La Cour suprême de Moscou, après avoir examiné un pourvoi en cassation, a confirmé la condamnation du défenseur ukrainien des droits humains et antifasciste Maksym Butkevych. Le 10 mars 2023, un tribunal de la République Populaire autoproclamée de Louhansk (RPL) l’avait condamné à 13 ans de prison pour avoir prétendument blessé deux femmes à Sievierodonetsk en tirant un lance-grenades sur l’entrée d’un immeuble résidentiel.
Le militant ukrainien des droits humains, journaliste et antifasciste Maksym Butkevych avait été capturé par les Russes en juin 2022, mais sa condamnation n’a été rendue publique par un communiqué de presse de la direction principale du comité d’enquête1 que le 10 mars 2023. Ce jour-là, le tribunal de la RPL autoproclamée a déclaré Butkevych «coupable de traitement cruel de civil·es et de prisonnier·es de guerre, d’utilisation de méthodes interdites dans un conflit armé, de tentative de meurtre sur deux personnes et de dommages intentionnels à la propriété d’autrui d’une manière généralement dangereuse».
Depuis 2008, Maksym Butkevych aide les réfugié·es et les migrant·es en Ukraine et suit les questions de xénophobie et le racisme. Il a ensuite travaillé pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugié·es en Europe de l’Est. En 2012, il a fondé le centre des droits humains Zmina et, en 2013, cofondé Radio Hromadske. Après l’invasion russe de la Crimée et du Donbass en 2014, Butkevych a coordonné le centre de ressources pour les personnes déplacées. Après le déclenchement de la guerre, il s’est enrôlé dans l’armée ukrainienne.
L’enquête a insisté sur le fait que le 4 juin 2022, il n’y avait pas d’opérations militaires à Sievierodonetsk, où il se trouvait, et qu’il ne restait que des civils. La compagnie sous le commandement de Butkevych occupait l’un des appartements d’un immeuble résidentiel. Ayant vu par la fenêtre des personnes dans l’entrée de la maison d’en face, Butkevych aurait décidé de leur tirer dessus avec un lance-roquettes Panzerfaust-3 «à des fins d’intimidation» et aurait blessé deux civil·es, alors qu’Ґрати Hraty[2] écrit que l’unité de Maksym Butkevych n’a été redéployée de Kiev vers le Donbass que dix jours après que les actions qui lui sont reprochées auraient eu lieu.
Le 22 août 2023, la cour d’appel de Moscou examinait l’appel contre la condamnation de Butkevych et confirmait la décision du tribunal de la RPL. Après cette audience, il a disparu pendant plusieurs mois – ni ses proches, ni son avocat Léonid Soloviov ne savaient où il se trouvait. Ce n’est qu’à la fin de l’année dernière que Butkevych a été localisé dans la colonie de Krasny Luch, dans la région occupée de Louhansk.
Le procès
Le public est autorisé à assister à la séance. Le trio de juges entre dans la salle. Le panel de juges aujourd’hui: Oleg Kimovich Zatelepin, Evgueni Yurievich Zemskov et Nikolai Pavlovich Dubovik. L’accusation est représentée par la procureure Phillipova. Butkevych est défendu par l’avocat Léonid Soloviov. Avant le début de l’audience, celui-ci s’est rendu dans la salle pour communiquer avec l’accusé.
Maksym Butkevych lui-même participe à la réunion par vidéoconférence depuis le centre de dé-tention de Louhansk. «Je suis très heureux de vous voir», salue-t-il brièvement. La responsable du Comité d’assistance civique, Svetlana Gannouchkina, et six autres personnes sont venues le soutenir. Son avocat demande à joindre le protocole d’inspection de la facturation du téléphone de Butkevych. Il indique que le 4 juin 2022, Butkevych se trouvait à Kiev, et non à Sievierodonetsk, comme le prétend l’accusation. Le deuxième document de Soloviov est un entretien d’avocat avec une Française qui a rencontré Butkevych à Kiev le 7 juin 2022. Cela prouve également qu’il n’a pas pu commettre l’infraction en question. Butkevych lui-même soutient la saisie des documents. L’avocat a noté séparément qu’au cours de l’enquête, Butkevych s’est «auto-incriminé».
La procureure s’oppose à la saisie des documents. Elle considère que le protocole de l’examen de la facturation n’est pas vérifié. Elle ajoute que la cassation ne porte pas sur le fond de l’affaire. Le trio de juges se retire pour décider de l’admission des requêtes. Butkevych reçoit un appel vidéo de ses parents à partir d’un minuscule écran de téléphone. Les huissiers ayant immédiatement coupé le son de la salle, iels tentent de communiquer avec leur fils par gestes. De temps en temps, il fait un signe de tête de compréhension.
Les juges sont de retour dans la salle d’audience. Ils refusent les documents, car l’avocat propose de réexaminer les preuves, ce qui n’est pas de la compétence de l’instance de cassation. Le juge Zatelepin rappelle l’essentiel de l’affaire. Soloviov répète dans sa déclaration qu’il n’y a aucune preuve de la culpabilité de Butkevych dans cette affaire. «Nous ne contestons pas du tout le fait que les victimes ont souffert, que des dommages ont été causés», déclare-t-il. En fait, la culpabilité du défenseur des droits humains n’est prouvée que par les aveux de Butkevych lui-même, il n’y a pas d’autres expertises et preuves dans l’affaire. Outre les aveux, l’affaire contient également le témoignage de Butkevych sur la scène du crime. Mais ils n’ont pas été vérifiés par le tribunal. Selon l’avocat de la défense, l’absence d’autres preuves de la culpabilité de Butkevych justifie l’annulation du verdict et un nouvel examen de l’affaire. Maksym Butkevych commence à parler. On ne l’entend pas très bien, on ne distingue que des mots isolés. Butkevych déclare qu’il s’est engagé toute sa vie dans la défense des droits civiques, et que l’infraction qui lui est reprochée est en contradiction avec cela. Les juges finissent par lui demander de s’éloigner pour être mieux entendu, mais cela ne sert pas à grand-chose.
M. Butkevych, comme son avocat, affirme qu’en dehors de son témoignage initial, il n’y a pas d’autres preuves dans cette affaire. Il note que le tribunal n’a pas cherché à comprendre pourquoi il avait soudainement changé son témoignage après deux mois de captivité. «Je n’ai pris aucune mesure contre la population civile qui puisse être considérée comme une violation des normes internationales», déclare M. Butkevych, qui souligne à nouveau qu’il n’était tout simplement pas présent à l’endroit et à l’heure décrits dans le verdict. Il explique qu’il a avoué parce qu’on avait promis aux prisonniers de guerre qu’ils auraient plus de chances d’être échangés s’ils coopéraient à l’enquête. C’est ainsi que de nombreux Ukrainien·nes ont avoué avoir commis des actes qu’iels n’avaient pas commis. «Butkevych, parlez de vous-même! Ne parlez pas des autres!» – Le juge Zatelepin l’interrompt.
«Je compatis beaucoup avec les victimes», déclare M. Butkevych. En même temps, il ne se fait pas d’illusions sur le «rétablissement de la justice» dans le cadre du système existant en Russie. (…) «D’une part, on m’a dit que si j’acceptais, je serais échangé contre un prisonnier de guerre des forces armées de la Fédération de Russie, peu de temps après ma condamnation. D’autre part, on m’a expliqué que si je refusais, je serais soumis à diverses méthodes d’influence physique. Certaines [méthodes] m’ont été démontrées», répond Butkevych en choisissant soigneusement ses mots. «Les arguments selon lesquels Butkevych s’est incriminé lui-même ne sont pas convaincants. Tous les interrogatoires ont été menés en présence d’un avocat et confirmés par Butkevych lors de la séance du tribunal [à Louhansk]. On lui a expliqué les normes de l’article 51 de la Constitution russe [sur le droit de ne pas s’incriminer soi-même]», note la procureure Phillipova.Après cela, les juges se réunissent pour prendre une décision.
En regardant Butkevych sourire à l’écran, «une personne exceptionnellement positive», s’émerveille Svetlana Gannouchkina en attendant la décision. Les personnes venues assister au procès montrent à Butkevych des lettres et des timbres, il répond par un pouce levé – le son est à nouveau coupé. Les huissiers autorisent Butkevych à montrer un téléphone avec un appel vidéo à ses parents. Le public lui apprend que les lettres lui parviennent non plus en deux mois comme auparavant, mais en 18 jours. Il leur dit qu’il aime tout le monde et qu’il se souvient de tout le monde – le tout écrit sur des feuilles de papier montrées à l’écran. «Patient. Joyeux. Pense à tout le monde», écrit-il.
L’avocat demande au micro si la colonie de Krasny Luch, où est détenu Butkevych, dispose d’un système de cantine[3] pour les prisonnier·es. «Ils le promettent», répond-il. D’après Butkevych, les visites de longue durée y ont déjà été autorisées. Les juges retournent dans la salle. La peine de Butkevych n’a pas été modifiée. Le public n’a pas été autorisé à dire au revoir au défenseur des droits humains – la transmission ayant été coupée immédiatement.
Mediazona*
- Média en ligne russe se concentrant sur la couverture de l’actualité, les analyses, les chroniques sur l’activité des services de police et de justice et le système pénitentiaire en Russie, ainsi que sur diverses formes de persécution des citoyen·nes russes pour leurs opinions politiques. Traduction du russe Archipel. https://zona.media/online/2024/03/13/Butkevych
- Principal organe d’enquête judiciaire de la fédération de Russie.
- Ou Graty (en français barreaux), est un média créé par Anton Naumlyuk, journaliste russe en exil https://graty.me.
- En prison, système d’alimentation de l’extérieur d’un pécule qui permet au prisonnier de «cantiner», c’est-à-dire de se fournir en produits pour améliorer le régime ordinaire. Dans les prisons russes, les détenu·es manquent de tout.