FRANCE: Casseroles libres dans un pays libre

de Bernard Schmid, Paris, 17 juin 2023, publié à Archipel 326

En France, les manifestations plus ou moins spontanées se sont étendues partout ces dernières se-maines, notamment à l’occasion des visites présidentielles et ministérielles – fin avril, cent journées d’action ont été annoncées par les syndicats – le président de la République Emmanuel Macron ten-tant de rester à l’offensive et de concrétiser des propositions pour faire pression sur les syndicats.

Le terme «effet Streisand» a été inventé à l’époque de l’apparition d’Internet,. Il est apparu dans le contexte de la tentative de censure de contenus concernant l’actrice Barbara Streisand – une entreprise vouée à l’échec, du moins sous cette forme, à l’époque de la communication en réseau.

La tentative de l’État français, ou en tout cas de son personnel local – utilisée pour la pre-mière fois le 20 avril dernier dans le département de l’Hérault, dans l’arrière-pays de Montpellier – d’empêcher par interdiction officielle la communication des expressions de protestation par des «casserolades» (concert de casseroles), risquait d’être structurellement similaire. Il s’agissait de ne pas déranger l’illustre visiteur, le président Emmanuel Macron, lors de sa visite. Plus précisé-ment, l’arrêté d’interdiction du préfet local (représentant de l’Etat central dans le département ou la circonscription administrative) visait concrètement tout «dispositif sonore portatif». Mais les casseroles, couvercles de casseroles et autres objets similaires ont été frappés d’autant plus souvent et dans d’autant plus d’endroits.

Il semble que le président Macron, ou en tout cas ses conseillers, lors de sa visite dans l’Hérault, n’a pas apprécié l’interdiction de taper sur les casseroles, sans doute parce qu’elle était contre-productive. Les forces d’intervention sur place auraient fait du zèle. Entre-temps, les autorités semblent avoir décidé que les casseroles et leurs couvercles ainsi que les cuillères ne font pas partie des objets dangereux interdits, ni des «dispositifs sonores portifs» interdits. Cette pratique de protestation s’est en tout cas répandue à la vitesse de l’éclair après les mani-festations du lundi 17 avril au soir, notamment à Paris et dans plusieurs autres villes, à l’occasion de l’allocution télévisée du président Macron, suite à l’entrée en vigueur de la «réforme» des retraites. La manifestation a duré trois quarts d’heure devant plusieurs mairies d’arrondissement parisiennes et en province.

Au total, le nombre de rassemblements spontanés ou organisés à la dernière minute autour de l’allocution de Macron lundi – l’idée ayant circulé au maximum 24 heures auparavant sur les ré-seaux sociaux- aurait atteint 300 dans toute la France.

La présidente du groupe LFI (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, vient d’annoncer que les fameuses casseroles allaient claquer au nez du président Macron «jusqu’au retrait de la réforme»...

Il n’y a pas que des casseroles qui lui pendent au nez. Emmanuel Macron semble également être poursuivi par des échecs et des pannes dans la mesure où le pur hasard veut que partout où il se rend, il y ait une panne de courant, comme par exemple lors de sa visite en Alsace. De même, dans le sud de la France, dans l’Hérault, le courant a été coupé, d’abord à l’aéroport de Montpellier, puis dans un collège de la commune de Ganges, où Macron s’est ensuite rendu. Mais que sont ces coïncidences et ces pannes? Selon les rumeurs, un spectre aurait également participé aux coupures de courant, dont on ne connaît pour l’instant que l’abréviation. Il s’agit de la CGT[1] ou quelque chose dans ce genre. Peut-être avez-vous déjà entendu ces lettres? La rédaction accueillera certainement avec gratitude toute information pertinente.

Politique scolaire et de rémunération

Dans cette commune de Ganges qui compte environ 4000 habitant·es, environ 1000 personnes – à l’appel notamment des fédérations ou unions syndicales CGT, Solidaires[2] et CNT[3] – ont manifesté contre la visite de Macron, comme mentionné plus haut.

Ce dernier s’y est produit dans un collège et, après la coupure du courant, devant celui-ci. À cette occasion, Emmanuel Macron a également annoncé certaines de ses décisions, destinées à préciser les annonces restées générales de son allocution télévisée du 17 avril. Lors de cette intervention, Macron avait promis une série d’améliorations générales dans un délai de 100 jours[4] – c’est-à-dire jusqu’à la fête nationale du 14 juillet, après quoi la France connaîtra de toute façon une pause politique estivale jusqu’à début septembre, pendant laquelle il ne se passe générale-ment pas grand-chose sur le plan social dans le pays – et avait laissé entrevoir un «pacte pour la vie professionnelle». L’idée est avant tout de faire pression sur les syndicats pour qu’ils acceptent une collaboration et qu’ils renoncent à leur «opposition acharnée à la réforme des retraites», selon le gouvernement. En ce qui concerne le chapitre de la politique scolaire et de la rémunération des enseignant·es, Macron a annoncé à cette occasion vouloir augmenter les salaires des enseignant·es de «100 à 230 euros par mois», sans donner plus de détails pour l’instant. Il a ajouté qu’il pourrait y avoir des augmentations allant jusqu’à 500 euros par mois pour les heures supplémentaires volontaires. L’idée est que les enseignant·es peuvent assumer «volontairement» des tâches supplémentaires telles que l’aide aux devoirs, mais aussi le remplacement de collègues régulièrement absents; ce qui devrait toutefois aboutir à ce que les services de «remplissage» fournis «volontairement» remplacent les embauches de personnel nécessaires. Des commentaires ont également souligné que cela pouvait conduire de facto – en comptant les heures de préparation et les corrections d’examens – à des semaines de travail de plus de 40 heures par semaine, ce que les enseignantes, en particulier, ne peuvent souvent pas se permettre en raison de la répartition ac-tuelle des tâches familiales; et que (notamment dans ce contexte) les inégalités salariales et autres entre les enseignant·es risquaient de s’accroître. Les syndicats du secteur de l’éducation ont, pour la plupart, émis de vives critiques à l’égard de ces projets. De son côté, une experte en politique de l’éducation a déclaré que si l’on voulait compenser la perte de revenus effective des enseignant·es depuis les années 1980 en raison de la baisse des salaires réels, il faudrait augmenter leurs salaires «de 1000 euros par mois».

Entre-temps, il semble que pour contrer sa perte massive de popularité (le président de la République Emmanuel Macron est actuellement à son plus bas niveau d’approbation, comme au mo-ment des manifestations des gilets jaunes de l’hiver 2018/19, avec 26 % à 28 %, contre 48 % l’année précédente), le gouvernement hausse également le ton sur le thème de la «politique des étrangers» et la durcisse. De son côté, le parti d’opposition conservateur Les Républicains (LR) veut reprendre le thème de la nouvelle loi sur les étrangers, sur laquelle le gouvernement a avancé à l’automne 2022 avant de sembler faire marche arrière dernièrement en raison d’une majorité peu claire, et l’inscrire d’urgence à l’ordre du jour du Sénat (ou «Chambre haute») dominée par LR.

Autres activités

Depuis, la protestation a également trouvé une expression significative juste devant l’Élysée, sous la forme d’un véhicule garé là et portant une inscription claire sur la réforme des retraites.

De leur côté, les ministres d’Emmanuel Macron (beaucoup sont jusqu’à présent plutôt inconnus du public), dont la «première» d’entre elleux, c’est-à-dire la Première ministre Elisabeth Borne, ont été confrontés à des manifestations et des protestations spontanées au cours de la deuxième moitié de la semaine. Face à la cheffe du gouvernement Borne à Châteauroux, dans le centre de la France, les désormais célèbres casseroles, couvercles et cuillères ont de nouveau résonné.

[Il faut signaler au passage que le niveau de brutalité déployé par la police pour réprimer les «casserolades» est sans commune mesure avec l’absence totale de réaction face aux défilés de l’extrême droite dans plusieurs villes de France. Et en dernière minute, le 6 juin, auront (eu) lieu de nouvelles manifestations à l’appel de l’intersyndicale afin de mobiliser avant le vote à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), qui vise à abroger la réforme des retraites. Mais le 31 mai, en commission, les macronistes et Les Républicains (parti de droite) ont supprimé l’article concerné pour en empê-cher le vote le 8 juin. Ceci illustre une nouvelle fois que ce ne sera pas à l’Assemblée que le retrait de la réforme sera obtenu mais bel et bien, dans la rue et par la grève, NDLR]

Bernard Schmid, Juriste, Paris

  1. Confédération Générale du Travail, confédération syndicale de gauche, à l’origine proche du parti communiste.
  2. Connu aussi sous l’acronyme SUD, pour Solidaires, Unitaires, Démocratiques, issu du Groupe des Dix constitué en 1981 par dix organisations syndicales autonomes non-confédérées.
  3. Syndicat anarcho-syndicaliste.
  4. L’opposition à la réforme des retraites a donc appelé à une «Interville du zbeul» (désordre, dérangement de l’ordre ordre établi), sorte de jeu concours entre les villes pour perturber la ve-nue de tout membre du gouvernement qui bat son plein au moment où nous mettons en page.