DOSSIER NO BORDER : Agitation aux frontières extérieures

de Dieter A. Behr, Lisa Bolyos*, 26 mai 2010, publié à Archipel 175

Du 26 au 31 août derniers, plus de 400 activistes venus de plusieurs pays ont participé au camp No Border qui s�est déroulé en Grèce sur l�île de Lesbos près de Mytilène, sa capitale. La particularité de ce camp, comparé aux autres camps No Border, tenait aussi bien à la présence des gauches locales diverses et de leurs conflits qu�aux contacts rapidement établis avec les migrants fraîchement arrivés. Lesbos passe actuellement pour un point chaud des mouvements migratoires dans l�Union Européenne: de l�île, on peut apercevoir la côte turque. Situation générale Du 26 au 31 août derniers, plus de 400 activistes venus de plusieurs pays ont participé au camp No Border qui s-est déroulé en Grèce sur l-île de Lesbos près de Mytilène, sa capitale. La particularité de ce camp, comparé aux autres camps No Border, tenait aussi bien à la présence des gauches locales diverses et de leurs conflits qu-aux contacts rapidement établis avec les migrants fraîchement arrivés. Lesbos passe actuellement pour un point chaud des mouvements migratoires dans l-Union Européenne: de l-île, on peut apercevoir la côte turque. Situation générale En 2008, plus de 13.0001 personnes ont risqué la traversée. La plus grande partie des migrants vient d-Afghanistan, de Somalie, du Pakistan, du Bengladesh et d-Irak. En général, ils arrivent en bateaux pneumatiques motorisés (la traversée coûte entre 1500 et 3000 euros). Et ceci, comme nous l-a raconté un migrant érythréen venu par ce biais, très souvent sans la présence à bord d-une personne ayant compétence à conduire un tel engin: les passeurs mettent le canot à disposition et les passagers doivent s-organiser eux-mêmes. Il arrive que lorsqu-ils se savent repérés, en haute mer, par les gardes-côtes ou par les bateaux de Frontex2 opérant à Lesbos, les passagers percent eux-mêmes l-embarcation pour éviter d-être renvoyés sur-le-champ en Turquie, sans même avoir eu droit à une audition juridique. C-est une entreprise à haut risque quand on sait qu-il y a souvent à bord des enfants et des personnes qui ne savent pas nager. Une fois la traversée réussie, deux variantes s-offrent à eux: soit ils tentent de s-embarquer sur un ferry pour Le Pirée, Kavala ou Thessalonique, enfin, sur le sol grec (une variante très incertaine, du fait des contrôles d-identité «au faciès» lors de l-embarquement), soit ils vont se faire enregistrer auprès de la police afin d-obtenir des white papers (laissez-passer) autorisant un séjour de 30 jours en Grèce, pour pouvoir continuer leur route «légalement». Se faire enregistrer signifie d-abord que dès que les empreintes digitales sont prises, les accords de Dublin II entrent en application. En résumé, ceux-ci stipulent que la personne ne peut demander l-asile que dans le premier pays d-arrivée au sein de l-UE ou dans un «pays tiers sûr». Ensuite, une fois enregistré en Grèce, il n-est plus possible de demander l-asile dans un autre pays de l-UE sans être refoulé vers la Grèce où en revanche, les chances d-obtenir l-asile sont pratiquement nulles. Le deuxième volet des politiques racistes grecque et européenne est le centre de rétention de Lesbos où sont amenés les réfugiés appréhendés. Cette véritable prison, est devenue, durant le camp No Border, le point de cristallisation de la lutte des migrants. Pagani, c-est le nom du centre de rétention, se situe dans la banlieue de Mytilène, au milieu d-entrepôts et de décharges industrielles, très loin de la vie publique et des évènements touristiques. Au début du camp No Border, il y avait à Pagani, conçu pour 280 prisonniers, près de 1000 détenus dont 1/4 sont des mineurs. La plupart des internés viennent d-Afghanistan, d-Erythrée et de Palestine, quelques-uns d-Irak ou du Rwanda. Les conditions de vie à Pagani dépassent l-imagination: jusqu-à 120 personnes dans une pièce (avec un seul WC), pas assez d-eau et de nourriture, pas d-air frais (les détenus n-ont le droit de quitter les «cellules» qu-une fois par semaine, juste dans le but de vérifier leur nombre), pas de produits hygiéniques, pas d-aliments pour bébés, ainsi de suite. Certains vivent enfermés à Pagani dans ces conditions jusqu`à trois mois. Tentatives d-évasion (réussies pour quelques-unes, d-après ce que l-on a pu entendre) et grèves de la faim, moyens de luttes adoptés par les migrants pour échapper à cette situation misérable sont tout à fait compréhensibles. Stratégies et interventions du camp No Border Le camp No Border a démarré avec un ensemble de revendications et d-objectifs qu-il faut raccorder à différents niveaux politiques: tout d-abord, au programme et comme objectif politique à long terme, l-abolition de toutes les frontières et la liberté de circulation pour tous. Au niveau de l-UE, la suppression de l-agence des frontières Frontex, l-arrêt de la «politique de forteresse» et la régularisation de tous les sans-papiers. En ce qui concerne Lesbos et la situation à Pagani, il y avait deux approches suivies en parallèle: d-abord la fermeture de Pagani et la mise en place d-un centre de transit ouvert pour les migrants et deuxièmement la libération immédiate des détenus ainsi que leur transfert dans un camp aménagé provisoirement près de l-aéroport de l-île où les migrants peuvent être à l-abri de la détresse et de la répression en attendant les white papers qui leur donneront droit à poursuivre leur voyage. Nous avons également réclamé l-établissement immédiat des white papers pour les migrants non encore enregistrés. Les diverses interventions et actions directes issues du travail politique antiraciste et les recours auprès d-institutions politiques et du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) étaient censées faire pression de manières aussi diverses que possible afin de se rapprocher des objectifs postulés plus haut. Il va sans dire que les désaccords entre les activistes et les groupes présents au sujet des stratégies d-actions à adopter étaient parfois considérables. Le fait que les activistes germanophones étaient très fortement représentés et en particulier beaucoup plus nombreux que les Grecs, a donné au camp une combinaison particulière. Un autre aspect remarquable était que les groupes anarchistes grecs, connus depuis les événements de décembre dernier, n-ont presque pas mobilisé pour ce camp. La démarcation qu-on tenu à faire les groupes anarchistes grecs d-avec les «Lefties» était sans équivoque pour ceux qui ne connaissaient pas le contexte politique local. Sous ce terme générique péjoratif sont rangés les communistes avec ou sans parti, les mouvements de gauche, les gauchistes, les étudiant-e-s non anarchistes, etc. Or, les organisateurs du camp du côté grec venaient essentiellement de ce groupe de «Lefties». Les désaccords au sujet de la dose de militance nécessaire d-un côté et les actions spectaculaires pour justifier son existence de l-autre ainsi que sur la question récurrente de l-exclusion des médias ou non étaient programmés d-avance. Pour dépasser ces différends, il serait sûrement bénéfique pour le prochain camp No Border d-affiner des stratégies de communication telles que séances plénières, système de délégation, modération, etc. Violences policières Des policiers des unités antiémeute, chargés à bloc de testostérone, sont venus d-Athènes pour accompagner les cinq bus. Des divergences (chez eux aussi!) interrégionales ont conduit à ce que le chef des forces d-intervention de Lesbos et son commando ont été priés de rester tranquilles, en d-autres termes, de se tenir à l-écart, alors que les unités d-intervention d-Athènes complètement autonomes tabassaient les manifestants et ceux qui se trouvaient là. Les stratégies de ce doux mélange d-unités anti-émeute, de forces de police «normales», d-agents de la circulation, de l-administration et des services de sécurité du centre de rétention de Pagani et, pour finir, du poste de police local étaient rarement prévisibles et encore moins compréhensibles. Comme, par exemple, le jour de la dernière grande manifestation où les participants et les passsants furent pourchassés à travers les rues animées. Ils n-ont pu échapper à la violence policière aveugle et complètement démesurée ainsi qu-aux interventions parfois brutales de citoyens actifs que grâce à la protection de tenanciers de cafés et de propriétaires de magasins. Cette expérience, face à une masse incontrôlée de policiers enragés, fut pour beaucoup de participants du camp et pour de nombreux migrants la première et donc très éprouvante pour les nerfs. Une fois, tard le soir, nous sommes tombés sur un bus plein de policiers anti-émeute qui se faisaient prendre en photo devant des banderoles confisquées et qui, sur le départ après quelques menaces et provocations, scandaient à travers les fenêtres grillagées du bus «no border, no nation»: tout aussi grotesque que dangereux. Autre rencontre, à un autre endroit, pour les participants au camp: lors de leur départ en ferry pour Le Pirée, les policiers qui contrôlaient leur identité ont tenté de les intimider en les menaçant avec des remarques du genre «on va te briser les os» ou bien «ce voyage, tu ne l-oublieras jamais». Ce qui n-était pas d-un grand réconfort, c-est que sur le même ferry voyageaient en même temps que 400 personnes, tout juste libérées de Pagani, trois bus plein de policiers anti-émeute, en civil cette fois-ci, sur le retour vers Athènes. Après quelques patrouilles provocatrices et leur lot d-agressions verbales, le calme est plus ou moins revenu pour le reste de la nuit, mais les menaces et la colère face à une certaine impuissance restaient à la plupart en travers de la gorge. Actions et bilan Malgré tout, les participants au camp ont réussi à planifier des actions, plus ou moins consensuelles, à un rythme soutenu, qu-ils ont mené parfois avec, parfois sans succès: une occupation de préfecture ratée, plusieurs manifestations et délégations dans les environs du camp et à la fin aussi dans le centre de rétention, un blocage avec des bateaux pneumatiques dans le port de la ville, l-occupation du toit de Pagani, une tournée d-information dans quelques villages de l-île, des parades d-adieu pour celle ou celui qui avec ou sans papiers montait sur le ferry vers la terre ferme, la prise en charge et un service conseils pour les réfugiés. A la fin, les activistes se retrouvèrent plutôt devant le fait accompli telle Marie de la Bible: une tente d-information a été installée dans la ville, tout d-abord pour faire participer les habitants de la ville au camp. Mais la tente de cirque devint très rapidement un point de services d-entraide pour les migrants arrivant. Des activistes expérimentés mettaient à disposition des places de couchage et fournissaient des informations juridiques utiles. Car dans cet endroit il était à présent possible de réclamer, sans être enregistré, des White papers et des billets pour le ferry et ainsi d-épargner, du moins à un nombre limité de gens, les brimades de Pagani. Ce type d-entraide était et reste manifestement nécessaire. En même temps se pose la difficulté sur ce point précis de trouver une fin. La courte durée d-un camp No Border s-avère ici problématique et soulève un certain nombre de questions pratiques et stratégiques. On ne doit pas oublier de mentionner ce qui a magnifiquement bien fonctionné sur ce camp: la cuisine populaire des «Taupes de Freiburg», le maintien d-une bonne hygiène (malgré une épidémie de diarrhée), le travail antisexiste et antiraciste du groupe de travail Awareness, la formation accélérée d-une équipe anti-répression très active et d-un groupe médical, les ateliers qui, du fait de la situation dynamique locale inattendue, passèrent un peu au second plan, les nombreuses séances plénières et les discussions en petits groupes ainsi que la préparation pour la poursuite du travail engagé, alors que le plus gros des participants était déjà parti. Et justement, afin de donner une suite aux efforts engagés pour la fermeture de Pagani et pour l-application de la liberté de circulation, enfin pour avancer vers plus d-équité, il est prévu dans les prochaines semaines des journées d-actions au niveau international, autour des ambassades grecques3. 1. Un rapport du HCR, datant du 19.01 09, fait état de 13.252 réfugiés et migrants appréhendés à Lesbos après la traversée du détroit. 2. Agence européenne de protection des frontières. 3. Plus d-infos sur: http://lesvos09.antira.info/ et http://noborder09lesvos.blogspot.com/