Mégabassines, usines, golfs: les équipements et acteurs qui accaparent et empoisonnent l’eau sont nombreux. Face à eux, des collectifs se donnent «100 jours pour les sécher!». Les Soulèvements de la Terre ont lancé une nouvelle campagne d’actions visant «l’État et l’agro-industrie [qui] s’acharnent à polluer et privatiser l’eau». Les activistes se donnent tout l’été, du 13 juin au 21 septembre, pour cibler l’ensemble des acteur/trices qui «accaparent et empoisonnent l’eau».
Tout d’abord les institutions: agences de l’eau, conseils régionaux, administrations, ministères. Puis les acteurs de l’agro-industrie, comme le syndicat agricole FNSEA, mais aussi des coopératives (Pioneer, Océalia, Eureden, Bayer-Monsanto…). Ensuite, les grandes entreprises qui privatisent l’eau (Veolia, Suez, Saur…), la mettent en bouteille (Nestlé, Danone) ainsi que les industriels (Lafarge, STMicroelectronics, CACG, Eurovia, Colas, TELT…). Enfin, les «accapareurs de luxe»: à savoir les golfs, les yachts, les jacuzzis et les canons à neige. Cet inventaire montre que les luttes pour la préservation de l’eau sont polymorphes et irriguent tous les territoires. Voici cinq points pour comprendre les enjeux.
L’accaparement de l’eau
C’est sans doute la lutte la plus connue du moment: celle contre les mégabassines dans le Marais poitevin. Depuis cinq ans, le collectif Bassines non merci s’oppose à ces gigantesques réservoirs d’eau destinés à l’agriculture industrielle. Le bassin de la Sèvre niortaise n’est pas le seul concerné et de nombreuses bassines sont en projet dans plusieurs territoires. Des antennes de Bassines non merci ont ainsi été lancées dans la Vienne, sur le bassin versant d’Aume-Couture, ainsi que dans le Berry.
Derrière ces réservoirs agricoles se trouve la discrète Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), une société privée jouant un rôle clé dans la création des barrages, retenues et bassines en France. Elle était notamment responsable du projet du barrage de Sivens, qui a coûté la vie à Rémi Fraisse.
Autre sujet d’inquiétude pour les militant·es: les eaux en bouteille. À Vittel dans les Vosges et à Volvic dans le Puy-de-Dôme, les multinationales Nestlé et Danone pompent sans vergogne dans des nappes phréatiques en piteux état. Des collectifs citoyens se battent contre l’accaparement de ce qu’ils considèrent comme un bien commun et remportent parfois des victoires. À Murat-sur-Vèbre, dans le Tarn, Danone a renoncé à son projet de forage de La Salvetat.
Les loisirs gourmands en eau
L’été 2022, alors qu’une sécheresse historique ravageait la France, des collectifs s’étaient attaqués aux golfs. «Alors que les restrictions sont partout, qu’une centaine de communes sont ravitaillées par camions-citernes ou bouteilles, les golfs obtiennent des dérogations pour arroser les greens», dénonçait un membre du collectif Kirikou à Toulouse dans Reporterre1. Autour du lac de Gérardmer (Vosges) au moins cinq jacuzzis avaient été percés, illustrant les tensions grandissantes entre touristes et habitant·es au sujet du partage de la ressource.
Durant l’hiver dernier, particulièrement sec, des militant·es ont saboté des canons à neige dans plusieurs stations de ski. À La Clusaz, une zad avait été installée pour protéger le plateau de Beauregard, menacé de destruction par la construction d’une cinquième retenue collinaire. Ils ont remporté une première victoire, avec la suspension du projet.
Quittons la montagne pour le littoral et ses immenses yachts, symboles de la «réclusion ostentatoire» des ultrariches selon le sociologue Grégory Salle. Des actions ont eu lieu à Cannes et à Antibes pour «désarmer les criminels climatiques» et empêcher leurs gigantesques navires de cracher 4000 litres d’essence pour 100 kilomètres. Enfin, signalons le grand retour des surf parks, qu’on croyait pourtant abandonnés après de fortes oppositions locales. À côté de Bordeaux, un ancien candidat de la Star Academy veut construire une immense piscine à vagues, suscitant l’ire des associations environnementales.
Les transports
Construire une route peut assécher un forage d’eau potable. À Rouen, le projet de contournement routier contre lequel se battent des dizaines de collectifs traverse des zones de captage destinées à la consommation humaine. Et pourrait à terme les menacer.
En Maurienne, la construction du tunnel ferroviaire sous les Alpes pour relier Lyon et Turin a tari les sources de certains villages. Mais la pollution ne s’arrête pas à la construction des infrastructures de transports. Une fois celles-ci en service, les eaux pluviales qui ruissellent des routes vers les cours d’eau sont chargées en hydrocarbures et autres polluants.
Depuis des dizaines d’années, les algues vertes sont un fléau qui étouffe les côtes bretonnes. Malgré trois plans d’action menés par la région, la situation n’a pas changé. L’association Eau et Rivières de Bretagne a d’ailleurs attaqué l’État en justice, dénonçant «les carences répétées de l’État en matière de lutte contre la pollution par les nitrates».
Les algues vertes ne sont pas la seule déficience de l’État dans la pollution des eaux. Citons également l’échec du programme Écophyto lancé en 2008, qui espérait réduire de moitié l’usage des pesticides en dix ans. Sans succès. Face à un tel fiasco, l’objectif de réduction a été reporté à 2025.
Enfin, dernière source de pollution agricole des eaux: les méthaniseurs. Les cuves de ces équipements débordent régulièrement dans les fleuves et rivières. Exemple en août 2020, où 400m3 de digestat2 d’un méthaniseur breton s’étaient écoulés dans un fleuve en amont d’une usine d’eau potable, rendant l’eau impropre à la consommation pour une cinquantaine de communes.
Les pollutions industrielles
Saviez-vous que la production de puces électroniques consommait de l’eau? Beaucoup d’eau? À côté de Grenoble, l’usine STMicroelectronics boirait 336 litres par seconde (projection 2023-2024) pour fabriquer les semi-conducteurs que l’on trouve dans la plupart de nos objets électroniques. L’entreprise compte doubler sa taille et devrait puiser toujours plus d’or bleu, provoquant l’inquiétude des associations environnementales. Autre industrie particulièrement polluante pour nos ressources aquatiques: le béton. L’exploitation de carrières de sable – qui, associée au ciment, entre dans la fabrication du béton – assèche les nappes phréatiques, comme à Saint-Colomban (Loire-Atlantique). Les centrales à bitume, contre lesquelles se bat au moins une quinzaine de collectifs en France, sont également une source de pollution des nappes souterraines, comme par exemple à Lavilledieu en Ardèche. Elles polluent aussi les eaux de surface. À Paris, Lafarge a déversé volontairement dans la Seine des eaux usées d’une de ses usines situées au bord du fleuve.
Les sites de stockage de déchets industriels sont également visés. En Alsace, près de 42.000 tonnes de résidus toxiques sont enterrées à Stocamine, au-dessus de la plus grande réserve d’eau potable d’Europe. À Bure dans la Meuse, le futur centre de stockage des déchets nucléaires est creusé au-dessus d’une nappe phréatique.
Enfin, les mines constituent aussi une source de pollution des eaux. En Guyane, de nombreux sites d’orpaillage sont une catastrophe pour les rivières. Dans l’Hexagone, les anciennes galeries de l’époque de Germinal polluent toujours les nappes souterraines, malgré les tentatives de décontamination. Enfin, les trésors miniers des abysses attisent les convoitises. Si l’exploitation n’a pas encore été autorisée, ses conséquences pourraient être désastreuses pour les fonds marins.
Laury-Anne Cholez, Reporterre*
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- Une matière organique issue du processus de méthanisation.