CONGO: Colonie un jour, colonie toujours?

de Martial Pa'nucci, Ras le Bol, 12 juin 2021, publié à Archipel 304

Sassou Nguesso s'autoproclame président réélu du Congo, pendant que la France cache le cadavre de son principal opposant Guy Brice Parfait Kolelals et laisse croupir en prison le général Jean-Marie Michel Mokoko.

En France, certaines personnes s'étonnent souvent du fait que des Africain·es "envahissent" leur ville ou quartier, sans se demander pourquoi ces gens viennent en France. Bon je vous donne la réponse: la France gère la monnaie de plus de 14 pays africains (tous d'anciennes colonies françaises – pas étonnant que la monnaie s'appelle FCFA c'est-à-dire Franc des Colonies Françaises d'Afrique [officiellement Franc de la Communauté Financière Africaine-Ndlr])! Vous êtes choqué·es? Moi pas du tout parce qu'il y a pire: la France choisit aussi quel dirigeant mettre à la tête de certains Etats pour soi-disant préserver les intérêts français… Et l'exemple le plus patent est celui de la République du Congo, encore appelé Congo Brazzaville, où la France a placé un dictateur sanguinaire au pouvoir depuis près de 40 ans (à ne pas confondre avec la République démocratique du Congo encore appelé RDC ou Congo-Kinshasa).

Mais que se passe-t-il lorsqu'un dirigeant refuse d'obtempérer aux injections de la France? La réponse est simple: il sera déchu par la France qui est prête à envoyer ses barbouzes de l'armée française pour déloger le récalcitrant de son palais. Vous pensez vraiment que ce n'est pas possible au 21e siècle? Allez demander à Laurent Gbagbo qui a été catapulté (à coups de bombes par l'armée française) de son palais présidentiel à la Cour Pénale Internationale pour faire place à Alassane Dramane Ouattara, un suppôt de la FrançAfrique.

Mais revenons à notre empereur des Safous (1).

2021: Elections au Congo...

... ou la dernière mascarade électorale de l’empereur des Safous. Pour ce qui est de la République du Congo, l'histoire commence en 1997; il y avait eu un semblant de calme entre 1992 et 1997. Pourquoi semblant de calme? C'est qu'en 1997, la France décide de remplacer Pascal Lussouba (président démocratiquement élu en 1992 après une conférence nationale suite à la révolte des populations face à la gestion calamiteuse de son prédécesseur) par Denis Sassou-Nguesso (ancien dic-tateur exilé et choyé par la France de Jacques Chirac pendant que le Congo tentait de se relever des dé-boires de plusieurs années du monopartisme).

La France, par le truchement de Elf-Aquitaine (2), arme Sassou-Nguesso3 pour qu'il puisse perpétrer un coup d'Etat qui fera 400.000 morts et durera 4 mois, dans une première phase, avant de se poursuivre dans les régions du sud du Congo et particulièrement dans la région du Pool. Depuis ce coup d'Etat de juin 1997, la France et son suppôt Sassou Nguesso se partagent le gâteau qu'est la manne pétrolière du Congo et la majorité écrasante du peuple congolais qui croupit dans la misère n'a que ses yeux pour pleurer ou doit prendre le chemin de l'exil parce que la dictature sur place est sanguinaire et implacable!

Que s'est-il donc passé en mars dernier au Congo?

Ni plus, ni moins qu'une mascarade électorale desti-née à maintenir le dictateur Sassou Nguesso au pouvoir par la force des armes. Contrairement à l'élection présidentielle de mars 2016 qui avait abouti à l'arrestation de Jean-Marie Michel Mokoko (l'un des candi-dats qualifiés pour le deuxième tour du scrutin selon les résultats collectés par l'opposition), précédée d'un coup d'Etat constitutionnel (4) et de manifestations réprimées dans le sang, toujours avec la bénédiction de la France (5), cette fois dans les quatre coins du pays les rues ont été occupées par les miliciens du pouvoir que l'on appelle abusivement l'armée ou la police. Et, pendant que le bourrage des urnes se préparait, le princi-pal opposant à Sassou Nguesso se faisait empoisonner, la veille même de cette élection, avec la bénédiction de la France qui depuis cache son corps après avoir organisé, avec le régime criminel de Brazzaville, un semblant d'évacuation sanitaire (Guy Brice Parfait Kolelas ayant succombé à son empoisonnement la veille, soit deux jours avant la tenue de la mascarade électorale). Un opposant politique qui aurait l'âge des enfants de Sassou disparaît subitement, cela laisse le champ libre à Sassou qui n'a jamais réellement gagné une élection au Congo sans en truquer les résultats. Même mort, l'opposant est arrivé en tête des résultats (selon les résultats de son équipe électorale) …

Que se passe-t-il au Congo?

Sans surprise, le 16 avril 2021, Sassou Nguesso, l'empereur des safous (surnom que les Congolais·es lui ont attribué à cause de ces promesses électorales farfelues de planter des arbres fruitiers tels que le safoutier, chose qu'il n'a jamais faite en près de 40 ans de règne) a été investi par le truchement d'une cour constitutionnelle dirigée par son oncle Henri Bouka qui est en même temps le président de la CONEL, la soi-disant commission électorale nationale indépendante chargée d'organiser les élections.

Les Congolais·es continuent de dénoncer cette énième mascarade électorale et appellent de tous leurs vœux un soulèvement populaire. Mais dans un pays extrêmement militarisé (troisième pays le plus militarisé d'Afrique centrale, sans avoir jamais été en guerre contre un autre Etat), rongé par la crise financière6 depuis cinq années (7) et les multiples détournements de fonds publics (8) (même en période de crise), la société civile qui ne cesse de compter ses membres et cadres en prison s'épuise de la même manière que les partis politiques de l'opposition dont certains cadres sont victimes de machinations politichiennes (fausses accu-sations de coup d'Etat, empoisonnements, enlèvements, assassinats…) (9).

On croirait lire la fin d'une tragi-comédie mais non. Tout n'est pas perdu car, à l'image de l'immense fleuve Congo qui arrose tout le pays dans ses allures calmes, les Congolais·es sont aux aguets et peuvent compter sur une diaspora forte (organisée en plusieurs fronts) qui ne lâche rien, une population locale qui ne se cache plus pour dénoncer les abus et crimes du régime Sassou Nguesso ainsi qu'une jeunesse tou-jours prête à descendre dans la rue pour défendre ses droits.

Martial Pa'nucci, artiste et activiste congolais, fondateur du mouvement Ras le Bol.

  1. Le safou est un fruit comestible d'Afrique centrale venant du safoutier
  2. <le-monde.fr/evasion-fiscale/article/2018/04/10/le-petrole-congolais-d-elf-huile-de-la-francafrique_5283337_4862750.html>.
  3. <blogs.mediapart.fr/jecmaus/blog/161213/congo-brazzaville-la-guerre-coup-detat-de-1997-ou-le-retour-de-sassou>.
  4. <fidh.org/fr/regions/afrique/republique-du-congo/republique-du-congo-a-quatre-jours-du-referendum-constitutionnel-la>.
  5. <france24.com/fr/20151021-congo-tensions-brazzaville-affrontements-referendum-denis-sassou-nguesso>.
  6. <jeuneafrique.com/mag/622449/economie/le-congo-a-lepreuve-des-faits>.
  7. <voaafrique.com/a/les-effets-crise-financiere-se-font-ressentir-dans-tous-les-domaines-congo-brazzaville/3395461.html>.
  8. <globalwit-ness.org/fr/blog-fr/comment-largent-d%C3%A9tourn%C3%A9-des-fonds-publics-du-congo-ma-conduit-au-c%C5%93ur-de-leurope>.
  9. <voaafrique.com/a/la-justice-fran%C3%A7aise-rouvre-une-enqu%C3%Aate-pour-entative-d-assassinat-de-l-opposant-congolais-ferdinand-mbaou/5513218.html>.