Lors de notre séjour en Grèce en mai 20131, nous avons beaucoup entendu parler de la lutte contre la privatisation de l’eau à Thessalonique. C’est à cette occasion que nous avons réalisé un entretien pour Radio Zinzine avec Kostas Nikolaou, l’un des coordinateurs et porte-parole de cette lutte. Voici l’essentiel de ses propos, avec quelques mises à jour.
Je suis engagé dans le mouvement pour une économie sociale et solidaire dont fait partie l’Initiative 136 qui mène la lutte contre la privatisation de la gestion de l’eau et du traitement des eaux usées de la conurbation de Thessalonique. L’objectif est de la faire passer dans les mains des citoyens via des coopératives. Thessalonique est la deuxième ville de la Grèce avec plus d’un million d’habitants.
Cette privatisation fait partie d’un phénomène beaucoup plus vaste en Grèce qui ne concerne pas uniquement l’eau ou la gestion municipale. Elle touche des secteurs qui devraient être gérés par l’Etat, comme par exemple l’évaluation des études d’impact environnemental nécessaires avant l’implantation d’une usine ou d’un hôtel. Jusqu’à présent, ce travail a été réalisé par des fonctionnaires d’Etat, mais désormais ce seront des entreprises privées qui en auront la responsabilité, ce qui est totalement inacceptable.
L’entreprise publique de gestion de la distribution de l’eau à Thessalonique, EYATH, est très rentable avec un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros et des profits annuels d’environ 20 millions. Elle ne reçoit pas de subventions de l’Etat. Où est le problème? C’est une entreprise qui marche bien. Elle appartient pour presque 75% à l’Etat et 25% au secteur privé. Aujourd’hui la Taiped2 veut vendre 51% d’EYATH. Pourquoi?
On estime le prix d’achat de 80 à 100 millions d’euros, donc le profit de quelques années, ce qui représente un investissement très intéressant pour une entreprise privée. D’autant plus si celle-ci augmente le prix de l’eau, comme ces compagnies le font en général. Partout dans le monde, la privatisation mène à une hausse des prix et un abaissement de la qualité. Quand ce n’est plus un service public, des familles perdent souvent l’accès à l’eau. De plus, une partie du personnel serait certainement licenciée.
Initiative 136 L’Initiative 136 a débuté en 2011, d’abord pour contester la privatisation et ensuite, si le gouvernement persiste à vouloir vendre EYATH, pour assurer que la gestion revienne sous le contrôle des citoyens de la ville par le biais d’une union de coopératives à but non lucratif qui réunirait tous les citoyens. Nous l’avons appelé 136, parce que c’est le chiffre que l’on obtient en divisant la somme à laquelle le gouvernement veut vendre la compagnie par le nombre de foyers3.
Nous avons commencé à créer des coopératives dans chaque municipalité de la région urbaine de Thessalonique couverte par les services d’EYATH qui ont à leur tour formé l’Union des Citoyens pour l’Eau. L’idée est que ces coopératives achètent 51% de la compagnie. Puisque nous n’avons pas d’argent, nous avons trouvé 22 institutions financières éthiques de plusieurs pays – Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie, Danemark et Norvège4 – qui sont d’accord pour avancer l’argent nécessaire à l’achat, si le gouvernement accepte cette proposition. Ensuite, ils accorderont des microcrédits de 136 euros aux familles souhaitant participer à cet achat citoyen mais n’ayant pas les moyens suffisants, ce qui est le cas de nombreuses personnes touchées par la crise. C’est grâce à ce système que les coopératives, en tant que structures, n’auront pas de dettes suite à l’achat, ce qui est très important. En fait, ces institutions accorderont l’argent directement aux citoyens sous forme de microcrédits. Un groupe de conseillers a déjà monté ce genre d’affaire, en Angleterre et ailleurs, avec des programmes qui en permettent la gestion.
En fait, ce sont ces institutions qui ont pris contact avec nous, car elles étaient impressionnées par notre lutte pour le maintien du contrôle civique sur l’eau. Nous faisons partie d’un mouvement européen contre la privatisation et sommes connus donc en dehors de la Grèce. Elles ont proposé de nous aider.
Il y a quatre candidatures à l’achat: Suez avec une compagnie grecque, une entreprise gréco-russe, une compagnie israélienne et l’Initiative 136. Nous proposons de maintenir l’entreprise EYATH en l’état, avec son personnel, ses techniciens et ingénieurs, avec les mêmes directeurs, car c’est une équipe qui fonctionne bien. Nous pensons qu’il sera même possible de la gérer encore plus efficacement et de baisser les coûts. Les principes de notre gestion seront une haute qualité, des prix bas, la protection de l’environnement, un fonctionnement démocratique et la justice sociale.
Economie sociale et solidaire C’est une approche qui est nouvelle pour la Grèce et qui est peu connue en Europe et même dans le monde, celle d’une nouvelle économie sociale et solidaire. L’Initiative 136 est contre la privatisation de l’eau mais dit aussi que le gouvernement et l’Etat ne font pas bien le travail et qu’il vaudrait mieux qu’il soit mis entre les mains des citoyens. Il en est de même pour ce qui est des déchets municipaux, et pourrait l’être pour l’alimentation. Si notre candidature est retenue, ce sera la plus grande conurbation au monde avec une gestion citoyenne, mais il y a déjà beaucoup de villes plus petites qui ont adopté ce système. Les sondages montrent que 75% de la population sont favorables à la proposition du Mouvement 136. D’autre part, tous les conseils municipaux de la grande Thessalonique sont opposés à la privatisation et soutiennent la proposition de l’Initiative 136, dans le cas d’une mise en vente d’EYATH.
Je crois que cette histoire du combat autour de l’eau aidera à faire avancer plus largement cette approche sociale et solidaire de l’économie grâce à un travail collectif.
A l’heure actuelle, la Taiped exclut l’Initiative 136 de la deuxième phase de la compétition, sans expliquer sa décision. Cette situation est inacceptable. Mais rien n’est joué. Nous continuons le combat juridique et dans la société. 1.500.000 citoyens européens ont signé une pétition contre la privatisation de l’eau à la suite de quoi la Commission européenne a déclaré que ce n’est pas sa politique d’imposer la privatisation de l’eau dans les Etats membres.
L’Initiative 136 est en train de créer des coopératives dans tous les quartiers et les municipalités de la grande Thessalonique (six coopératives sont déjà créées), mais a également créé Solidarité 136, une autre coopérative qui permet à toute personne vivant ailleurs en Grèce ou dans n’importe quel pays de devenir actionnaire solidaire.
* Docteur es sciences environnementales à l’Université Paris VII, travaille pour la planification et la protection de l’environnement à Thessalonique, enseigne la planification environnementale des villes à l’université ouverte de Grèce. Cette émission, ainsi que d’autres réalisées à cette occasion pour Radio Zinzine, peuvent être téléchargées sur <www.radiozinzine.org>.
Pour plus d’information: <www.136.gr>;
Mouvement européen pour l’eau <www.europeanwater.org>
- Voir Archipel No 216, juin 2013, Résistance dans le laboratoire grec et Archipel No 217, juillet-août 2013, Ne laisser personne seul face à la crise!
- La société anonyme créée par le gouvernement grec et la Troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne, Fonds monétaire international) pour mener le programme de privatisation de biens de l’Etat, censé contribuer au remboursement de ses dettes.
- On estime à 520.000 le nombre de compteurs d’eau.
- Entre autres, le Crédit Coopératif en France, la Banca Etica en Italie, GLS Gemeinschaftsbank en Allemagne, Cooperative Banking Group et Ecology Building Society en Grande-Bretagne…