SEMENCES: La lutte pour les droits des paysans

de Jürgen Holzapfel, FCE, 9 mars 2022, publié à Archipel 312

Parce que les grands groupes semenciers du monde entier veulent étendre leur contrôle sur les semences, les petit·es paysan·nes du monde entier sont contraint·es depuis des décennies de se battre contre l’éviction ou même l’interdiction de leurs variétés locales traditionnelles.

L’Europe revendique un rôle de leader mondial dans le domaine de la réglementation du marché des semences. En 2008, l’UE a lancé un processus de réforme visant à uniformiser les règlements existant à l’échelle européenne. Il s’agissait de déterminer quelles semences pouvaient être commercialisées et dans quelles conditions.

De petites initiatives de conservateur/trices de variétés anciennes se sont engagées contre cette réforme dans de nombreux pays européens. En Europe justement, environ 80% de la diversité originelle des plantes cultivées ont disparu au cours des 60 dernières années, depuis les premières restrictions légales sur le marché des semences. De ce point de vue, il n’y a aucune raison pour que l’Europe s’arroge le droit de déterminer l’orientation de la politique des semences au niveau mondial, elle s’est au contraire disqualifiée dans ce rôle car elle défend unilatéralement les intérêts des producteur/trices de semences et de leurs entreprises. Après cinq ans de négociations, la Commission européenne avait présenté en 2013 un paquet législatif pour la nouvelle réglementa-tion de la commercialisation des semences. Selon les règles de l’UE, seul l’accord du Conseil des ministres et du Parlement européen était nécessaire pour son entrée en vigueur. Le Parlement européen a rejeté la proposition à une large majorité. La lettre de l’association de lobbying de l’industrie semencière européenne ESA adressée aux députés européens n’y avait rien changé. L’ESA y soutenait le paquet législatif et saluait une «réforme moderne, dynamique, harmonisée et simplifiée du droit européen de la commercialisation des semences, pour une sélection végétale innovante en Europe». L’année dernière, soit huit ans après cet échec, la Commission européenne a remis la réforme de la législation sur la commercialisation des semences à l’ordre du jour.

Au même moment, l’Union africaine a également entamé en mars 2021 un processus de discus-sion visant à uniformiser les réglementations en vigueur en Afrique en matière de circulation des semences. Le Centre africain pour la biodiversité et l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, entre autres, ainsi que les nombreuses organisations de petits agriculteur/trices ont été exclus d’emblée des discussions. L’uniformisation proposée doit être réglée sur la base des accords de l’UPOV. A ce sujet, la lettre de protestation d’une soixantaine de mouvements sociaux de plusieurs pays africains dit ceci: «L’UPOV est un instrument autoritaire visant à renforcer les droits de propriété intellectuelle et les profits des obtenteurs de semences commerciales au détriment des droits humains et du patrimoine culturel de notre continent».

Le reproche fait à l’UPOV d’être autoritaire n’est pas sans fondement. L’UPOV a été fondée il y a 60 ans à l’initiative de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre et des Pays-Bas et a son siège à Genève. Elle représente les intérêts des plus grands groupes semenciers du monde, tels que Bayer, Limagrain, BASF, entre autres, qui ont leur siège dans ces pays. Leur objectif est d’imposer des droits de propriété intellectuelle sur les variétés sélectionnées et, en même temps, d’exclure du marché ou d’interdire toutes les variétés paysannes locales qui ne sont pas enregistrées et qui ne répondent pas aux critères des variétés modernes. L’UPOV a élaboré une première convention qui a été régulièrement renforcée depuis. Tous les pays qui souhaitent avoir accès à leur marché de semences industrielles doivent approuver la convention UPOV correspondante. Les pays euro-péens et l’UE se réfèrent à cette convention comme si elle avait une quelconque base légale. Lors de la conclusion d’accords commerciaux internationaux, les pays concernés doivent signer la convention UPOV ou adhérer à l’UPOV.

Certains se souviennent peut-être qu’en Colombie, en 2013, la Convention UPOV a été mise en œuvre du jour au lendemain par la tristement célèbre résolution 9.70, sur la base d’accords de libre-échange avec l’UE et les États-Unis, et que quelque 4000 tonnes de semences paysannes locales ont été poussées au bulldozer dans une décharge et brûlées. Les protestations contre ce mépris brutal de la culture agricole colombienne et indigène ont été si importantes que le décret a dû être abrogé. Mais on ne sait pas quelles seront les conséquences de l’application de la Convention UPOV en Afrique. Le secteur industriel des semences ne contrôle qu’environ 10 à 20% du marché africain des semences, 90% des semences proviennent de structures paysannes informelles.

Si les critères de l’UPOV devaient être appliqués, toutes les variétés paysannes seraient interdites. Alors même que de nombreux pays africains sont confrontés à d’importants changements climatiques, l’interdiction des variétés locales aurait des conséquences désastreuses sur l’approvisionnement alimentaire des populations. Aujourd’hui plus que jamais, les critères UPOV pour les semences constituent une menace pour la culture agricole vivante et ses variétés régio-nales et adaptables. Les organisations de petits paysans de nombreux pays d’Afrique ainsi que les organisations de conservation de la biodiversité se sont mobilisées contre le projet de l’Union africaine.

Pour elles, ce serait un soutien moral et politique important si un changement de mentalité commençait à s’opérer ici en Europe aussi, compte tenu des catastrophes climatiques mondiales.

Dans le débat sur une nouvelle législation sur le commerce des semences, une revendication opportune serait d’abolir les dispositions légales régissant le marché des semences. La législation sur la commercialisation des semences ne sert pas à protéger les variétés de plantes génétiquement modifiées. Il existe une directive européenne spécifique pour la réglementation des constructions génétiques, indépendamment du droit de la circulation des semences. La législation sur la commercialisation des semences ne sert pas l’intérêt des agriculteurs à disposer de variétés stables et homogènes. Celles et ceux qui souhaitent acquérir des variétés qui sont enregistrées et qui répondent aux critères DHS (DHS signifie distinction, uniformité et stabilité) peuvent acheter des semences certifiées avec protection des variétés.

Comme la législation européenne sur la commercialisation des semences n’autorise en fait que les variétés testées selon ces trois critères à être commercialisées, de nombreuses anciennes variétés de pays ont déjà complètement disparu en Europe.

Les revendications d’aujourd’hui doivent être les suivantes: Suppression des interdictions et des restrictions de commercialisation de la législation sur la commercialisation des semences, sans les remplacer. Libération et encouragement à la diversité des plantes cultivées dans les champs, les jardins, les vignobles, les prairies et les forêts. Mise de la politique de l’UE en matière de diversité des cultures en conformité avec les traités internationaux tels que la Convention sur la diversité biologique et le Traité international sur les semences (TIRPA-FA) et dénonciation des conventions unilatérales de l’UPOV.

La formule creuse «assurer les moyens de subsistance dans les pays d’origine», volontiers utili-sée comme réponse à la migration croissante, pourrait ainsi avoir un contenu important. La diffé-rence non négligeable entre l’Afrique et l’Europe est qu’en Europe, plus de 60% du marché des semences est déjà entre les mains des multinationales et que les 40% restants sont également en grande partie des variétés industrielles transformées en semences par les paysan·nes à partir de leur propre récolte. En conséquence, la dépendance vis-à-vis des variétés industrielles est grande en Europe et il n’y a pratiquement plus d’exploitations agricoles qui sont en mesure de s’approvisionner elles-mêmes en semences. Cette dépendance à l’égard d’un approvisionnement en semences de plus en plus centralisé, avec toujours plus de variétés hautement sélectionnées, est-elle encore soutenable dans le contexte actuel de crise.

La démarche colonialiste des groupes semenciers, entre autres sur le continent africain, se fait sous la devise «nous garantissons la sécurité alimentaire avec nos variétés modernes». La puissante fondation Bill et Melinda Gates, par exemple, a adopté ce slogan pour venir en aide au con-tinent africain en tant que mécène. Ils sont par exemple soutenus par le gouvernement fédéral allemand. Cela ressemble à une nouvelle édition de la «révolution verte», propagée et mise en œuvre à la fin des années 1960 dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie par l’organisation USAID. Le succès de cette campagne est douteux. Elle a permis d’augmenter les rendements des récoltes grâce à des variétés industrielles à haut rendement, tout en utilisant beaucoup d’engrais et de pesticides. La majorité des petit·es paysan·nes n’ont pas pu se permettre cette utilisation coûteuse et ont perdu leurs moyens de subsistance. Les variétés adaptées aux conditions locales ont été perdues et le retour à des systèmes de culture paysans éprouvés a été supprimé. La sensibilité aux maladies des variétés spécialisées entraîne une utilisation toujours plus importante de pesticides et donc une contamination des eaux par les pesticides et les engrais.

L’engagement depuis des décennies des organisations de petit·es paysan·nes du monde entier a conduit à une mise en réseau mondiale de ces luttes par «La Via Campesina». Sa présence conséquente dans les instances internationales a fait que l’Assemblée générale de l’ONU a dû parler des droits des paysans et des paysannes du monde entier. Le résultat a été la déclaration du PNUD de décembre 2018, qui a reconnu dans l’article 19 le droit des paysan·nes à utiliser et à transmettre leurs propres semences. Le seul problème est que les pays de l’UE, à l’exception du Portugal, se sont abstenus de voter, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas prêts à reconnaître les droits paysans.

La réponse des nombreux protecteurs et protectrices de la biodiversité dans de nombreux pays est «Libérons la diversité».

Jürgen Holzapfel, membre FCE – Allemagne