Le Forum Civique Européen a organisé début mai, en collaboration avec le Comité d’Aide Médicale en Transcarpatie (CAMZ), un premier atelier de formation sur la santé mentale et les troubles du stress post-traumatique.
A côté de l’aide d’urgence et du relogement des personnes déplacé·es, il nous semblait primor-dial de s’attaquer également aux problématiques liées aux expériences traumatiques vécues du-rant la guerre: des millions de personnes ont été jetées sur les routes en ayant tout abandonné, beaucoup ont perdu des proches, des villages et des villes entières ont été totalement détruit·es et les bombardements incessantes des villes et des zones d’habitations civiles ukrainiennes par l’armée russe suscitent un sentiment général de profonde précarité. Durant ces deux dernières semaines, l’armée russe a fortement intensifié ses bombardements des villes et des infrastructures ukrainiennes. L’armée russe vise fort probablement à perturber l’organisation de la contre-attaque ukrainienne, annoncée pour ce printemps. Au cours de notre séjour, les sirènes antiaériennes ont retenti et tout le monde suit les alertes en temps réel sur une appli gouvernementale.
Face à l’urgence de la guerre, les questions des troubles psychiques et des traumatismes sont souvent reléguées au deuxième plan, alors qu’il est important de s’atteler à cette tâche dès à présent. Nos ami·es ukrainien·nes nous ont aussi rapporté que le système psychiatrique ukrainien est encore largement déficient et dominé par une approche autoritaire et coercitive, comme ça l’était à l’époque soviétique.
Nous avons donc invité deux amies, une psychologue suisse et une psychiatre française, qui ont toutes les deux une longue expérience professionnelle avec des personnes déracinées en Europe, mais aussi directement dans des zones de guerres comme par exemple en Tchétchénie. Les deux intervenantes étaient très complémentaires et pouvaient rapporter beaucoup d’exemples concrets de leur manière de travailler avec des personnes en situation de détresse grave. L’atelier de trois jours s’est tenu en Transcarpatie, à l’ouest de l’Ukraine dans le village de Nijne Selichtche. C’est là que se trouve la coopérative de Longo maï qui a organisé à l’automne dernier la rénovation d’un ancien bâtiment de la mairie pour y installer un refuge d’accueil d’urgence pour 35 personnes ayant fui les zones de guerre, à l’est de l’Ukraine.
Le séminaire s’adressait donc d’un côté aux volontaires locaux et aux travailleur·euses sociaux/les qui accompagnent quotidiennement ces personnes déplacées mais qui n’ont pas d’expériences professionnelles concernant les troubles psychiques.
Le deuxième groupe de participant·es étaient des psychologues travaillant dans différents endroits en Transcarpatie, et il y avait aussi un groupe de psychologues venu de Zaporijjia, ville de l’Ukraine centrale située à trente kilomètres du front. Pour les participants de cette ville qui est très régulièrement bombardée par l’armée russe et où les écoles, par exemple, n’ont pas rouvert depuis maintenant quinze mois, c’était une première «sortie» dans un lieu plus sécurisé et tranquille. A titre personnel, c’était important de pouvoir leur offrir un temps et un espace pour décompresser et échanger. En effet, la Transcarpatie n’a pas été bombardée depuis le début de la guerre et se prête donc bien à la mise en place de programmes d’aide psychologique. La question du burn-out, de l’épuisement qui peuvent toucher les personnes soignantes et accompagnantes a été abordée lors de la rencontre. Il existe des méthodes et des pratiques pour nous aider à garder de la distance, même quand on est confronté tous les jours à des récits horribles. Il faut apprendre à s’extraire, se reposer, garder du temps pour sa famille et ses proches et aussi pratiquer des activités physiques et de plein air si c’est possible. La supervision par des thérapeutes extérieurs comme pratique de conseil et d’aide peut aussi être très bénéfique. Une des assistantes sociales qui travaille dans un refuge à Oujhorod racontait par exemple qu’une maman ne supportait pas que ses enfants jouent, socialisent et s’amusent avec d’autres enfants. Face à son propre traumatisme, elle ne pouvait pas voir ses enfants mener une vie d’enfants «normale», au point qu’elle les enfermait dans leur chambre quand elle allait faire des courses. L’échange avec les autres participant·es du séminaire a permis de réfléchir à des manières d’intervenir délicatement tout en insistant sur le fait qu’on ne pouvait absolument pas laisser des enfants dans une telle situation. Une des animatrices du séminaire a raconté comment iels faisaient à l’époque, dans un camp de réfugié·es tchétchènes: iels avaient installé une tente spéciale où les enfants pouvaient jouer, des-siner, chanter et s’amuser. Cela permettait aux enfants de se soustraire pendant un temps au stress ambiant et, une fois la confiance avec les mamans établie, aussi à celles-ci de se reposer ou de se ressourcer un peu.
Le séminaire comportait des moments théoriques, comme par exemple sur la définition médicale du trauma et des troubles du stress post-traumatique (TSPT) et sur comment les différencier des réactions de stress et de détresse, «normales» dans une situation de guerre. Notre amie psychiatre a aussi donné des explications aux personnes non spécialistes pour les aider à reconnaître le degré d’une dépression et identifier s’il faut faire appel à un médecin ou psychiatre. Une autre partie de l’atelier était destinée à donner des «outils» à des personnes travaillant sur le terrain et au contact quotidien de réfugié·es dans un objectif de prévention de troubles plus graves: groupes de paroles, ateliers de dessin avec des enfants, groupes de soutien, activités socialisantes telles que le chant, la cuisine, le jardinage, etc.
Il s’agissait aussi de donner plus d’autonomie aux personnes accompagnantes. Tous les participant·es de l’atelier étaient très content·es et reconnaissant·es, et nous réfléchissons actuellement à organiser des nouveaux séminaires semblables.
D’autres idées sont en discussion, par exemple le projet de proposer des formations plus spécialisées pour l’aide d’urgence psychiatrique à des médecins généralistes dans la région. En effet, il y a d’un côté un manque de psychiatres et de l’autre une certaine peur ou appréhension d’en consulter un·e. Et puis la première personne de contact est souvent le médecin généraliste.
Il y a également une étude en cours dans différentes localités de la Transcarpatie, auprès de médecin·es, pharmacien·nes, instituteurs/trices et personnes volontaires dans l’accueil, pour définir plus précisément les besoins en aide psychologique et psychiatrique.
Une autre grande problématique qui ne pourra pas à long terme se résoudre uniquement avec des volontaires locaux mais qui nécessitera une politique au niveau national est celle des personnes âgées, handicapées ou souffrant de maladies chroniques. La plupart des refuges pour personnes déplacées ont été prévus sur une base temporaire, à l’est de l’Ukraine, plus près du front, l’accueil n’est souvent prévu que pour quelques jours. À Nijne Selichtche, l’accueil dans le refuge est concu pour un maximum de six mois.
Grâce à l’accompagnement par des volontaires locaux, plusieurs pensionnaires du refuge ont réussi à trouver un emploi dans la région proche et par la suite aussi un hébergement indépendant. Cela permet à des familles de s’autonomiser et de participer à la vie locale mais aussi de libérer des places pour des personnes qui étaient en liste d’attente. Mais il en va autrement des personnes âgées et non valides qui ont souvent perdu des proches et tous leurs biens. Ces personnes ont évidemment été autorisées à rester dans le refuge, mais cela pose des questions sur l’accompagnement et le soutien nécessaire à plus long terme.
Paul Braun, FCE – France