ANTIPATRIARCAT: Le droit de résister: manifeste féministe

de European network for solidarity with Ukraine, 14 sept. 2022, publié à Archipel 317

Depuis le 24 février, la guerre en Ukraine a fait l’objet de nombreuses déclarations, y compris au sein du mouvement féministe international. Pourtant, la voix collective des féministes ukrainiennes n’a pas été entendue jusqu’à présent. Dans un manifeste, elles appellent à défendre le droit des femmes* de résister à la guerre et de déterminer de manière autonome leur stratégie politique face au gouvernement ukrainien.

Nous, féministes d’Ukraine, appelons les féministes du monde entier à la solidarité avec le mou-vement de résistance du peuple ukrainien contre la guerre impérialiste prédatrice déclenchée par la Fédération de Russie. Dans les récits de guerre, les femmes apparaissent souvent comme victimes. Pourtant les femmes jouent également un rôle clé dans les mouvements de résistance, tant sur la ligne de front que sur le front intérieur: de l’Algérie au Vietnam, de la Syrie à la Palestine, du Kurdistan à l’Ukraine.

(…) Nous considérons la solidarité féministe comme une pratique politique qui doit écouter les voix des personnes directement affectées par l’agression impérialiste. La solidarité féministe doit défendre leur droit à décider de manière autonome de leurs besoins, de leurs objectifs politiques et des stratégies pour les atteindre.

Les féministes ukrainiennes ont lutté contre les discriminations systémiques, le patriarcat, le racisme et l’exploitation capitaliste bien avant le moment présent. Nous avons mené, nous menons et nous continuerons à mener cette lutte en temps de guerre comme en temps de paix. Mais l’invasion russe nous oblige à concentrer nos forces sur la lutte de défense générale de la société ukrainienne: la lutte pour la survie, pour les droits et libertés élémentaires, pour l’autodétermination politique.

Nous appelons à une appréciation informée d’une situation spécifique au lieu d’une analyse géopolitique abstraite qui ignore le contexte historique, social et politique. Le pacifisme abstrait qui condamne toutes les parties prenant part à la guerre conduit à des solutions pratiques irres-ponsables. Nous insistons sur la différence essentielle entre la violence comme moyen de soumis-sion et comme moyen légitime d’autodéfense.

L’agression russe met en péril les acquis des féministes ukrainiennes dans la lutte contre l’oppression politique et sociale. Dans les territoires occupés, l’armée russe utilise le viol de masse et d’autres formes de violence sexiste comme stratégie militaire. L’établissement du régime russe dans ces territoires fait peser la menace de criminalisation des personnes LGBTIQ+ et de décriminalisation de la violence domestique. Le problème de la violence domestique s’aggrave dans toute l’Ukraine. La destruction massive des infrastructures civiles, les dégâts environnementaux, l’inflation, les pénuries et les déplacements de population mettent en danger la reproduction sociale.

La guerre intensifie la division genrée du travail, en reportant encore plus sur les femmes le travail de reproduction sociale dans des conditions particulièrement difficiles et précaires. La hausse du chômage et l’attaque des droits du travail par le gouvernement néolibéral exacerbent les problèmes sociaux. Fuyant la guerre, de nombreuses femmes sont contraintes de quitter le pays et se retrouvent en position vulnérable en raison des difficultés d’accès au logement, aux infrastructures sociales, à un revenu stable et aux services médicaux (y compris la contraception et l’avortement). Elles risquent également d’être victimes de la traite d’êtres humains.

Nous appelons les féministes du monde entier à soutenir notre lutte.

Nous exigeons:

  • le droit à l’autodétermination, la protection de la vie et des libertés fondamentales et le droit à l’autodéfense (y compris armée) pour le peuple ukrainien – ainsi que pour les autres peuples – contre l’agression impérialiste.

  • une paix juste, basée sur l’autodétermination du peuple ukrainien, tant dans les territoires contrôlés par l’Ukraine que dans ses territoires temporairement occupés, et prenant en compte les intérêts des travailleuses et travailleurs, des femmes, des personnes LGBTIQ+, des minorités ethniques et des autres groupes opprimés et discriminés.

  • la justice internationale pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis pendant les guerres impérialistes menées par la Fédération de Russie et par d’autres pays.

  • des garanties de sécurité effectives pour l’Ukraine et des mécanismes efficaces pour prévenir de nouvelles guerres, agressions, escalades de conflits dans la région et dans le monde.

  • la liberté de mouvement, la protection, la sécurité sociale pour tous les réfugié·es et les personnes déplacées à l’intérieur du pays, quelle que soit leur origine.

  • la protection et l’expansion des droits des travailleurs et des travailleuses, l’opposition à l’exploitation et à la surexploitation, la démocratisation des relations professionnelles.

  • la priorité accordée à la sphère de la reproduction sociale (crèches, écoles, hôpitaux, aides sociales, etc.) dans la reconstruction de l’Ukraine après la guerre;

  • l’annulation de la dette extérieure de l’Ukraine (et d’autres pays de la périphérie du système capitaliste mondial) pour la reconstruction d’après-guerre et la prévention de nouvelles politiques d’austérité;

  • la protection contre les violences sexistes et la garantie de la mise en œuvre effective de la Convention d’Istanbul;

  • le respect et l’extension des droits et des capacités des personnes LGBTIQ+, des minorités nationales, des personnes handicapées et des autres groupes discriminés.

  • le renforcement des droits reproductifs des filles et des femmes, y compris les droits universels à l’éducation sexuelle, aux services médicaux, aux médicaments, à la contraception et à l’avortement.

  • la visibilité et la reconnaissance du rôle actif des femmes dans la lutte anti-impérialiste.

  • l’inclusion des femmes dans tous les processus sociaux et de prise de décision, en temps de guerre comme en temps de paix, sur un pied d’égalité avec les hommes.

Aujourd’hui, l’impérialisme russe menace l’existence de la société ukrainienne et affecte le monde entier. Notre lutte commune contre l’impérialisme exige des principes partagés et un soutien mondial. Nous appelons à la solidarité et à l’action féministes pour protéger les vies humaines ainsi que les droits, la justice sociale, la liberté et la sécurité. Nous défendons le droit de résister. Si la société ukrainienne dépose les armes, il n’y aura plus de société ukrainienne. Si la Russie dépose les armes, la guerre prendra fin.

Pour soutenir ce manifeste, vous pouvez le signer ici: https://forms.gle/SvPJFpcWPJN7VP9v9

  • Par femmes, nous et elles entendons toutes celles qui se définissent comme telles, qu’elles aient été assignées ainsi à la naissance ou pas.