ALGERIE: Caisses vides villes mortes...?

de Bernard Schmid, Paris Juriste et journaliste, 4 mars 2017, publié à Archipel 256

Ce vendredi 6 janvier 2017, les prêches dans toutes les mosquées d’Algérie se faisaient très politiques. Il s’agissait, pour les imams (rémunérés et surveillés par le gouvernement) de se prononcer en faveur de «la stabilité et de la sécurité». Et, surtout, contre la fitna, ainsi qu’on désigne en termes religieux une guerre fratricide entre musulmans, qu’il faut éviter.

L’avertissement concernait très concrètement le «risque» d’émeutes sociales, suite aux événements du début de la semaine dans différentes parties du pays. Il s’agit d’une circulaire du ministère des Affaires religieuses et des fondations, envoyée à toutes les mosquées et portant un tampon rouge mousta’agil («urgent»), qui avait précisé la nécessité d’inclure cet aspect dans les prédications aux fidèles. La veille, le 5 janvier, c’est le Premier ministre algérien, Abdelmalik Sellal, qui était lui-même intervenu à la télévision publique. Cette fois-ci pour démentir l’idée selon laquelle l’Algérie pourrait se trouver à la veille d’une révolte sociale d’ampleur, semblable à celle qui avait agité la Tunisie à l’hiver 2010/11 et qui avait engendré une vague de protestations dans toute la région arabophone, du Maroc jusqu’au Bahreïn. «Nous ne connaissons pas de Printemps Arabe, a ainsi proclamé le Premier ministre algérien, et il ne nous connaît pas. Nous nous apprêtons à fêter Yennayer, dans quelques jours.» Ainsi appelle-t-on la fête du Nouvel An berbère, située au mois de janvier. Ce propos pourrait paraître étonnant dans la bouche d’un responsable gouvernemental algérien, dans la mesure où il pourrait laisser entendre que «nous ne sommes pas des Arabes mais des Berbères». Pendant longtemps, après l’indépendance acquise de haute lutte en 1962, une partie du pouvoir algérien avait célébré des «origines arabo-musulmanes» du pays… largement mystifiées, tout en dénigrant la culture et surtout les langues berbères, parlées au quotidien par un tiers des habitant-e-s de l’Algérie. Ce n’est que suite à des révoltes, en 1980 puis en 2001, en Kabylie - l’une des régions berbérophones de l’Algérie et berceau de plusieurs mouvements politiques - que la langue berbère Tamazight a été érigée en langue officielle de l’Algérie à côté de l’arabe. Mais ici, il ne s’agissait que d’une manœuvre transparente, de la part du chef du gouvernement, pour tenter d’amadouer ces Kabyles décidément trop remuants. Depuis le 2 janvier, un mouvement social avait secoué une partie de la Kabylie, partant de la grande ville portuaire de Bejaïa (aussi appelée Bougie ou Bgayet par ses habitants).
A l’origine se trouve la protestation contre la Loi de finances 2017, qui prévoit une cure d’austérité pour l’Algérie, dont une hausse de la TVA de 2% pour la population. Comme dans tous les pays, la TVA reste l’imposition la plus injuste parce qu’aucunement proportionnelle aux revenus des consommateurs. Le fond de l’affaire réside dans la baisse du prix du pétrole brut sur les marchés mondiaux, qui affecte durement l’Etat algérien. Les revenus de ces derniers dépendent à 60% du pétrole et au gaz, mais ils représentent 98% de ses recettes en devises. Les tentatives de diversification de l’économie algérienne pour réduire la dépendance au pétrole et du gaz, entreprises pendant la phase socialiste et surtout dans les années 1970, ont été abandonnées par les pouvoirs successifs depuis environ 1980. L’Etat algérien reste ainsi un Etat rentier largement dépendant des prix des hydrocarbures.
Les commerçant-e-s de Bejaïa avaient décrété une opération «ville morte», et une marche avait été organisée, qui a débouché sur des affrontements violents avec la police devant le siège de la Wilaya (de l’administration du département). D’autres villes en Kabylie, dont Akbou et Tazmalt, mais aussi Bouira, une ville à la population mixte (arabophone et berbérophone) située entre la Kabylie et Alger, ont été touchées par le mouvement social.
A Alger, la capitale, ce fut plus compliqué. De nombreux habitants semblaient s’attendre là aussi à des mobilisations sociales. Mais le mouvement tant attendu n’a, pour le moment, pas eu lieu. Des vidéos ont bien circulé, semblant attester d’affrontements avec la police, mais elles montraient en réalité plutôt des rixes entre bandes rivales. Puis, le 4 janvier, d’autres bandes ont profité de l’ambiance très tendue pour lancer des attaques ciblées contre des commerces tenus par des Chinois-e-s; des riverain-e-s sont alors intervenus pour empêcher que les excès s’empirent. Pour l’instant, l’explosion sociale généralisée n’a pas eu lieu. Mais la situation se dégrade et la population est en attente, face à un pouvoir vieillissant, alors que la fin de règne du président Abdelaziz Bouteflika (au pouvoir depuis début 1999) s’éternise.