MIGRATION: Une frontière (presque) oubliée

de Kathrin, Côtes solidaires, 13 avr. 2020, publié à Archipel 291

Actuellement, tous les yeux sont tournés vers la frontière extérieure de l’UE entre la Grèce et la Turquie, ainsi que vers les Balkans et la Méditerranée. On oublie trop souvent qu’il existe une frontière mortelle au sein même de l’Europe occidentale. Nombreux sont les détenteur·es de papier qui ne réalisent pas que les accords de Schengen ne valent pas entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale et que des documents en règle ont donc de tout temps été nécessaires pour le passage de la frontière. Calais, autrefois camp de transit de Sangatte, puis la Jungle - tout le monde en a entendu parler. Mais aujourd’hui, d’autres frontières encore plus meurtrières occultent la situation catastrophique actuelle à Calais. En effet, des gens y meurent régulièrement; adultes, enfants et adolescent·es – combien exactement, personne ne le sait. Sans accès aux billets de ferry et à l’Eurotunnel, illes ont cherché d’autres moyens de rejoindre la Grande-Bretagne. De l’autre côté du Channel, leur famille ou des ami·es les attendaient. Ils voulaient utiliser leurs compétences en anglais pour se construire une nouvelle vie ou simplement vivre un avenir sans peur, dans une société sans contrôle d’identité. Ils ont payé de leur vie leurs tentatives. Nombreux sont ceux et celles qui ont subi et subissent de graves blessures. Cependant, tout le monde sait qu’il est possible d’atteindre le Royaume-Uni indemne. Malgré toutes les infrastructures et technologies de surveillance et de sécurisation – barbelés, kilomètres de clôtures, marais artificiels, caméras de surveillance, appareils à rayons X, détecteurs de CO2 et de battements de cœur, chiens renifleurs, etc. – les personnes sans papiers parviennent toujours et encore à traverser la Manche et la mer du Nord. En raison de la répression massive avec la présence permanente des unités spéciales de contre-insurrection (CRS), Calais n’est plus le centre de l’action, mais seulement un lieu parmi tant d’autres. Les migrant·es sont à peine visibles dans le port de Calais et leurs tentes dans les buissons à la périphérie de la ville sont détruites par les «forces de l’ordre» en quelques heures ou quelques jours. Les personnes sans papiers tentent de monter dans des camions à Roscoff, en Espagne ou aux Pays-Bas ou à bord de ferries et de bateaux. Les contrôles y sont moins stricts, mais il y a aussi beaucoup moins d’options et donc seulement une chance de succès limitée. Depuis environ un an et demi, on observe des traversées avec des canots pneumatiques. Compte tenu des forts courants de marée et de l’intense trafic maritime dans la Manche, cette route est également un passage mortel. Au cours de l’été 2020, de nombreuses initiatives locales «Côtes solidaires - Frontières ouvertes, yeux ouverts» vont s’organiser le long des côtes de la mer du Nord et de la Manche pour attirer l’attention sur la situation et développer des stratégies communes. Entre début juin et mi-juillet, le voilier traditionnel Lovis naviguera de Hambourg à Brest. Des manifestations publiques sur le thème de l’asile et de la migration sont prévues dans les ports situés le long de la route. Les groupes antiracistes et de solidarité locaux seront impliqués, et de nombreuses thématiques seront abordées: des militant·es climat y participeront ainsi qu’un groupe travaillant sur les exportations d’armes ou des personnes impliquées dans des opérations de sauvetage en Méditerranée; l’histoire coloniale des différents pays sera mise en lumière et des concepts alternatifs pour vivre la migration (comme celui des «villes solidaires») seront présentés. Sur le navire et dans les ports, il y aura de nombreux espaces pour les personnes ayant dû endurer le régime frontalier actuel et les structures racistes des sociétés européennes. Leurs voix ne sont pas souvent entendues. Un navire, et en particulier un navire ancien, attire toujours l’attention. C’est un écran de projection pour les rêves, il attire les gens et peut les réunir. Les activités culturelles et les pique-niques publics créent un cadre facilitant les rencontres. L’action «Côtes solidaires» s’achèvera provisoirement lors des festivals portuaires internationaux de Brest et Douarnenez, où les thèmes sont présentés à un public plus large. Une campagne de collecte de fonds sera bientôt lancée pour soutenir le projet. De plus amples informations et les étapes du voyage seront bientôt disponibles sur le site web Lovis*.