RWANDA: Tout finit par se savoir

de Bernard Schmid, juriste, Paris, 14 mai 2021, publié à Archipel 303

L'adage est aussi vrai pour les crimes auxquels le pouvoir français est associé au Rwanda, notamment le génocide qui a fait entre 800.000 et un million de victimes entre avril et juillet 1994 dans ce pays.

On savait depuis longtemps que l'exécutif français, à la tête duquel se trouvait alors François Mitterrand, avait pris fait et cause pour le parti des bourreaux et non des victimes, au moment où le génocide se déroulait. Des manifestations associatives (LDH, MRAP…) se déroulaient pendant les événements qui pointaient déjà la responsabilité des autorités françaises qui avaient choisi de soutenir le régime en place au Rwanda, organisateur du génocide. Ces choix étaient en bonne partie dus à Mitterrand en personne. Celui-ci, ancien ministre "de l'outre-mer" (autrement dit, des colonies) en 1950, était resté toute sa vie durant l'adepte d'une grille de lecture des politiques africaines qui découpait le continent en zones d'influence. Et il analysait le conflit au Rwanda, qui opposait un gouvernement qui adoptait des mesures racistes au nom des prétendus intérêts de la population Hutu (majoritaire), au mouvement de guérilla du Front Patriotique Rwandais (FPR, aujourd'hui au pouvoir à Kigali) s'appuyant essentiellement sur des membres de la minorité des Tutsi, cette dernière représentant environ 15 % de la population du Rwanda et du Burundi voisin, comme un complot des puissances anglo-saxonnes – qui soutenaient selon lui le FPR – pour réduire la zone d'influence française.

Au cours de la dernière phase du génocide, Patrick de Saint-Exupéry, envoyé sur place par Le Figaro dont il était à l'époque rédacteur, avait assisté aux événements et observé les mouvements de l'armée française dont l'opération Turquoise avait été déclenchée le 22 juin 1994. Le journaliste avait pu constater que l'armée française avait trouvé des survivant·es du génocide sur la désormais fameuse colline de Bisesero – lieu où des milliers de rescapé·es avaient pu résister pendant des semaines aux tueurs – mais les avaient laissé·es seul·es entre les mains de leurs bourreaux pendant trois jours, avant de se résoudre d'y revenir. Début 1998, il publiera une série de quatre articles dans Le Figaro où il travaillait encore (avant de fonder plus tard la Revue XXI et de rédiger le livre L'inavouable sur la politique française au Rwanda*) qui souli-gnait clairement devant l'opinion publique le parti-pris des autorités françaises au moment du génocide. Une association comme Survie a toujours milité pour rendre publique cette vérité. Aujourd'hui, une nouvelle publication, s'appuyant sur des éléments puisés dans les archives, vient à nouveau jeter une lumière crue sur l'ombre qui entourait longtemps ces horreurs.

Le journal en ligne Mediapart a en effet publié, le 14 février 2021, un article de la plume de Fabrice Arfi qui relaie des recherches de François Graner, membre de l'association Survie et auteur de plusieurs livres sur les sujets liés au Rwanda. En juin 2020, le Conseil d'Etat avait forcé l'exécutif à permettre un accès aux archives laissées sous la présidence de François Mitterrand. François Graner y a puisé notamment un échange de télégrammes entre Yannick Gérard, ambassadeur français à Kigali, et le cabinet d'Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères.

Gérard, conscient de qui étaient les génocidaires, avait notamment alerté le Quai d'Orsay sur la présence de leurs dirigeants dans la zone contrôlée par l'armée française dans le cadre de l'opération Turquoise. Il pointait notamment dans un télégramme du 10 juillet 1994 la responsabilité de Théodore Sindikubwabo, président du GIR ou "gouvernement intérimaire rwandais" – la direction politique pendant le génocide, gouvernement formé dans les locaux mêmes de l'ambassade de France à Kigali – en rappelant qu'il avait appelé personnellement à "l'élimination totale des Tutsi". Gérard proposera, concernant ces dirigeants, de "les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée". Or, Paris lui donnera des instructions contraires. Le 15 juillet 1994, Bernard Emié, alors conseiller d'Alain Juppé – et aujourd'hui dirigeant de la DGSE – lui intimera de laisser ces dirigeants quitter discrètement la zone contrôlée par l'armée française, et suggérera à l'ambassadeur de s'appuyer sur des acteurs politiques africains "en ne vous exposant pas directement".

L'apport de ces nouveaux documents, outre qu'ils fournissent une nouvelle preuve de la couverture fournie par la France officielle aux génocidaires, consiste aussi à montrer l'implication directe de l'entourage d'Alain Juppé. En effet, la France avait alors un gouvernement de cohabitation, et l'essentiel de la respon-sabilité de la politique au Rwanda était jusqu'ici attribué à l'Elysée (Mitterrand et son conseiller Hubert Védrine). Leur responsabilité reste effectivement entière. Mais la droite, qui gouvernait alors sous la prési-dence mitterrandienne, y a activement participé.

Bernard Schmid, Docteur en droit et avocat au barreau de Paris

Responsable du service juridique du MRAP

  • publié en 2004 aux édition Les Arènes.