COURRIER DES LECTEURS - Cher-e-s Ami-e-s

de Jean-Michel Corajoud, 14 mars 2006, publié à Archipel 134

Comme animateur du Cercle des Lecteurs d'Ivan Illich, j'ai été très intéressé par l'article, en deux parties, intitulé «Vous avez dit autonomie?» paru dans les numéros d'octobre et novembre, qui fait référence aux pensées de Castoriadis et d'Illich. J'estime en effet qu'Ivan Illich a été un penseur fécond de l'autonomie qui, pour lui, était la condition indispensable à la libération de tous les individus.

Permettez-moi cependant d'apporter quelques compléments aux éléments analysés par l'auteur, M. Chameau. D'abord il convient de rappeler que pour Illich, il n'y a pas d'autonomie possible sans activités vernaculaires. Il a réhabilité ce concept – du latin vernaculum – qui, selon lui, «qualifie tout ce qui était né, élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison – esclave ou enfant, nourriture ou habillement, animal, opinion ou plaisanterie… activités auxquelles se livrent les gens lorsqu'ils ne sont pas motivés par des considérations d'échanges, un mot qui qualifierait les activités hors marché par lesquelles les gens font et fabriquent ce qui leur est nécessaire1» .

Ces activités de subsistance créent une valeur d'usage, hors marché, qu'il convient bien de distinguer de la valeur d'échange, produite pour le marché.

En outre, Illich insiste sur l'importance des communaux. Pour lui «ce sont ces parties de l'environnement à l'égard desquelles le droit coutumier imposait des formes particulières de respect communautaire. Il s'agissait pour les villageois de ces parties de l'environnement qui ne leur appartenaient pas mais sur lesquelles ils avaient un droit d'utilisation reconnu, non pour produire des biens marchands mais pour assurer la subsistance de leur famille2» .

Les communaux étaient d'abord ces terres et ces bois dont les villageois pouvaient disposer en quantité fonction du nombre de bouches à nourrir de la famille. Mais pour Illich, ce n'est pas que cela, il s'agit aussi de tout ce qui permet la sauvegarde, de façon autonome, de l'art d'habiter, y compris au-delà de la maison, dans les rues des barrios (quartiers) de Mexico, avant la circulation automobile, où les vieux pouvaient poser leur chaise pour discuter et les enfants jouer librement; lieux qui permettaient aussi de se déplacer sans utiliser un moyen de transport motorisé, soit à pied, soit à vélo; pratiques sanitaires communautaires qui permettent de se maintenir en bonne santé sans devoir recourir aux soins médicalisés; activités d'apprentissage par soi-même en ayant accès à une bibliothèque, ou alors faire la fête sans aller dans une discothèque.

Par ce qui précède, je me suis permis de souligner que pour Illich, il n'y avait pas d'autonomie possible sans activités vernaculaires, pratiquées dans des communaux. Il est conseillé, à ce propos, de lire son ouvrage «Dans le miroir du passé; conférences et discours 1978-1990» et notamment les chapitres intitulés «Le silence fait partie des communaux», «Misvaleur» et «La langue maternelle enseignée» où ces éléments sont particulièrement développés.

Amicales salutations

Jean-Michel Corajoud*

  1. Illich Ivan, «Dans le miroir du passé» in «Œuvres complètes» , Vol. 2, Paris: Fayard 2005 (1994), p. 831, 35 euros

  2. Op. cit. p. 749

* Jean-Michel Corajoud édite une brochure périodique en français intitulée «La Convivialité - Cercle des lecteurs d'Ivan Illich» ainsi que «Le crétin des Alpes, petit journal du mouvement des réfractaires au développement». Le petit journal est un moyen d'expression pour celles et ceux qui souhaitent faire une analyse critique du développement et, par leurs écrits et leurs actions, contribuer à une alternative. Il est adressé gratuitement à celles et ceux qui désirent le recevoir.

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