SEMENCES: Règlements européens au profit des multinationales

de Jürgen Holzapfel FCE - Allemagne, 11 sept. 2013, publié à Archipel 218

Avec ces quatre nouveaux règlements, la Commission européenne favorise l’industrialisation de l’agriculture contre les paysans. En mai de cette année, la Commission européenne a présenté ces nouveaux règlements concernant la santé des plantes, les semences, la santé des animaux et les contrôles des contrôles.

A la différence des directives européennes déjà existantes dans ces domaines qui laissaient aux instances nationales une marge d’application importante, ces règlements devront être suivis à l’identique par tous les pays membres de l’UE et ne laisseront aucun pouvoir de décision aux parlements nationaux. Ils doivent être approuvés ou refusés par le Parlement européen et le Conseil des ministres et des changements peuvent être négociés entre ces deux instances et la Commission. Les principaux concernés, les paysans et les jardiniers, n’ont pratiquement aucune possibilité d’influer sur ces textes, quelque peu abscons. Ils y seront confrontés au moment de leur mise en application, prévue pour 2015.
Qui se donne la peine de les comprendre constate d’abord que la Commission s'octroie la légitimité de prendre des décisions ultérieures sur de nombreuses questions précises. Par rapport aux semences, elle se réserve le droit de préciser 39 paragraphes par des «actes délégués», il en est de même dans les autres règlements.
Apparemment, la Commission est consciente du caractère autoritaire et de l’opposition qu’elle peut susciter, c’est pourquoi elle ajoute un règlement spécifique pour garantir l’application des règlements dans les différents pays par un système de contrôle européen sur les contrôleurs régionaux. Cette méthode de gouverner se pratique habituellement sous l'état d’urgence, ce qui voudrait dire que l’agriculture européenne est devenue un danger pour les populations nécessitant de telles mesures.
Dans les textes préliminaires, la Commission justifie ces mesures par l’augmentation des scandales alimentaires, par les importations croissantes de produits agricoles et d’animaux et par la perte de la diversité des plantes cultivées et des animaux domestiques, ce qu’on appelle aujourd’hui «l’agrobiodiversité». Au lieu de proposer des réponses concrètes à ces trois sortes de problèmes, la Commission centralise d’abord tous les pouvoirs de décision et installe un système unifié de contrôle concernant tout le secteur agricole européen.
Faut-il rappeler que l’agriculture a été développée durant des millénaires par les hommes de manières très différentes pour permettre leur installation dans des régions climatiques et géographiques très diverses, des déserts jusqu’aux hautes montagnes. Ayant développé dans chaque région des animaux, des plantes et des techniques spécifiques, elle ne peut pas être soumise aux mêmes normes que la production industrielle.
Depuis quelques décennies, les pays riches favorisent à coups de subventions importantes l’augmentation de la mécanisation et de l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture ainsi que la croissance en surface des exploitations et les élevages industriels. C’est ainsi que les différences régionales et les paysans disparaissent de plus en plus au profit d’une agriculture industrielle. Malgré cela il existe encore de petites exploitations dans l’UE et dans certaines régions, 5 hectares de terres sont la base de survie de nombreuses familles paysannes.
Soumettre tous les producteurs par force de loi aux mêmes normes pourrait signifier la fin des paysans au profit de multinationales alimentaires qui demandent un marché unifié aussi bien en amont qu’en aval. Il ne s’agit pas d’assurer l’alimentation des populations, mais de les rendre dépendantes de quelques multinationales.
A cela se rajoute un autre objectif de la Commission, mentionné dans les textes préliminaires, qui est celui de créer dans ces domaines des normes internationales qui feront partie à l’avenir des accords bilatéraux avec les pays en dehors de l’UE.
Le réglement le plus critiqué Des quatre règlements, c’est celui concernant les semences qui rencontre actuellement le plus de résistance. Aux critiques, la Commission répond que la loi favorise la biodiversité. En fait tous les articles concernant la biodiversité règlent des exceptions au règlement, dont les détails seront décidés par des actes délégués ultérieurement. Une exception existe pour des sachets de semences qui porteraient l’inscription «matériel produit pour des marchés de niches», une autre, pour le petit jardinier, qui donne des semences de son jardin à son voisin ou sa voisine, ou encore pour des semences dites de «conservation» qui nécessitent une procédure d’inscription simplifiée. Par contre, pour pratiquement tous les producteurs de semences en dehors du jardin familial, il y a l’obligation de se faire inscrire comme entrepreneur sur un registre européen. Chaque entrepreneur est soumis à l’obligation de documenter les productions et ce qu’il en fait. Cette documentation, ainsi que les lieux de production, doivent être ouverts aux contrôleurs venant de l’administration ou d’entreprises habilitées. Les frais de contrôle sont à sa charge, mais là aussi, il y a des exceptions possibles. Si sa documentation ne convient pas aux contrôleurs, il sera soumis à des contrôles supplémentaires jusqu’à ce que l’administration lui retire son inscription comme entrepreneur et donc le droit de produire, vendre ou échanger des semences. Ce système de surveillance généralisée est justifié par la lutte pour la santé des plantes, malgré le constat fait par la Commission que la propagation de nuisances provient surtout de la multiplication des importations. Cela ne l’empêche pas de soumettre tous les producteurs de semences au même régime.
Ce n’est pas parce que les autres règlements ne rencontrent pas de critique sur la place publique, qu’ils sont pour autant plus acceptables que celui sur les semences.
Grâce aux modifications génétiques des semences pratiquées par les multinationales de la chimie et des semences, une grande partie de la population en Europe a pris conscience que le but de ces semenciers n’est pas une alimentation saine et suffisante. Cela n’empêche pas les multinationales de contrôler aujourd’hui une part importante du marché des semences. C’est pourquoi la politique européenne concernant les semences est de plus en plus critiquée et le nouveau règlement n’est qu’un renforcement de la politique en faveur des sociétés multinationales.
En Allemagne et en Autriche, une dizaine d’organisations de protection de l’environnement, de l’agriculture, de la sélection des semences biologiques et de la sauvegarde de la biodiversité cultivée ont étudié la proposition de loi et ont formulé leur critique dans une déclaration commune. Le forum civique européen soutient cette déclaration que vous pouvez trouver sur la page internet <www.seed-souvereignty.org>.
Nous en publions ci-dessous quelques extraits.
Pouvoir des multinationales sur les semences – non merci La réforme de la législation européenne sur les semences doit changer de manière radicale – le droit à une alimentation et à des semences diversifiées est en danger!
Plus de la moitié de la vente de semences dans le monde est entre les mains de seulement trois sociétés multinationales qui ont également de plus en plus d’influence sur les législations. Au lieu de combattre cette dépendance, la Commission européenne a présenté en mai 2013 une réforme qui aggrave cette situation. Nous avons étudié soigneusement cette proposition, c’est pourquoi nous sommes très inquiets. Son objectif n’est ni de favoriser l’échange de semences, ni de fournir un effort commun pour le développement des fruits, des légumes et des céréales en Europe, mais plutôt le contrôle par des bureaucrates et des entreprises privées. Elle n’est pas faite dans le respect de la richesse des traditions et du savoir des paysans et jardiniers, paysannes et jardinières, ni de celui des scientifiques et des obtenteurs; elle n’a pas été non plus conçue pour les soutenir, mais elle se concentre uniquement sur les besoins et les exigences de la production industrielle de variétés hautement spécialisées et sur leur mise en vente.
Cela est contraire au bon sens car de plus en plus nombreux sont ceux qui veulent savoir d’où vient leur nourriture. Ils ne veulent ni de la chimie, ni des OGM ni des propriétés intellectuelles dans leur assiette, ils veulent des fermes à la place d’exploitations industrielles. Ce règlement défavorise les fermes, il touche même la reproduction de semences à la ferme, que ce soit pour les ressemer soi-même ou pour les échanger.
Si l’UE veut vraiment protéger la diversité des variétés, si elle veut assurer une nourriture saine et sûre et favoriser une agriculture qui respecte l’environnement, le Conseil des ministres et le Parlement européen devront exiger un changement fondamental du règlement proposé. Tel qu’il est, nous le refusons!