Chaque moment de l’histoire humaine est remarquable par les angoisses et les illusions qu’il a suscitées et non seulement par les transformations matérielles et immatérielles qu’il a imposées. Vue sous cet angle, la théorie selon laquelle «tous les hommes naissent égaux» ne relèverait-elle pas de nos fantasmes d’hommes évolués, modernes? Ne symbolise-t-elle pas notre désarroi devant un monde où tout est remis en cause: le système des frontières, des valeurs?La xénophobie et le refus de l’autre ont toujours été exascerbés par les malheurs liés aux crises économiques. Pour les relations Nord-Sud, l’immigration, chaque pays de l’Union Européenne y est allé de sa partition depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Certains pays autrefois émetteurs de migrants comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie sont devenus aujourd’hui récepteurs. Leur attitude nourrit cette prophétie du poète sénégalais, Léopold Sédar Senghor qui dans Hosties Noires, Le Seuil, 1948, adressait cette prière à la France et à l’Occident:
«Mais je sais bien que le sang de mes frères rougira de nouveau l’Orient jaune, sur les bords de l’océan Pacifique que violent tempêtes et haines. (…) Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement. Oh! Je sais bien qu’elle aussi est l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terres à canne et coton, car la sueur nègre est fumier… Ah Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France.»
Senghor a été tirailleur et fait prisonnier en juin 1940, professeur, ministre conseiller au Cabinet du gouvernement français en juillet 1959. Il sera élu premier président du Sénégal indépendant le 5 septembre 1960. C’est l’un des grands militants du dialogue des cultures. En 1977, il publie Liberté III, Négritude et Civilisation de l’Universel, discours et conférences, Le Seuil. L’auteur s’évertue à démontrer des choses qui devraient être des évidences pour tout le monde, mais que, par politique, au nom des idéologies, on refuse de reconnaître. Ainsi par exemple, la culture «est l’expression humaine d’une situation donnée ou, si vous préférez, l’adaptation à une situation géographique, historique, biologique pour la mettre au service de l’homme.»
C’est grâce à cet illustre homme de lettres que l’allemand sera enseigné au Sénégal aux côtés de l’anglais, du russe, de l’arabe, du grec et de l’espagnol. Pour lui «l’homme quel qu’il soit est d’abord le produit d’un métissage. Ce métissage peut être biologique, culturel. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de racines. L’arbre greffé possède toujours les mêmes racines mais donne des fruits meilleurs. Il s’agit en fait d’un enrichissement.»
Guerre économique
L’histoire, finalement est un perpétuel dialogue des cultures. C’est pourquoi nous interpellons Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, José Luis Rodriguez Zapatero et Berlusconi, le carré magique de la haine contre les migrants. Ces dirigeants, aux prises avec de sombres réalités et des perspectives plus troublantes encore, jettent les migrants en pâture.
A une époque où les peuples ne peuvent plus s’ignorer les uns les autres, où le paupérisme est un scandale de l’humanité et où les avancées technologiques permettent de mettre en valeur les richesses de la planète, comment interpréter ce mépris des grandes puissances vis-à-vis des appauvris du Tiers-Monde quand les plaies des siècles derniers ne sont pas encore entièrement cicatrisées?
Tout se passe comme si la Révolution Industrielle n’avait pas été alimentée par des matières premières volées au Sud, comme si l’immigration actuelle n’avait rien à voir avec celle entreprise par l’Espagne, la France, l’Angleterre, en Amérique Latine, en Asie et en Afrique.
Aujourd’hui les humiliés et les humiliants d’autrefois cohabitent dans la même sphère géographique.
Globalisation, compétition, crise, exclusion…; c’est la guerre économique. Il nous faut chercher à comprendre ce qui nous arrive. Pourquoi tant d’arrogance, d’égoïsme et d’atteinte aux droits de l’homme imposés au reste de l’humanité par le vieux continent?
Les nombreuses atteintes aux droits des personnes déplacées sont une plaie qu’il est urgent de soigner. Partout dans le monde des minorités blessées dans leur amour-propre s’organisent pour résister. Faut-il encore donner du crédit aux organismes internationaux de lutte contre la discrimination dans une Europe unifiée?
Ceux qui souffrent le martyre, ceux qui dorment dans des huttes en cartons après des heures de travail interminables, à 40 voire 50ºC dans les serres, ceux qui sont constamment traqués par les polices des frontières, ceux qui ne perçoivent pas leur salaire, ceux qui sont réduits à l’état d’objet malléable… ceux qui se voient retirer leur permis de séjour pour faute de cotisations à la sécurité sociale parce que les patrons n’embauchent pas, répondront par la négative.
En Espagne
A Almeria, il n’y a ni volonté ni courage politique pour aller de l’avant dans l’amélioration des conditions de vie et de travail des migrants. La société civile amorphe réagit lentement face à tout ce cocktail d’abus.
Le SOC, Syndicat des Ouvriers Agricoles, s’escrime à accompagner, orienter, et former des travailleurs tétanisés par l’ampleur des atrocités longtemps contenues. La tâche est lourde et le chemin semé d’embûches. Les autorités embouchent le discours du citoyen ordinaire pour tancer les syndicalistes alternatifs avec des phrases toutes faites «Ici nous sommes en Espagne, si vous n’êtes pas contents de ses institutions, retournez chez vous et faites remplacer vos leaders politiques corrompus… Ici celui qui est illégal doit être expulsé…»
Ah, si seulement tous les présidents de ces pays avaient le courage de Evo Morales contre l’Occident.
Ici les travailleurs sont traités comme des bêtes de somme. Ils sont obligés de faire des dizaines de kilomètres à vélo, faire des heures supplémentaires impayées s’ils veulent travailler. La nuit venue ils doivent se terrer dans leur ghetto pour se faire oublier jusqu’au lendemain. Les expulsions express du gouvernement de Zapatero les y obligent. La crise économique exigeant des boucs émissaires, les autorités s’en prennent au maillon social le plus faible: les personnes déplacées. Et l’Union Européenne entérine. Frontex (Frontières Extérieures) est l’invention des civilisés contre les envahisseurs du Sud.
Almeria est le jardin potager de l’Europe, mais en l’absence de programmes d’intervention, le capital va à ce qui rapporte le plus et non à ce qui est le plus nécessaire. C’est d’ici que partent chaque jour, vers les pays du Nord, des centaines de camions remplis de tomates, courgettes, aubergines, etc., produits de nombreuses heures de travail de migrants sans protection aucune. Et comme il n’y a ni volonté ni courage politique pour aller de l’avant dans l’amélioration des conditions de vie et de travail des migrants, il faut tisser des mailles de résistance sociale dans tous les pays d’Europe qui achètent le produit du travail de ces esclaves.