Cet article a été écrit quelques jours après la destruction par la Russie du barrage de Nova Kakhovka, le 6 juin dernier, mais les conséquences vont s’en faire sentir pour encore longtemps. Comme celles d’une explosion délibérée de la centrale de Zaporijjia, contre laquelle l’Ukraine met en garde depuis des semaines, apparemment en vain.
La Fédération de Russie a, dans la nuit du 5 au 6 juin 2023, commis un nouvel acte d’écocide en Ukraine en faisant exploser la centrale hydroélectrique de Nova Kakhovka. Il s’agit de la plus grande catastrophe d’origine humaine survenue en Europe au cours des cinquante dernières années. Elle a des conséquences pour l’Ukraine, pour l’Europe, pour le monde. Cet écocide dû à une guerre est dans la continuité de celui provoqué par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam qui déversa au-dessus des forêts vietnamiennes un puissant défoliant chimique: l’agent orange. Ce crime, en provoquant des ravages humains et environnementaux durables, a permis la définition de l’écocide «le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction to-tale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population». C’est ce qui s’est passé avec la destruction du barrage de Nova Kakhovka.
Long de 240 kilomètres, le réservoir attenant à ce barrage contenait plus de 18 milliards de tonnes d’eau. Sa rupture a pour conséquence première l’inondation qui fait disparaître des dizaines de villages sur les deux rives du Dniepr, la mort de centaines d’habitant·es et l’évacuation de dizaines de milliers d’autres. Les mines dispersées et non encore explosées mettent les secours en danger un peu partout. Un à deux millions de personnes sont durablement privées d’eau po-table et d’électricité. Le brassage des égouts et des cimetières s’ajoute à l’inondation pour créer le risque probable d’épidémies (choléra, dysenteries…) et ajoute au désastre écologique, une catastrophe sanitaire. Les associations environnementales ukrainiennes dénoncent cet écocide comme «la pire catastrophe environnementale en Europe depuis Tchernobyl».
Cet écocide est un crime contre la biodiversité. Alors que l’Ukraine concentre 35% de la flore et de la faune européenne, les combats ont bouleversé les écosystèmes du pays. L’attaque contre le barrage contribue à l’extinction de la faune aquatique et terrestre. La première conséquence, liée au déversement des 18 milliards de tonnes d’eau que retenait le barrage, fera subir au Dniepr, quatrième fleuve le plus long d’Europe, une grave perturbation de ses écosystèmes jusqu’aux zones côtières de la mer Noire. Elle est aggravée par la pollution chimique massive: 150 tonnes et potentiellement 300 tonnes d’huile de machine provenant d’une usine attenante au barrage se déversent ainsi que les silos et dépôts d’engrais et de pesticides; des sels de métaux lourds et des dépôts radioactifs sont brassés. Le tout va ensuite polluer la mer Noire, cependant que l’assèchement progressif de la zone inondée et du fond du barrage risque de former une sorte de désert, le tout dans le contexte du réchauffement global.
Les effets de la destruction de ce barrage pourraient s’étendre sur 5000 kilomètres carrés. En amont, des écosystèmes aquatiques entiers pourraient être privés d’eau et disparaître, Des milliers de poissons ont été retrouvés, morts, sur le fond asséché du réservoir. Au total, quarante-trois espèces de poissons pourraient être privées de leur habitat. Les plantes aquatiques, hirondelles et canards morillons qui vivaient dans le réservoir pourraient également périr. En aval, 48 zones protégées – dont trois parcs nationaux notamment la réserve de biosphère de la mer Noire classée à l’Unesco, sont directement menacés – pourraient être détruites par les inondations.
Cet écocide met en danger la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijjia. La plus grande centrale nucléaire d’Europe, la ZNPP située à Zaporijjia, utilise l’eau du réservoir de Kakhovka pour refroidir les réacteurs. Le niveau d’eau nécessaire à la centrale diminue très rapidement, ce qui constitue une menace potentielle pour cette centrale, avec les conséquences que cela implique pour l’ensemble du continent européen. Située en amont du barrage, la retenue d’eau formée par le barrage de Nova Kakhovka représente jusqu’à présent la principale source de refroidissement de cette installation nucléaire; si le niveau du réservoir passe sous la barre de 12,7 mètres, l’eau qu’elle contient ne pourra plus être pompée pour refroidir l’installation. Le tarissement à moyen terme de l’eau de refroidissement de la centrale nucléaire occupée met en danger les installations déjà minées par les forces russes.
Cet écocide est un crime humanitaire contre le peuple ukrainien et contre les peuples du Sud. L’Ukraine est l’un des principaux pourvoyeurs mondiaux de céréales. La récolte céréalière 2024 des régions environnantes est gravement compromise avec des effets mondiaux. Les silos de grains sont sous l’eau. Le barrage de Kakhovka est aussi utilisé pour fournir de l’eau potable et l’irrigation pour la partie méridionale de l’Ukraine, déjà l’une des plus sèches du pays. Sa destruction constitue donc un risque majeur pour l’alimentation en eau de millions de personnes. Des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles seront privées d’eau, ce qui pourrait entraîner une catastrophe humanitaire et menacer la sécurité alimentaire du pays. Depuis le début de la guerre et le bouleversement des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’accès à une alimentation de base devient extrêmement compliqué dans plusieurs régions du monde, surtout au Sud. La Russie et l’Ukraine représentent 30% des exportations de blé. Depuis la guerre, les prix explosent et les produits disparaissent des étals. Les dommages concerneront l’agriculture et l’élevage, laissant craindre un désastre humanitaire.
La guerre d’agression coloniale de la Russie de Poutine contre l’Ukraine est aussi un écocide. Des enquêteurs spécialisés ont déjà recensé plus de 23.000 atteintes à l’environnement liées aux combats. La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka s’ajoute à la liste déjà longue des désastres humains et écologiques provoqués par la guerre en Ukraine. L’invasion russe, qui a causé la mort de milliers de civil·es, a également ravagé la nature. Depuis février 2022, 300 mil-lions de mètres carrés de terres ukrainiennes ont été pollués, plus de 1000 feux de forêt ont été déclenchés, et 3 millions d’hectares de bois endommagés. Depuis plus d’un an, la guerre en Ukraine fait des ravages sur l’environnement et la biodiversité. Forêts rasées, terres agricoles minées, eaux contaminées, faune menacée… Selon le PNUE, l’autorité environnementale des Nations unies, ces destructions ont engendré une augmentation de la pollution atmosphérique et une contamination «potentiellement grave» des eaux souterraines et de surface.
Face à cette écologie de guerre menée par les troupes de Poutine nous sommes indigné·es de l’absence de réaction ou des réactions à la fois équivoques et lentes quant à l’aide urgente à ap-porter de la majeure partie des dirigeants internationaux. De telles actions ne peuvent rester impunies! L’impunité encourage le régime du Kremlin à commettre de nouveaux crimes de guerre, écocides et génocides en Ukraine et dans d’autres pays.
Nous affirmons notre solidarité avec les populations d’Ukraine victimes du crime de guerre, crime contre l’humanité, que constitue la destruction partielle du barrage de Nova Kakhovka sur le Dniepr et nous appelons à manifester contre cet écocide.
Nous appelons l’ONU, la Croix-Rouge et les ONG humanitaires à sortir de l’inaction coupable et à exiger immédiatement le libre accès à la rive gauche du Dniepr occupé où le pire est à craindre pour les habitants·es. Nous appelons toutes les forces se voulant attachées à l’émancipation humaine et à la défense de la terre, à apporter immédiatement leur solidarité morale et matérielle en relation avec les organisations de la société civile, les associations écologistes ukrainiennes et les syndicats ukrainiens.
Comité français du réseau européen de solidarité avec l’Ukraine