NUCLÉAIRE / ALLEMAGNE: Le métal contaminé du projet de technocentre de Fessenheim

de Luc et Jan, Radio Dreyeckland, 15 oct. 2021, publié à Archipel 307

Lors d’une conférence de presse, lundi dernier, Stéphane Auchter (BUND/ Amis de la terre Allemagne), Claude Ledergerber (CSFR, Comité Pour la Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin) et Klaus Schramm (Groupe Anti Nucléaire de Freiburg, AAGF) ont présenté une pétition à l’intention du Bundestag. Elle est dirigée contre la réutilisation de métaux contaminés avec des résidus de nucléides dangereux dont la radioactivité n’est plus mesurable. En effet, une fois polis, ces derniers ne sont plus mesurables. Luc, journaliste pour Radio Dreyeckland revient sur la conférence de presse sur les ondes de la radio fribourgeoise. Nous en proposons une retranscription.

Jan: Tu as été à une conférence de presse lundi dernier, le 13 septembre, organisée entre autres par le BUND1 au sujet du lancement d’une pétition concernant la centrale nucléaire de Fessenheim. Cette dernière a été mise hors réseau mais le dossier n’est pas tout à fait clos... C’est juste. En gros, cette conférence de presse était organisée pour faire connaître une pétition qui concerne l’exportation et la refonte de métaux radioactifs et la pratique des «libres mesures». Illes ont démarré la pétition il y a deux mois à peu près et pour l’instant il y a 1500 signatures, c’est seulement un petit début. Illes ont pour but de placer ce thème sur l’agenda politique.

Les organisations ont-elles dit ce qui est exactement en train de se passer, afin que nous puissions nous faire un avis? Pour que nous puissions comprendre de quoi il s’agit?

Il s’agissait de formuler une critique fondamentale de la pratique de la «libre mesure». Cela signifie qu’il est possible de décontaminer des métaux, par exemple des déchets métalliques générés lors de démantèlements d’installations, de centrales nucléaires entre autres. Il y a des conditions qui sont posées qui disent qu’il faut que ces métaux soient en dessous de 10 microsieverts. Il y a des mesures et les métaux sont polis pour enlever ce qui est trop radioactif. C’est une pratique qui est légale en Allemagne mais pas en France. Cependant, la France lorgne vers l’Allemagne à ce sujet car il s’agit toujours de s’inspirer des technologies allemandes. La critique repose sur le fait que ces métaux rentrent en circulation. Ils vont être utilisés dans le domaine civil. Mais certains radionucléides et des éléments deviennent indétectables par exemple quand ils sont légèrement recouverts, par exemple sous de la peinture. Il y aura des émissions de radiations dont la dangerosité n’est plus à prouver. Il y a aussi une critique qui porte sur le taux qui fait la norme, celui-ci est relativement faible. Ce qui fait qu’il n’est plus nécessaire de surveiller par la suite.

Par exemple, des radiations qui sont très dangereuses dans le corps, qui ne vont pas circuler fortement dans l’atmosphère mais qui peuvent générer des cancers quand les particules alpha rentrent dans le corps…

Oui, c’est une chose délicate. Dans le passé, il a pu y avoir des cas où cela a été prouvé. Par exemple, dans des boutons d’ascenseurs en Allemagne où de la ferraille radioactive a été utilisée. Cela peut avoir des conséquences sanitaires néfastes. De manière générale, la critique portait plus généralement sur la refonte en tant que telle car cela crée un amalgame dans lequel il n’est plus possible de différencier ou de décontaminer. On crée un nouveau matériel de construction. Une des critiques posées par les organisations est que cela ne vaut pas du tout le coup économiquement. Il serait possible de créer, avec cette méthode, quelques milliers de tonnes de matériel. Mais la consommation mondiale tourne autour de 2 milliards de tonnes. L’argument s’apparente à la thèse pro-nucléaire selon laquelle on pourrait sauver le climat avec le nucléaire, qui créerait peu d’emissions de CO2. Cet argument est absurde puisque, même s’il était recevable, ce qui n’est évidemment pas le cas, les centrales nucléaires produisent à peine 10% de l’énergie électrique dans le monde. Cela est économiquement surréaliste. On ne peut pas y arriver. Nous avons ici un mini gain en métal mais surtout cela arrange l’industrie nucléaire. Cette pratique est répandue en Allemagne, ainsi que l’exportation de ces matériaux. C’est ce que les organisations veulent faire stopper avec cette pétition. De plus, il s’agissait de critiquer le travail relativement opaque du business d’import-export de l’industrie nucléaire prétendument et/ou apparemment en déclin en Allemagne. Il y a des administrations qui réglementent et contrôlent les exportations, la BAFA ainsi que le ministère de l’Environnement. Illes sont censé·es créer de la transparence. Cela a déjà été très difficile dans le passé. Par exemple, lors des exportations depuis Stade (Basse-Saxe) vers la Scandinavie ou depuis Obrigheim (Bade-Wurtemberg) d’une cuve vers les Etats-Unis où normalement il doit y avoir une très grande transparence. Ce qui a timidement été décrit par les participant·es à la conférence de presse comme une pratique illégale. Il s’agit d’une économie de marché très libre concernant ces métaux soi-disant recyclés de l’industrie nucléaire.

Y a-t-il eu autre chose sur cette conférence de presse? Oui, il s’agissait aussi de faire parler de Fessenheim et de travailler sur ce sujet comme tu l’as dit en début d’interview. Claude Ledergerber a précisé qu’un travail était en route sur l’étude des plans d’un techno-centre. Il s’agit du VALM, c’est le joli terme qu’ils utilisent en ce moment. Il s’agit de la valorisation de métaux. C’est une possible perspective pour Fessenheim qui se concrétise, car il faut aussi en France un lieu pour défaire les quelques réacteurs à l’arrêt. Il faut dire qu’il y en a aussi qui décorent le paysage depuis plus de 40 ans sans être démantelés. Mais la perspective de démantèlement va être mise à l’ordre du jour. Pour l’instant, la pratique de «libre mesure» est interdite. Cela pourrait faire beaucoup de ferrailles, qui seraient peut-être réutilisées en Allemagne mais qui sont actuellement stockées sur les sites. Apparemment, 150.000 tonnes seraient entreposées, seulement au Tricastin. Les industriels du nucléaire voudraient sortir de cette pratique de l’entreposage à plus long terme et rentrer plus dans la pratique du «recyclage». Du coup, le techno-centre de Fessenheim, qui a été un sujet sur la place publique de plus en plus fréquemment ces derniers mois, serait une option pour cela, comme projet transfrontalier. Ce serait un candidat. Les organisations ont dit, lors de la conférence de presse, qu’elles avaient l’intention de faire tomber le projet de techno-centre. Il y a un groupe de travail, du nom de AK Fessenheim qui travaille depuis plusieurs années au sujet du démantèlement. Les organisations environnementales veulent faire quelque chose contre la perspective qu’il se fasse dans la région... qu’à 20 kilomètres de Freiburg, on travaille à remettre en circulation ces matériaux dangereux pour l’usage civil comme but à moyen terme...

En même temps, il faut dire qu’il s’agit d’un thème relativement marginal, aux vues de la brutalité que représente la politique du nucléaire, entre autres quand on regarde l’exportation de combustibles depuis Lingen (2). Ce qui a aussi été un thème. Un exemple à l’appui duquel nous pouvons voir que l’Allemagne n’est objectivement pas en train de sortir du nucléaire. Avec la recherche de centres d’enfouissement en Allemagne, en France et en Suisse, ce sont de très grands sujets liés pour les Etats nucléaires. Ils sont toujours en négociations politiques de nos jours. Du coup, les participant·es à la conférence de presse, malgré le fait que ce soit un thème marginal, en ont souligné l’importance. Car, si nous arrivons à contrer ce thème ici – admettons que la Commission des pétitions s’empare du dossier et que la critique se renforce, voire que l’exportation devienne illégale –, la France ne pourrait plus argumenter que cela se fait également outre-Rhin. Il s’agirait d’un travail de fond qui pourrait fragiliser le projet menaçant de techno-centre.

A qui s’adresse donc cette pétition, au Land ou à l’Etat?

Elle est destinée au Bundestag, à l’intention de la Commission des pétitions, quand il y aura un grand nombre de signatures. Pour le moment (au moment de la conférence de presse), il y en a 1500, ce qui est relativement peu. Il faut que la pétition soit suffisamment remplie, ou au moins soit admise, car il n’existe pas vraiment de quorum. Selon les organisateurs et organisatrices de la conférence de presse, des pétitions peuvent être acceptées même en étant signées par quelques milliers de personnes et d’autres refusées avec plusieurs dizaines de milliers de signataires. Cela dépend apparemment d’autres mécanismes…

Où peut-on soutenir cette pétition, sur le site du BUND? Le BUND a sûrement fait le lien vers cette pétition. Mais cela peut aussi se trouver sur le site de Campact (3) où l’on trouve généralement ce genre de pétition pour ceux et celles qui trouvent que c’est une chose intéressante.

Luc et Jan Radio Dreyeckland

  1. Amis de la terre (Allemagne)
  2. L’Allemagne exporte des barres de combustibles nucléaires depuis l’usine Framatome-Areva-Orano de Lingen notamment vers les centrales de Doel 1 et 2 en Belgique et Leibstadt en Suisse. Cette exportation a été suspendue deux fois ces derniers mois suite à des plaintes de Belgique et d’Allemagne (BUND). Ce qui tend à prouver que l’Allemagne participe de cette manière à l’industrie nucléaire malgré l’arrêt de ses centrales.
  3. https://weact.campact.de/petitions/stopp-des-exports-und-des-einschmelzens-radioaktiv-kontaminierter-metalle