TRIBUNE: A qui appartient le monde?

de Franziska Kohler 07.06.2010, 10 août 2010, publié à Archipel 184

Un thème est en ce moment d’actualité, un thème dont les idées essentielles datent déjà de plusieurs siècles mais qui apporte un renouveau lors des discussions sur la société dans les confrontations politiques: c’est le débat sur les «Commons», que l’on peut traduire par biens partagés.

Les multiples crises auxquelles nous avons été confrontés ces dernières années ont conduit de nombreuses personnes à rechercher des alternatives à l’ordre économique et social actuel. Pour résoudre les problèmes ou trouver une sortie à la crise, on ne voit le plus souvent dans les débats publics et politiques que deux possibilités: une régulation par l’Etat et/ou la concurrence. Le concept de biens partagés est souvent oublié mais il pourrait ouvrir de nouvelles voies pour trouver une issue à la crise. Avec l’avènement du néolibéralisme, ces dernières décennies, presque tout ce dont nous avons besoin pour vivre a été privatisé, transformé en marchandises et soumis à la logique de la loi du marché. On s’aperçoit de plus en plus que tout ceci se réalise très souvent aux dépens de la société et de l’environnement. Le concept de biens communs offre une contre-proposition qui tient compte aussi bien des besoins des humains que de la conservation des ressources naturelles.

Le concept de biens partagés

Les marchandises et les services appartiennent au privé et sont gérés par les lois du marché ou bien sont mis à disposition par l’Etat. Les biens communs s’en distinguent en constituant un espace à côté du Marché et de l’Etat, où les êtres humains organisent le monde dans lequel ils vivent et fabriquent eux-mêmes ce qui leur est nécessaire. Ce concept offre plus de possibilité d’épanouissement aux individus et de meilleures conditions de vie pour tous. Les biens partagés ne sont pas «contre» le Marché ou l’Etat, mais pour leur dépassement. Il s’agit bien plus de nouvelles relations entre le Marché, l’Etat et les formes solidaires d’économie et de vie. Un bien commun ne dépend pas du type de marchandises ou de services, mais de leur utilisation. Il s’agit d’un mode particulier de relations entre les êtres humains et les choses, d’une utilisation collective de propriétés communes en alternative à la propriété privée. Les ressources sont donc utilisées de manière durable en commun au lieu que quelques-uns se les approprient et les soustraient aux autres. La relation est basée sur l’idée de participation et non d’échange. Cette idée l’emportera sur la logique souvent déterminante de notre société qui veut que seul soit garanti ce qui a une contrepartie directe.

Une communauté

Pour qu’il y ait des biens partagés, il faut une «Communauté», un groupe d’utilisateurs qui crée ces biens, les entretient au lieu de les laisser aux profiteurs. Cette gestion collective est appelée commoning (mise en commun). Les biens partagés n’existent pas par eux-mêmes et ne peuvent pas exister sans une participation active des utilisateurs. Les biens partagés ne peuvent être ni achetés, ni vendus; on doit les créer et les entretenir. C’est également la communauté des utilisateurs elle-même qui établit les règles d’utilisation et contrôle leur respect. L’utilisation des ressources est ainsi continuellement auto-organisée au lieu d’être manipulée de l’extérieur. Il n’y a pas non plus «Un Modèle» de biens partagés mais celui-ci peut être défini librement par les utilisateurs. Les institutions publiques et les entreprises peuvent également en faire partie. Au contraire de l’esprit de concurrence de l’économie de marché, le commoning est empreint de coopération, en ce qui concerne l’organisation et l’entretien des ressources, mais aussi en ce qui concerne les bénéfices qui, selon le concept de biens partagés, se partagent au lieu de se concentrer. Ceci renforce la cohésion sociale et a des retombées positives sur les relations sociales et donc sur la société.

Un scénario d’horreur

Les critiques ont souvent décrit la mise en place de biens partagés comme une catastrophe, un scénario d’horreur. Mais ce scénario est sans fondement car il assimile faussement le patrimoine commun à des biens qui n’appartiendraient à personne, se trouveraient dans un espace sans règle et pour lesquels nul ne se sentirait responsable. C’est une idée complètement fausse des biens partagés qui renvoie l’image d’un citoyen immature et léthargique, exclusivement intéressé à maximiser son propre bien. La crainte que sa propre liberté soit inévitablement limitée par la liberté de l’autre, est également sans fondement car l’épanouissement de tous est la condition nécessaire à l’épanouissement de chacun.

Prendre sa vie en main

Dans la nature, les biens partagés peuvent être des terres, l’eau, des forêts, la diversité génétique ou l’air. Tout être humain a droit à une part de tout cela mais il est aussi responsable de leur entretien et de leur pérennité. On doit aussi sauvegarder activement le patrimoine commun social et culturel des êtres humains, comme les lieux publics et les parcs, les jours de fêtes et les soirées, les langues, les souvenirs, les traditions et les savoir-faire. Le concept de biens partagés exige aussi un changement de pensée: on doit passer de l’attitude qui consiste à exiger du Marché ou de l’Etat qu’ils mettent à disposition des biens pour les utiliser, à la tâche de créer soi-même ces ressources et de les entretenir. Alors que les biens publics nécessitent un rôle fort de l’Etat, le patrimoine commun a surtout besoin de citoyens majeurs. Créer des biens partagés, c’est prendre sa vie en main. Chacun et chacune est invité à prendre ses responsabilités comme utilisateur et comme copropriétaire, pour gagner la liberté et la solidarité. Et pour organiser les petites et grandes choses de la vie quotidienne de telle sorte que la vie soit belle pour tous et toutes.