Le 2 octobre dernier, le pouvoir hongrois interrogeait son peuple: «Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du parlement hongrois?» En gros, répondre par «oui» devait revenir, aux yeux des partisans du gouvernement et des médias dominants, à dire: «Oui, je veux bien être un suppôt, un larbin de l’Union européenne, en somme un esclave qui se laisse volontairement dominer.»
Telle était la tonalité de la propagande déployée par le camp de la droite autoritaire et nationaliste au pouvoir à Budapest, accompagnée dans sa campagne par l’extrême droite avec le parti fasciste Jobbik. Ce dernier, qui avait obtenu 20,6 % des voix aux législatives de 2014, a parfois recours à la violence ouverte et son nom signifie «La meilleure» mais aussi «La droite» en langue magyare. Un groupe de «rock radical» très populaire parmi les partisans du Jobbik, Romantikus Eröszak (Violence romantique), a d’ailleurs chanté au pied du parlement hongrois, samedi 1er octobre, la veille du référendum, en appelant à voter dans le sens du pouvoir et du Jobbik. C’était l’occasion pour une partie de l’assistance d’afficher le salut nazi devant le parlement, et ceci en toute impunité. Ce concert-rassemblement politique avait été autorisé par le gouvernement.
L’idée initiale d’un référendum sur la question de l’immigration, couplée à celle de l’attitude vis-à-vis de l’UE, revient d’ailleurs au Jobbik. C’est lui qui l’a défendue d’abord contre le FIDESZ (Alliance civique hongroise), le parti de droite au pouvoir, avant que ce dernier n’effectue une volte-face en faisant sienne l’idée d’un tel vote. Le FIDESZ, bien que partisan d’une République autoritaire dans laquelle les médias sont très largement contrôlés et la Justice aux ordres, appartient toujours au Parti Populaire Européen – le PPE – et à l’Internationale démocrate centriste (SIC).
L’objet officiel du référendum était l’approbation, ou non, d’un plan de «relocalisation» de réfugié-e-s dans l’UE – en vue de diminuer le nombre de migrant-e-s qui restent bloqué-e-s en Grèce, pays de leur première arrivée en territoire de l’UE – préparé par les institutions de Bruxelles en 2015. Il portait sur un nombre global de 120.000 réfugié-e-s pour les 28 (bientôt 27) pays-membres, et impliquait pour la Hongrie l’accueil de 1294 personnes originaires de Syrie, Irak et d’Erythrée… bien que le pouvoir hongrois diffuse des chiffres bien plus élevés vis-à-vis de l’opinion publique (60.000). Le projet a fait long feu, et plusieurs pays d’Europe de l’Est dont la Hongrie et la Slovaquie ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre cette prétendue contrainte monstrueuse. Certains Etats, dont la Pologne et la Hongrie, n’ont jusqu’ici accueilli aucun-e réfugié-e.
L’agitation contre un prétendu centralisme dominateur au niveau européen fut l’un des aspects centraux de la campagne, alors même que le FIDESZ (ni le Jobbik d’ailleurs, en tout cas selon des propos de son président Gabor Vona tenus en 2014 puis en 2016) ne souhaite sortir le pays de l’UE. Les élites hongroises sont trop dépendantes économiquement pour caresser un tel projet. En même temps, le Premier ministre Viktor Orban est «convaincu que dans dix ans, il y aura plus de Le Pen que de Merkel en Europe; il se voit en leader de cette nouvelle Europe où la Hongrie aurait plus d’influence», selon des propos de l’analyste hongrois Csaba Toth rapportés par le quotidien français Libération du 1er octobre 2016.
Un autre aspect de la campagne officielle nauséabonde, développée autant sur les chaînes de l’audiovisuel public que dans des médias privés tenus par des oligarques de droite, concerne les prétendues menaces qu’apporteraient les migrant-e-s en Hongrie. Terrorisme, risque de répétition des attentats de Paris sur le Danube, propagation de maladies, tout y passait, vraiment tout. Et cette propagande fut réellement efficace. Si en 2015, au total 64 % des Hongrois-e-s répondaient lors d’un sondage qu’il fallait aider les réfugié-e-s (qui, il est vrai, ne semblaient pas vouloir rester dans le pays mais plutôt aller en Allemagne), désormais 63 % donnent la réponse inverse.
Néanmoins, toute la population n’a pas adhéré à la sale comédie jouée par le pouvoir hongrois. Si ce dernier souhaitait un vrai «plébiscite» qu’il aurait monnayé à Bruxelles, les résultats ne sont pas tout à fait au rendez-vous. Certes, 98,3 % des votants au total ont répondu par «Non» à la question ci-dessus mentionnée (pour une fois, la «bonne» réponse à un référendum – celle voulue par le pouvoir – était bel et bien le «Non»). Un chiffre effroyable mais pas étonnant, dans la mesure où la question posée était fortement manipulatrice des esprits, et dans la mesure où aucune force d’opposition n’avait appelé à répondre par «Oui» à la question formulée. Les forces d’opposition avaient plutôt appelé au boycott pour faire baisser la participation; ou alors à voter nul, sachant que les votes blancs ou nuls n’étaient pas décomptés comme suffrages exprimés et n’étaient donc pas calculés dans le taux de participation. Seul un petit groupe satirique, le «Parti du chien à deux queues», avait cependant fait une vraie campagne qui contrait activement celle du pouvoir, en collant massivement des affiches humoristiques (par exemple: «Le saviez-vous? Un Hongrois a plus de chances de rencontrer un OVNI dans sa vie qu’un migrant.»)
Au final, le gouvernement a échoué à atteindre le quorum fixé: pour être valable, le référendum devait enregistrer une participation d’au moins 50 % des habitant-e-s ayant le droit de vote (selon une décision antérieure de Viktor Orban lui-même). Or, le nombre de ceux et celles qui se sont prêtés au jeu est inférieur. Deux chiffres circulent dans la presse française, l’un étant de 45% de participation, l’autre de 39,9%; la différence entre les deux s’explique en réalité par la prise en compte ou non des votes nuls. En effet, 5% de la population hongroise avait choisi de voter blanc ou nul.
Néanmoins, ça n’empêche pas Viktor Orban de plastronner comme s’il avait réellement gagné, et de proclamer encore haut et fort: «L’Union européenne ne pourra pas imposer sa volonté à la Hongrie.»
La configuration politique hongroise, rien n’est plus sûr, n’aura pas fini d’être source de problèmes politiques majeurs. L’extrême droite dans les autres pays européens ne s’y trompe d’ailleurs pas. En France, où des mouvements fascistes et racistes ont déjà manifesté devant l’ambassade hongroise pour soutenir Viktor Orban – par exemple le 7 novembre 2015 sur initiative du SIEL, un mini-parti lié au Front national – le média lepéniste (tendance Jean-Marie) Médias presse info éructe ce lundi 3 octobre: «Triomphe du non à la politique migratoire de l’Union européenne au référendum en Hongrie.» Alors que ce média d’extrême droite ne mentionne même pas la non-atteinte du quorum, il poursuit: «On s’attendait à une victoire du non au référendum hongrois, mais c’est à un raz-de-marée historique d’hostilité à la politique migratoire de l’Union européenne qu’on a assisté…»
Les Le Pen, Marine ou Jean-Marie, resteront tout autant parmi nos pires ennemis que les Viktor Orban et consorts.
Bernard Schmid*
* Juriste et journaliste à Paris