FRANCE: Mouvement sociaux

de Les soulèvements de la terre, 12 mai 2023, publié à Archipel 325

Nul ne peut prédire la situation en France, au moment où vous lirez Archipel, mais quand nous commençons la rédaction, le pays est toujours[1] secoué par des manifestations et des grèves contre la réforme des retraites du président Macron et les images de la répression brutale exercée par les «forces de l’ordre», y compris contre de très jeunes manifestant·es, sont quotidiennement relayées sur les réseaux sociaux. Cette violence s’est également exercée contre les participant·es à l’action contre les Méga-bassines[2] à Sainte-Soline.

Déjà 70.000 personnes ont signé l’appel[3] contre la dissolution des Soulèvements de la terre (…).

Face aux attaques du gouvernement, des comités locaux se forment partout sur le territoire, af-firmant ainsi que rien ne peut arrêter une révolte de fond contre la continuelle destruction du vivant.

Mardi 28 mars, alors que les manifestations contre la réforme des retraites battaient leur plein dans toute la France, parcourues de gestes de solidarité pour les blessé·es de la répression à Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé entamer une procédure de dissolution à l’encontre des Soulèvements de la Terre. La procédure a été lancée ce 29 mars.

Cette annonce vise à répondre au déluge de critiques adressées au déplorable pilotage du maintien de l’ordre en France depuis quelques semaines. La manifestation de Sainte-Soline contre les méga-bassines et l’accaparement de l’eau, samedi 25 mars, n’était à cet égard que le point d’orgue d’une partition macabre, entamée il y a plusieurs semaines, pour rappeler qu’il ne fait plus bon aujourd’hui sortir de chez soi pour manifester son opposition à la politique du gouver-nement.

Nous pleurons aujourd’hui toutes et tous les blessé·es du 25 mars et veillons les deux manifestants plongés dans le coma entre la vie et la mort. Nous pensons à toutes celles et ceux qui ont dû faire face à un dispositif militaire conçu pour terrifier au risque de tuer. Un dispositif d’une brutalité inouïe, allant le jour même jusqu’à l’obstruction de l’arrivée des secours, pour protéger un symbole, celui de leur autorité, envers et contre toute raison.

Mutiler et dissoudre

La dissolution, cette nouvelle manœuvre du ministre de l’Intérieur pour tenter de faire oublier la brutale répression qu’il a orchestrée est un peu trop grossière. Le projet de dissolution avait en effet «fuité» dans la presse depuis un article du Parisien du 20 décembre 2022, premier d’une sé-rie d’articles trop soutenue pour être hasardeuse, sur le profil des militant·es écologistes radicaux, sur ces mouvements ou ces territoires qui «s’éloignent des règles de la République». Ce que nous comprenons, au fil des interventions des ministres de ce gouvernement, c’est qu’iels semblent décidé·es, emporté·es dans leur propre fébrilité, à taxer «d’ultra-gauche» tout ce qui se met en travers de leur chemin. Au gré des recyclages de cette appellation, elle recouvre désormais presque parfaitement celle d’«opposant·e», toutes catégories confondues.

Le gouvernement a en l’espèce tenté d’user d’une double stratégie. D’une main fustiger l’écoterrorisme, les black-blocs, et les activistes écologistes radicaux, accusé·es de parasiter les «légitimes mouvements pour la préservation de la planète», de l’autre couper sournoisement les vivres à toutes les associations de défense de l’environnement qui se battent pied à pied pour ra-lentir le cours du désastre écologique.

Ainsi, depuis la loi «Séparatisme» ce sont des dizaines d’associations sociales, environnementales et culturelles soupçonnées de ne pas souscrire au «Pacte Républicain», ou juste trop critiques à leur goût, qui se sont vu refuser des financements, inquiétées par les préfectures, bannies des ins-tances de concertation, portées sur de mystérieuses listes noires qui circulent de service en service.

Rien ici qui ne nous surprenne vraiment. Ce qui nous sidère, c’est qu’iels puissent penser que ces vieilles ficelles suffisent à mettre un coup d’arrêt à une révolte de fond contre la continuelle destruction du vivant.

Une grandissante coalition de forces

Au fil des mois, c’est toute une constellation de collectifs d’habitant·es en lutte, d’associations de défense de l’environnement, de fermes, de groupes naturalistes, de cantines populaires, de syndicalistes paysan·nes, de scientifiques en rébellion, de syndicats, de groupes autonomes, de mouvements d’éducation populaire, d’élu·es, de personnes de tous âges et de tous horizons, qui se retrouvent et s’organisent sous la bannière des Soulèvements de la Terre. Et ça, rien n’est en mesure de le dissoudre.

En réalité aujourd’hui, c’est ce gouvernement que la majorité des habitant·es du pays voudrait voir dissous.

Alors, pour donner un peu de chair à leur inquisition, nous allons, nous qui signons cette tribune et toutes celles et ceux qui ne manqueront pas de nous rejoindre, rendre publique notre apparte-nance aux Soulèvements de la Terre.

Nous serons donc dans les rassemblements de solidarité avec les blessé·es de Sainte-Soline et pour que cessent les violences policières, (...) comme nous participerons aux comités locaux des Soulèvements de la Terre que nous appelons aujourd’hui à créer partout sur le territoire et au-delà. Nous nous soulevons toutes et tous contre la vision du monde et de la vie que ce gouvernement incarne, contre le saccage des milieux naturels, la disparition des terres arables, l’accaparement de l’eau, l’augmentation de la durée de cotisation qui n’est que le paravent de l’injuste partage des richesses, contre les mutilations parfois fatales qu’iels infligent depuis trop longtemps à nos ami·es, à nos enfants, à nos camarades.

Nous nous soulevons, chacun·e depuis notre endroit, chacun·e à notre manière. Le mouvement des Soulèvements de la Terre ne peut pas être dissous car il est multiple et vivant. On ne dissout pas un mouvement, on ne dissout pas une révolte.

Nous appelons toutes et tous à nous rejoindre pour rendre caduque cette tentative d’étouffement. Nous sommes, toutes et tous ensemble, les Soulèvements de la Terre.

  1. Voir Archipel No323 «France: l’âge de la retraite on s’en fout» de mars 2023.
  2. Voir Archipel No320 «France: Soulèvement de la terre», de Bernard Schmid, journaliste et juriste, de décembre 2022.
  3. https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/nous-sommes-les-soulevements-de-la-terre