AUTRICHE / ENVIRONNEMENT: Vous construisez, nous occupons!

de Christof Mackinger, Vienne, 15 nov. 2021, publié à Archipel 308

Depuis la fin du mois d’août, des activistes pour le climat occupent un chantier d’autoroute à Vienne. Le fait que des collectifs citoyens appellent également à des blocages et que des groupes actifs dans la lutte pour le climat unissent leurs forces illustre bien le caractère de plus en plus conflictuel de la «ville modèle en matière de climat».*

«Mettre en place des transports publics au lieu de voler des espaces verts» - c’est l’un des slogans d’un des nombreux blocages de chantiers de construction de routes cette semaine à Vienne.

«Le trafic est assez gênant quand on dort, mais le froid est bien pire», dit Amina Guggenbichler en empruntant un chemin de terre battue entre les tentes, derrière les grilles du chantier. «Mais nous ne laisserons certainement pas un énorme projet accroître encore plus nos émissions à effet de serre», ajoute-t-elle, combative.

La jeune femme fait partie des dizaines d’activistes pour le climat qui occupent depuis une semaine plusieurs sites de construction de la voie rapide de Hirschstetten, dans la banlieue de Vienne. La «voie rapide», doux euphémisme pour désigner une autoroute de trois kilomètres de long et de 50 mètres de large, censée canaliser le trafic de desserte de la ville lacustre d’Aspern, au nord-est de Vienne, vers le périphérique extérieur et soulager ainsi les zones résidentielles, selon la promesse des politicien·nes.

L’occupation du chantier n’ouvre pas seulement un nouveau chapitre du débat sur la mobilité dans la capitale autrichienne, majoritairement gouvernée par les sociaux-démocrates, la désobéissance civile de groupes locaux tels que System Change not Climate Change, Extinction Rebellion ou Fridays for Future l’a hissé à un tout autre niveau. Pendant de nombreuses années, le différend sur les projets d’infrastructure nuisibles au climat s’est joué sur le papier ou devant les tribunaux. Les principaux acteurs en étaient des organisations environnementales et les collectifs citoyens. Récemment, cependant, le porte-parole du collectif local Hirschstetten Retten a annoncé que les collectifs en avaient assez: «Vous construisez, nous occupons!». Et c’est ce qui s’est passé.

La politique des «crânes de béton»

A Vienne, les grands projets sont également très contestés. Le conseiller municipal responsable des transports, Ulli Sima, n’est pas seulement un fonctionnaire chevronné du SPÖ (1), il a également derrière lui une carrière politique qui va des Verts à l’organisation environnementale Global 2000 en passant par les Amis de la Nature. Sima tente depuis des années d’obtenir le label de «ville modèle en matière de climat» pour la capitale. Toutefois, l’image verte n’est crédible que dans une certaine mesure, car la municipalité continue de faire avancer de grands projets d’infrastructure controversés, tels que la troisième piste de l’aéroport de Vienne-Schwechat (Dritte Piste) ou le Lobautunnel.

L’autoroute de Lobau, un périphérique extérieur qui devait creuser un tunnel de huit kilomètres sous le parc national de la plaine d’inondation du Danube, est depuis devenue le symbole d’une politique des transports rétrograde et a valu à l’administration municipale, progressiste selon les normes autrichiennes, le qualificatif typiquement viennois de «politicien·es à crâne de béton».

«47 % des habitant·es de Vienne ne possèdent pas de voiture et n’ont pas les moyens d’en ache-ter une. C’est pourquoi ce projet est en fait antisocial», explique Florian Mayr d’Extinction Rebellion. Lui aussi occupe. Il trouve «particulièrement étrange» que le projet soit parrainé par le parti social-démocrate. Les groupes d’action ont également les scientifiques et les gestionnaires de transport de leur côté: bien que l’Autriche ait réussi à réduire les émissions de CO2 dans certains secteurs – notamment grâce à la crise du Covid l’année dernière – c’est précisément l’augmentation du transport motorisé privé qui a annihilé toutes les «économies» faites en 2020.

Le Verkehrsclub Österreich (VCÖ) (2), orienté vers l’environnement, avait déjà exigé en août der-nier: «Le premier pas important vers la réalisation de l’objectif climatique, est de renoncer à toutes les mesures qui entraînent une augmentation du trafic automobile et du trafic des camions.» Selon des chercheur·euses de l’université technologique de Vienne, la construction de nouvelles routes «de délestage» n’est pas une méthode appropriée pour s’attaquer au problème: les routes de délestage, la voie rapide de Hirschstetten par exemple, se rempliront tôt ou tard de voitures car elles rendent la conduite automobile plus attrayante.

Vers une coopération plus étroite

C’est probablement ce qui a motivé la ministre de l’Environnement Leonore Gewessler, du parti des Verts, lorsqu’elle a annoncé, début juillet, que tous les projets de construction de l’entreprise publique Asfinag, la «Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-Aktiengesellschaft» (3), seraient réévalués quant à leur pertinence en termes de protection du climat.

L’Asfinag ne construit pas seulement la jonction de Hirschstetten, qu’Amina Guggenbichler et ses camarades de lutte occupent, mais aussi l’autoroute de Lobau et d’autres projets de construc-tion routière dans toute l’Autriche. Bien que les évaluations dussent être terminées d’ici l’automne, M. Gewessler doit faire face à une opposition massive sous la forme de menaces de poursuites judiciaires et de critiques dans les médias venant de toutes parts.

L’Asfinag elle-même, cependant, se montre pour le moins détendue quant à l’occupation actuelle dans la banlieue de Vienne. L’extension est une «mesure visant à accroître la sécurité routière», a déclaré une porte-parole à Klimareporter. Il serait possible de résoudre les problèmes liés à l’occupation des lieux dans un délai raisonnable. «Par conséquent, nous misons sur la communication et nous nous abstenons actuellement de procéder à l’expulsion du chantier.» Guggenbi-chler, de Fridays for Future, rétorque: «Nous ne voulons pas d’une mobilité qui émet encore plus de CO2. Nous voulons une mobilité tournée vers l’avenir!» C’est pourquoi elle est venue pour rester.

Même si l’expulsion des occupant·es par la police se fera tôt ou tard, pour Florian Mayr, c’est déjà un succès. «C’est la première fois que les groupes climat nouvellement formés en Autriche collaborent aussi étroitement. Extinction Rebellion, Fridays for Future, System Change not Cli-mate Change et le Conseil de la jeunesse: on apprend à se connaître et à créer une confiance mu-tuelle - pour les futures actions.»

Christof Mackinger, Journaliste, Vienne

  • Cet article a d’abord été publié sur Klimareporter.de le 10 septembre et dans le journal viennois pour sans-abri, Augustin le 6 octobre.
  1. Le Parti social-démocrate d’Autriche est un parti politique autrichien de centre gauche.
  2. Organisation autrichienne qui milite pour une mobilité écologiquement compatible, socialement juste et économiquement efficace.
  3. Société de financement des autoroutes et des voies rapides.