UKRAINE: Appel de féministes russes à s'opposer à toutes les guerres

de femagainstwar, 15 avr. 2022, publié à Archipel 313

Des manifestations d’opposition à la guerre en Ukraine se poursuivent en Russie malgré les milliers d’arrestations qu’ont réalisées les forces de sécurité du pouvoir depuis son déclenchement. Parce qu’il nous paraît important de faire entendre des paroles de la société russe, nous publions à notre tour ci-dessous l’appel contre la guerre de féministes parties prenantes des mobilisations.

Le 24 février, vers 5h30 du matin, heure de Moscou, le président russe Vladimir Poutine a annoncé une «opération spéciale» sur le territoire de l’Ukraine visant à «dénazifier» et «démilitariser» cet État souverain. Cette opération était préparée de longue date. Depuis plusieurs mois, les troupes russes se rapprochaient de la frontière avec l’Ukraine. Dans le même temps, les dirigeants de notre pays ont nié toute possibilité d’attaque militaire. Maintenant, nous savons qu’il s’agissait d’un mensonge.

La Russie a déclaré la guerre à son voisin. Elle n’a pas laissé à l’Ukraine le droit à l’autodétermination ni l’espoir de mener une vie en paix. Nous déclarons – et ce n’est pas la pre-mière fois – que la guerre est menée depuis huit ans à l’initiative du gouvernement russe. La guerre dans le Donbass est une conséquence de l’annexion illégale de la Crimée. Nous pensons que la Russie et son président ne sont pas et n’ont jamais été préoccupés par le sort des habi-tant·es de Louhansk et de Donetsk, et que la reconnaissance des républiques, huit ans après leur proclamation n’a été qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine sous couvert de libération.

En tant que citoyennes russes et féministes, nous condamnons cette guerre. Le féminisme, en tant que force politique, ne peut être du côté d’une guerre d’agression et d’une occupation militaire. Le mouvement féministe en Russie lutte en faveur des groupes vulnérables et pour le développement d’une société juste offrant l’égalité des chances et des perspectives, et dans laquelle il ne peut y avoir de place pour la violence et les conflits militaires.

La guerre est synonyme de violence, de pauvreté, de déplacements forcés, de vies brisées, d’insécurité et d’absence d’avenir. Elle est inconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe. La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années les acquis en matière de droits humains. La guerre apporte avec elle, non seulement la violence des bombes et des balles, mais aussi la violence sexuelle: comme l’histoire le montre, pendant une guerre, le risque d’être violée est multiplié pour toutes les femmes. Pour ces raisons et bien d’autres, les féministes russes et celles qui partagent les valeurs féministes doivent prendre une position forte contre cette guerre déclenchée par les dirigeants de notre pays.

La guerre actuelle, comme le montrent les discours de V. Poutine, est également menée sous la bannière des «valeurs traditionnelles» proclamées par les idéologues du gouvernement – des va-leurs que la Russie, tel un missionnaire, aurait décidé de promouvoir dans le monde entier, en utilisant la violence contre celles et ceux qui refusent de les accepter ou qui ont d’autres opinions. Toute personne dotée d’esprit critique comprend bien que ces «valeurs traditionnelles» incluent l’inégalité de genre, l’exploitation des femmes et la répression d’État contre celles et ceux dont le mode de vie, l’identité et les agissements ne sont pas conformes aux normes patriarcales étroites. L’occupation d’un État voisin est justifiée par le désir de promouvoir ces normes si faussées et de poursuivre une «libération» démagogique; c’est une autre raison pour laquelle les féministes de toute la Russie doivent s’opposer à cette guerre de toutes leurs forces.

Aujourd’hui, les féministes sont l’une des rares forces politiques actives en Russie. Pendant longtemps, les autorités russes ne nous ont pas perçues comme un mouvement politique dangereux, et nous avons donc été temporairement moins touchées par la répression d’État que d’autres groupes politiques. Actuellement, plus de 45 organisations féministes différentes opèrent dans tout le pays, de Kaliningrad à Vladivostok, de Rostov-sur-le-Don à Oulan-Oudé et Mourmansk. Nous appelons les féministes et les groupes féministes de Russie à rejoindre la Résistance féministe antiguerre et à unir leurs forces pour s’opposer activement à la guerre et au gouvernement qui l’a déclenchée. Nous appelons également les féministes du monde entier à se joindre à notre résistance. Nous sommes nombreuses, et ensemble nous pouvons faire beaucoup: au cours des dix dernières années, le mouvement féministe a acquis un énorme pouvoir médiatique et culturel. Il est temps de le transformer en pouvoir politique. Nous sommes l’opposition à la guerre, au patriarcat, à l’autoritarisme et au militarisme. Nous sommes l’avenir qui prévaudra.

Nous appelons les féministes du monde entier

  • À rejoindre des manifestations pacifiques et à lancer des campagnes de terrain et en ligne contre la guerre en Ukraine et la dictature de V. Poutine, en organisant vos propres actions. N’hésitez pas à utiliser le symbole du mouvement de Résistance féministe antiguerre dans vos documents et publications, ainsi que les hashtags #FeministAntiWarResistance et #FeministsAgainstWar.
  • À propager les informations sur la guerre en Ukraine et l’agression de V. Poutine. Nous avons besoin que le monde entier soutienne l’Ukraine en ce moment et refuse d’aider le régime de Poutine de quelque manière que ce soit.
  • À partager ce manifeste autour de vous. Il est nécessaire de montrer que les féministes sont contre cette guerre – et tout type de guerre. Il est également essentiel de montrer qu’il existe encore des militantes russes prêtes à s’unir pour s’opposer au régime de V. Poutine. Nous risquons toutes d’être victimes de la répression d’État désormais et nous avons besoin de votre soutien.

Source: Canal télégramme: https://t.me/femagainstwar

ENCADRE

Un appel des militantes du groupe de la Huitième Initiative

Le 5 mars 2022, la police et la police anti-émeute ont fait irruption dans les maisons de nos militantes, de celles d’autres mouvements féministes, et de quelques étrangers également. Une marche anti-guerre entièrement russe était prévue pour le 6 mars, y compris une colonne de femmes, que nous avions préparée ensemble.

Nous considérons que ce n’est absolument pas un hasard si les perquisitions et les arrestations ont frappé les militantes féministes préci-sément la veille de cette marche. Ils voulaient lancer une attaque préventive et ils ont réussi – le 6 mars, toutes les personnes qui ont participé à la marche se sont retrouvées sans notre aide ou notre coordination. Nous pensons que ces accusations absurdes et inventées de «canulars à la bombe» représentent une tentative de détruire complètement notre mouvement, de nous réduire au silence. Mais nous ne serons pas détruit·es et nous ne nous tairons pas non plus.

Nous sommes un mouvement populaire et horizontal. Peu importe à quel point les forces de sécurité voudraient «couper la tête» du Groupe de la Huitième Initiative, de la Résistance Féministe Anti-Guerre et de nos autres camarades, elles n’y parviendront pas. Nous n’avons pas de tête. Nous n’avons pas de chefs – c’est quelque chose qu’ils ne comprendront jamais. Et maintenant, nous allons rassem-bler toutes nos forces en un poing et continuer à travailler – pour nous, ce n’est pas un choix, mais un devoir.

Oui, la réalité a changé, les risques sont plus élevés que jamais, et le travail est plus difficile. Il est fort probable que nous ne vous appellerons pas DIRECTEMENT à descendre dans la rue – nous ne voulons pas que les militant·es soient mêlé·es à de nouvelles affaires criminelles. La meilleure stratégie consiste peut-être à mener des actions de «guérilla» dispersées: continuez à distribuer des tracts, à diffuser des informations par tous les moyens possibles, et surtout, unissez-vous les un·es aux autres.

Dans l’entête de notre profil, il y a un lien vers une page avec nos tracts anti-guerre. Les rubans verts sont un symbole de paix et de protestation contre la guerre. Utilisez-les. De même, le mouvement russe anti-guerre a un drapeau blanc-bleu-blanc. Le symbolisme est très important pour la protestation, c’est l’un de ses piliers. Nous poursuivons notre combat et nous vous invitons à ne pas désespérer et à ne pas abandonner – mais en même temps, soyez extrêmement prudent·es. L’essentiel est que nous sommes des millions, et que le bon sens, la conscience et la vérité sont de notre côté. Merci pour tout ce que vous faites et pour continuer à lutter pour la paix avec nous.

Contact: https://www.instagram.com/femspb/