-e-s ont fait le constat d’une manœuvre de division entre réfugié-e-s, demandeurs d’asile, sans-papiers, migrant-e-s, alimentée par les déclarations officielles des chefs d’Etat et des médias. Tou-te-s sont tombés d’accord pour dire qu’il s’agit d’une seule et même lutte solidaire pour la conquête de leurs droits.
Dans toute l’Europe, les réfugié-e-s sont traité-e-s comme des criminel-le-s. L’expulsion doit être considérée comme un crime d’Etat.
La nécessité s’est im-posée de multiplier les colloques entre les différentes organisations. Il faut continuer les rassemblements unitaires, réfugié-e-s, migrant-e-s, sans-papiers, saisonnier-e-s, pour une véritable reconnaissance d’appartenance à une citoyenneté. Ces luttes étant à mener partout, dans chaque ville ou région concernée.
Le combat continue résolument pour la liberté de circulation et la liberté d’installation.
Nous remercions les responsables de cette conférence pour leur hospitalité et leur organisation. Des espaces artistiques, musique, peinture, juridiques, gardes d’enfants, lieux de détente, ont permis de fructueuses rencontres, des échanges chaleureux. L’accueil, la nourriture copieuse et variée ont été assurés pendant ces 3 jours pour tous les participant-e-s.