Résistance au plat du jour!

de Raymond Gétaz, FCE, 9 déc. 2019, publié à Archipel 287

Que pouvons-nous faire ici pour lutter contre l’industrialisation galopante de l’agriculture? Celle-ci détruit la nature et l’environnement, dérègle le climat et se poursuit au détriment des personnes qui travaillent dans les campagnes. Cette évolution dévastatrice se traduit par l’exode rural, l’agonie de la petite agriculture, la vente de terres fertiles à des multinationales, la destruction des fondements de l’agriculture vivrière et l’exploitation éhontée des travailleur·euses agricoles. Lors des assises à Berne, nous souhaitons, en puisant des exemples d’ici et d’ailleurs, proposer des manières d’agir et formuler des revendications. Il y a 20 ans, du 5 au 7 février 2000, la population de la ville andalouse d’El Ejido (province d’Almería, Espagne) se livrait à un véritable pogrom contre des ouvrièr·es agricoles marocain·es qui travaillaient dans les 30.000 hectares de serres plastiques de la région. La chasse aux étrangèr·es d’El Ejido a été la pire flambée de violence raciste que les migrant·es aient connue en Europe au début de ce siècle: une chasse systématique et organisée de trois jours contre les immigré·es et leurs piètres biens et habitations – tolérée par les autorités locales et les forces de l’ordre. Dans la mer de plastique d’El Ejido, la logique de l’agriculture industrialisée est poussée à l’extrême: exploitation sans scrupules des travailleur·euses, mépris des droits humains, destruction de l’environnement, pillage des ressources en eau. Tout est orienté vers la rentabilité à court terme pour quelques profiteurs. Le racisme, qui dégrade les étrangèr·es au rang de main-d’œuvre bon marché, fait partie intégrante du système. Les événements d’El Ejido ont attiré l’attention du monde entier sur les conditions de travail dans de nombreux secteurs de l’agriculture industrielle. D’autres exactions racistes contre les travailleur·euses agricoles ont suivi à Rosarno1 (Italie du Sud, 2010) et Manolada (Grèce, 2013). Des conditions de travail scandaleuses, notamment dans la production de fruits et légumes, sont régulièrement rapportées par les médias, que ce soit au sud de la France, en Allemagne, en Autriche ou au Maroc. L’industrialisation de l’agriculture avance partout à grands pas et a des conséquences sociales profondes: les travailleur·euses agricoles, le maillon le plus faible de la chaîne de production, sont les plus touché·es. Pourtant, les politiques agricoles suisses et européennes, qui encouragent massivement l’industrialisation de l’agriculture, se heurtent à une résistance croissante.

Des initiatives attrayantes

La plateforme pour une agriculture socialement durable2 a animé ces dernières années diverses actions de soutien aux travailleur·euses agricoles en Suisse. Avec le syndicat paysan Uniterre, elle a également joué un rôle clé dans l’initiative pour la souveraineté alimentaire. Elle exige, entre autres, un contrat-type contraignant pour les travailleur·euses agricoles et la régularisation des sans-papiers actifs dans l’agriculture, dont le nombre est estimé à 8.000 en Suisse. Une étude sur les 18 dernières années, qui sera publiée prochainement par la plateforme, confirme les conditions inacceptables auxquelles sont exposé·es les ouvrièr·es agricoles suisses, souvent originaires d’Europe de l’Est. En Autriche, la solidarité avec les travailleur·euses agricoles migrant·es est déjà une tradition. L’organisation Sezioneri a été fondée il y a quelques années. Sur son site Internet3, les ouvrièr·es agricoles sont informé·es de leurs droits en sept langues afin qu’illes puissent se défendre contre l’exploitation et le non-respect du droit du travail. Des initiatives similaires en Suisse pourraient également aider les personnes actives dans l’agriculture à prendre conscience de leurs droits. A Foggia, dans le sud de l’Italie, les travailleur·euses agricoles de l’association Ghetto out Casa Sankara s’engagent pour des formes alternatives de production et de distribution. Grâce à un accord avec les autorités locales, l’association dispose d’une maison dans laquelle elle accueille les journalier·ères fuyant les bidonvilles. Ici, on leur offre un moyen de trouver un emploi et de s’intégrer socialement. Sur 20 hectares de terrain, jouxtant le bâtiment, les habitant·es de Casa Sankara ont créé leur propre coopérative agricole. Les femmes jouent un rôle central dans l’agriculture. En Suisse aussi, elles accomplissent de nombreuses tâches avec des horaires qui n’en finissent pas: à la ferme, dans le conditionnement ou la transformation des produits agricoles et dans le ménage. Elles sont cependant mal protégées par le droit social. Des femmes directement touchées s’organisent et y résistent.

Autres ouvertures

Ces dernières années, de nombreux projets concrets ont vu le jour en Suisse et montrent qu’une agriculture écologique, fondée sur la solidarité, est une alternative viable à la production industrielle; la vente directe avec la distribution de paniers de légumes et la participation des consom-mateur·trices à la production sont un exemple parmi de nombreuses formes d’agriculture solidaire qui par leur essence n’affectent guère le climat. Avec leur politique de prix, les grands distributeurs sont coresponsables de la disparition de nombreuses exploitations agricoles et de la persistance des mauvaises conditions de travail. Des actions publiques de grande envergure telles que des «journées de boycott des supermarchés» pourraient conduire à un changement dans leurs pratiques commerciales. Il est essentiel de parvenir à limiter le pouvoir croissant des grandes surfaces. Il y a quelques années, de jeunes Berlinois·es ont fondé les Brigades internationales4. En groupes de 10 à 15 personnes, illes mènent des actions de solidarité avec les personnes qui luttent pour leurs droits. Au cours des trois dernières années, illes ont séjourné régulièrement plusieurs semaines dans la province d’Almería pour soutenir le syndicat des travailleur·euses agricoles SOC/SAT. Illes montrent comment la solidarité internationale peut contribuer à renforcer la résistance à l’exploitation. Tous ces thèmes seront abordés en ateliers lors de la rencontre «Résistance au plat du jour – pour une agriculture solidaire». En souvenir des événements d’El Ejido, nous allons évoquer les moyens pour aboutir à plus de justice dans la production alimentaire. Dans le cadre de plusieurs ateliers avec des invité·es du pays et de l’étranger, nous aimerions élaborer des actions concrètes ainsi qu’un cahier de revendications à l’intention des autorités politiques. La conférence s’adresse aux syndicats, aux consommateur·trices, aux agriculteur·trices, aux travailleur·euses et aux personnes solidaires. L’agriculture nous concerne toutes et tous. Nous vous invitons à nous rejoindre pour amener un changement socio-écologique. Le programme de la conférence est disponible sur le site <www.resistance-au-plat-du-jour.ch>.

  1. Voir De Lampedusa à Rosarno: euromirage, de Jean Duflot (FCE), paru en septembre 2011 aux éditions Golias.
  2. <www.agrisodu.ch>.
  3. <www.sezonieri.at>.
  4. <www.interbrigadas.org>.