Quelques centaines d’activistes originaires des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Europe se préparent depuis quelque temps à un voyage très spécial: celui de la Caravane pour la liberté de mouvement et un développement juste, qui aura lieu de fin janvier à mi-février 2011 et reliera Bamako, capitale du Mali, à Dakar, capitale du Sénégal, où se tiendra le forum social mondial.L’événement est organisé par le réseau Afrique-Europe-Interact, créé en octobre 2009, regroupant des activistes du Mali, d’Allemagne, d’Autriche et des Pays-Bas. L’idée d’organiser une caravane de cette importance est née du désir de renforcer la coopération internationale entre des mouvements de base antiracistes d’Afrique et d’Europe, et de la rendre visible. Car face à la politique de l’Union Européenne en matière de réfugiés et de flux migratoires, qui a occasionné dans la dernière décennie des dizaines de milliers de morts aux frontières de l’Europe (de Ceuta et Melilla à Lampedusa et aux îles grecques), il est indispensable d’assurer une coordination et une mise en réseau de la résistance internationale.
Au Mali, la caravane sera essentiellement organisée par l’Association Malienne des Expulsés (AME), qui s’occupe des victimes des expulsions à leur retour au Mali. L’AME s’oppose avec force à l’externalisation du régime des frontières de l’Europe – et donc à l’agence Frontex chargée de les protéger – de même qu’elle s’engage pour les droits des migrants. L’AME a également pour objet la revendication de perspectives de développement autodéterminé pour le Mali et toute l’Afrique, surtout dans le domaine de l’agriculture paysanne.
Déjà, lors des dernières activités internationales organisées dans le cadre du réseau No Border (camps No Border à Bruxelles et sur l’île de Lesbos, mobilisation contre le sommet du G8 à Heiligendamm), la coopération entre les groupes antiracistes d’Afrique de l’Ouest et d’Europe a été renforcée. C’est une deuxième étape qui s’annonce avec la future caravane.
Le Mali, données de base
Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, la majeure partie de la population vit dans des conditions d’extrême précarité. Au Mali, 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté, 50% seulement a accès à l’eau potable et 33% des enfants de moins de cinq ans sont sous-alimentés. L’espérance de vie est de 53 ans, 75% des plus de quinze ans sont analphabètes. Les raisons de ces indicateurs sociaux désastreux sont multiples. Outre le poids de l’héritage colonial, on peut distinguer les problèmes suivants: premièrement, les programmes d’ajustement structurel lancés dans les années 80 par le FMI et la Banque Mondiale, provoquant un endettement chronique; deuxièmement, l’OMC qui a plus ou moins imposé de nombreuses privatisations et ouvertures de marchés (depuis des années, on tente de mettre en place des accords de partenariat économique, APE, entre l’Afrique et l’UE); troisièmement, les politiques agricoles de l’UE et des Etas-Unis, plus particulièrement la pratique des subventions à l’exportation; quatrièmement, les conséquences encore incertaines du réchauffement climatique sur l’Afrique et son agriculture vivrière. A tout cela s’ajoutent des causes internes telles que l’instrumentalisation du pouvoir d’Etat à des fins personnelles, et l’enrichissement souvent clientéliste de l’élite politique.
Au vu de ces données, il est à peine surprenant qu’environ 25% des douze millions de Maliens aient émigré, en Afrique de l’Ouest comme en Europe. Pour estimer l’importance des 300 millions d’euros qui reviennent au pays chaque année, quelques comparaisons s’imposent: cette somme représente bien plus que l’aide officielle au développement, et plus de la moitié des revenus des exportations. Ce qui est encore plus catastrophique, c’est que depuis des années l’UE tente par tous les moyens d’enrayer le flux des migrants (pas seulement africains), la migration étant uniquement souhaitable si elle permet de constituer un fonds de main-d’œuvre flexible d’utilité économique, entre autres pour l’agriculture du sud de l’Europe. En même temps, la gestion des migrations pratiquée par l’UE est régie par des lois et des technologies de surveillance toujours plus répressives, et on repousse toujours plus loin les frontières de l’UE, comme c’est le cas à la frontière entre le Mali et la Mauritanie.
Objectifs politiques
Politiquement, le réseau Afrique-Europe-Interact (AEI) poursuit plusieurs objectifs avec cette caravane: en tout premier lieu, contribuer à faire reconnaître les droits civiques, politiques et sociaux des réfugiés et des migrants, en particulier la liberté de mouvement. Le réseau souhaite non seulement organiser et élargir les campagnes déjà implantées au niveau international – par exemple contre Frontex, contre les accords de réadmission ou contre les expulsions – mais aussi informer en Afrique sur la situation concrète des réfugiés et des sans-papiers en Europe. Ceci pour assurer aux futurs migrants une préparation plus réaliste, mais aussi pour aider ceux qui ont été renvoyés en Afrique à se défaire du poids des préjugés, quand leurs parents et leurs proches les accusent d’être des ratés.
Le «droit au départ» n’est qu’une face de la médaille. Le «droit de rester» n’est pas moins significatif, c’est-à-dire la possibilité de mener à la maison ou dans le pays d’origine une vie dans des conditions autoproclamées de sécurité et de dignité. Dans cet esprit, AEI coopère avec des mouvements sociaux engagés contre l’exploitation et l’asservissement néo-colonial de l’Afrique – qu’il s’agisse d’ouvertures forcées de marchés ou de privatisations, de la politique agricole des Etats-Unis et de l’UE, ou de la braderie en cours du sol africain à des multinationales occidentales, des fonds d’investissements d’Etat ou des banques internationales. En résumé, de vol de terres.
A la Caravane!
La plupart des 200 à 300 participants à la caravane viennent du Mali et du Sénégal. Aux côtés de l’AME seront présentes dix organisations, dont le Mouvement des Sans-Voix (MSV) qui travaille avec les victimes d’expulsion de leurs terres. D’Europe sont attendus une cinquantaine d’activistes, dont The Voice Refugee Forum, No-Lager Brême, le conseil des réfugiés de Hambourg et le FCE. La caravane se déplacera avec plusieurs autocars et tiendra des réunions avec la population dans une demi-douzaine de lieux tout au long de la route. Il est aussi prévu une grande manifestation à Bamako et une action contre Frontex à Dakar. Des équipes de cinéastes et de journalistes maliens, ainsi que des activistes de Radio Kayira (réseau de radios locales) rendront compte du voyage. En outre, au Mali, pendant la phase préparatoire de la caravane, des spots d’information seront diffusés à la radio et à la télé.
En raison du grand nombre de participants, la caravane est dans une situation financière très précaire et est à la recherche de contributions: les dons sont les bienvenus! Pour plus d’informations,
vous pouvez consulter le site: http://www.afrique-europe-interact.net/