Une action en justice collective européenne a été déposée le 4 mars contre l’Union européenne (UE) par des plaignants issus de cinq Etats membres - l’Estonie, la France, l’Irlande, la Roumanie et la Slovaquie, et également des Etats-Unis. Ils estiment qu’en promouvant la combustion de bois des forêts comme source d’énergie renouvelable et neutre en carbone, la directive européenne sur les énergies renouvelables (ER) révisée en 2018 (RED II) détruira les forêts et augmentera les émissions de gaz à effet de serre.
L’affaire, qui a été déposée devant le Tribunal de l’UE à Luxembourg, cite des preuves scientifiques selon lesquelles les centrales au bois rejettent, dans l’atmosphère, plus de dioxyde de carbone (CO2) par unité d’énergie que les centrales à charbon. Les plaignants demandent à la Cour d’annuler les dispositions de la directive relatives à la biomasse forestière, afin de rendre la pratique de combustion de biomasse forestière inéligible pour atteindre les objectifs des États membres de l’UE en matière d’énergies renouvelables. Avec comme conséquence qu’il ne serait plus admis d’octroyer des subventions à des centrales à biomasse, comme à Gardanne.
Les initiateurs de cette action ne se trouvent pas en Europe, mais aux Etats-Unis. Mary Booth, présidente du Partnership for Policy Integrity (PFPI)1, une ONG qui se bat contre la destruction de forêts aux Etats-Unis pour satisfaire la demande croissante de pellets (ou granulés) destinés aux mégacentrales à biomasse en Europe. Rappelons que celle à Drax en Grande-Bretagne consomme chaque année l’équivalent de 13,8 millions de tonnes de bois forestier issu surtout des forêts, en grande partie anciennes de feuillus, du sud-est des Etats-Unis. Cela représente plus que la récolte totale de toutes les forêts britanniques. Depuis plusieurs années des centaines de scientifiques américains contestent la politique énergétique de l’UE qui favorise la combustion de la biomasse forestière (c’est-à-dire des arbres coupés spécifiquement à cette fin). Ils avaient déjà tenté d’alerter les décideurs européens lors de la mise en place en 2009 de la directive RED I qui prévoyait un objectif contraignant de 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique global. Rappelons que 65 % des ER en Europe proviennent actuellement de la biomasse. Environ 70 % de cette biomasse provient d’arbres entiers.
La nouvelle RED II augmente l’objectif à plus de 30 %, tout en maintenant cette proportion prédominante de biomasse. D’où la très forte inquiétude chez les scientifiques américains et chez des ONG comme le PFPI, qui se sont décidé·es à lancer cette action et à la financer. Les cinq plaignants ont tous subi d’une manière ou l’autre les conséquences de la mise en place de centrales à biomasse, soit l’impact sur les forêts de leur pays, soit, comme à Gardanne, l’impact sur la santé publique de la population locale. Bernard Auric, Président de l’Association de lutte contre les nuisances et la pollution (ANLP), en est l’un des plaignants. A l’instar d’autres riverains de la centrale à Gardanne-Meyreuil, dans le sud de la France, sa vie a été fortement affectée par la conversion d’une ancienne centrale à charbon en une centrale alimentée en biomasse.
Bernard Auric décrit que «le bruit est si fort que certains habitants vivant à proximité de la centrale sont obligés de fermer toutes les fenêtres, même quand il fait très chaud en été, et doivent placer des matelas contre les fenêtres pour tenter de diminuer le bruit. Ils disent que cela équivaut à un hélicoptère volant à 100 mètres au-dessus de la maison. Ils sont régulièrement privés de sommeil, et les enfants, en particulier, en sont négativement impactés.» La pollution atmosphérique grave et extrêmement dangereuse causée par la centrale, constitue un autre problème. Il est bien connu que les particules fines et ultrafines générées par la combustion du bois constituent une grave menace pour la santé publique. Le propriétaire de la centrale, Uniper, admet que la centrale à biomasse émettrait 98 tonnes par an de particules fines une fois en pleine activité, c’est-à-dire en brûlant 855.000 tonnes de biomasse. La centrale électrique est située dans une zone densément peuplée, avec environ 10.000 habitants vivant à moins d’un kilomètre, et avec une école maternelle, deux écoles, un stade, plusieurs terrains de sport et un gymnase à moins de 500 mètres.
Cette affaire touche des questions fondamentales pour l’avenir de notre planète. Comme l’explique le site internet consacré à cette action en justice2, «pour éviter un réchauffement climatique catastrophique, nous devons réduire fortement les émissions et augmenter le puits de carbone, c’est-à-dire l’absorption de carbone dans les écosystèmes naturels. Les forêts sont notre meilleur espoir d’éliminer le carbone de l’air. L’affaire montre que la promotion par l’UE de la combustion du bois des forêts est contraire aux promesses du traité sur le fonctionnement de l’UE: préserver et protéger l’environnement, utiliser les ressources naturelles avec prudence, lutter contre le changement climatique, utiliser la science pour éclairer les politiques...» L’impact sur les forêts est considérable. Prenons le cas de l’Estonie, l’un des plus petits pays d’Europe, qui est cependant le troisième producteur de granulés de bois du continent. Les forêts du pays sont soumises à de fortes pressions: plus de 285.000 hectares de forêts estoniennes ont disparu depuis 2001, selon des données satellitaires. Cette évolution est due en grande partie à la croissance rapide de l’industrie de la biomasse. Les plaignants roumain et slovaque constatent aussi chez eux une augmentation catastrophique de la déforestation.
Le plaignant irlandais se bat depuis des années pour la fermeture des mégacentrales électriques à base de tourbe. Ces centrales devaient fermer prochainement, mais le gouvernement irlandais leur a récemment promis une subvention si elles ajoutent 30% de biomasse ligneuse, ce qui prolongerait les dommages écologiques causés par l’extraction de tourbe.
Il est loin d’être certain que le Tribunal de l’UE déclarera admissible cette action collective, car jusqu’à présent quasi aucune plainte déposée par des associations n’a été acceptée. Mais cette fermeture vis-à-vis de la société civile est fortement critiquée et les plaignants gardent l’espoir. On verra la suite.
Nicolas Bell, membre du FCE - France