Les nouvelles positives en provenance du Venezuela se font rares ces dernières années. Le successeur dé-signé d'Hugo Chávez, Nicolás Maduro, a été élu président du Venezuela en 2013. En 2019, Juan Guaidó, alors président du Parlement, s'est autoproclamé président par intérim et a été reconnu comme nouveau président par les Etats-Unis, certains Etats de l'UE et plusieurs autres pays. Il n'est aujourd’hui toujours pas au pouvoir, au contraire son influence ne cesse de diminuer.
Et pendant que les éléphants se battent, l’herbe en souffre. La population se débat depuis des années avec l'effondrement économique du pays. La pénurie s’étend à presque tous les secteurs: alimentation, santé, pièces détachées, eau potable, électricité, gaz pour cuisiner, etc. Entre la corruption, les embargos écono-miques, la mauvaise gestion et l'effondrement de la monnaie, il n'y a pas d'issue en vue: 3,7 millions de personnes environ ont quitté le Venezuela ces dernières années (1).
Les membres de la coopérative CECOSESOLA ne se sont pas laissé abattre et continuent à construire, dans un processus collectif qui dure depuis plus de 50 ans, l’avenir qu’illes souhaitent, un avenir sans hiérarchie (2). Autour de la mégapole de Barquisimeto, dans l'Etat de Lara dans le centre-ouest du pays, illes ont établi un vaste réseau de coopératives. En 2017, illes ont approvisionné sur leurs propres marchés 100 000 familles par semaine en denrées alimentaires et autres produits du quotidien, soit un total de 10 000 tonnes de marchandises par mois. A eux seuls, les fruits et légumes vendus représentent 600 tonnes par semaine, provenant principalement de leurs propres coopératives de production. En 2009, le service de santé déjà existant a été étendu avec le centre de santé CICS. Il s'agit d'un petit hôpital offrant un large éventail de thérapies. Là et lors de consultations décentralisées, 220 000 personnes ont reçu des soins mé-dicaux. Des dizaines de milliers de familles sont également impliquées dans les systèmes de caisse d'épargne, d'assurance maladie et de fonds funéraires.
Chaque nouvelle étape de la crise vénézuélienne place CECOSESOLA devant des défis inattendus et l'oblige à se réinventer. Les plus de mille membres, qui gagnent leur vie dans les différentes structures du réseau, discutent de tous les problèmes majeurs dans diverses réunions plénières et trouvent ensemble une solution qui leur convient dans chaque situation. Les cercueils sont désormais en bois, faute de métal, les interminables files d'attente devant les marchés sont désormais organisées avec des cartes à puce et attribution aléatoire de numéros d'attente, l'achat des semences a été organisé collectivement entre toutes les coopératives de production agricole, les voitures privées mises à disposition pour un usage collectif bénéficient d'un approvisionnement collectif en pièces détachées, etc. (3)
Depuis quelques mois, un nouveau défi se profile à l'horizon. Le Venezuela, le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole du monde, est à court de carburant. Sa propre production s'est effondrée en raison d'une mauvaise gestion et d'un manque de pièces détachées. Jusqu'au début du mois de novembre 2020, les Etats-Unis ont toléré que le gouvernement vénézuélien échange avec des multinationales du pé-trole brut contre du diesel, malgré les sanctions économiques. Quelques jours avant l'élection présidentielle états-unienne, l'administration Trump a interdit cette solution d'approvisionnement et la nouvelle administration s'occupe pour l'instant d'autres problèmes (4). La situation au Venezuela devient chaque jour plus préoccupante. Les transports de personnes et de marchandises ainsi que l'alimentation électrique d'urgence deviennent inaccessibles car la plupart des véhicules et des générateurs électriques fonctionnent avec des moteurs diesel. Il est évident que ces sanctions affectent l'ensemble de la population. A ce titre elles devraient être classées contraires au droit international et cesser immédiatement.
En attendant, la fin de l'embargo n'est toujours pas pour aujourd’hui et CECOSESOLA est également très inquiet. Sans diesel, les produits agricoles ne peuvent être transportés de la campagne vers la ville. Les prochaines récoltes risquent de pourrir dans les champs, la plupart des sites de production se trouvant à plusieurs heures de route de Barquisimeto, ce qui rend les transports alternatifs difficiles. Et même lorsque les fruits et légumes arrivent en ville, sans électricité, ni les lumières, ni les caisses enregistreuses, ni les ordinateurs ne fonctionnent – sans parler des équipements médicaux au centre hospitalier CICS. Malgré cette situation très tendue, les membres de la coopérative restent fidèles à l'un de leurs principes les plus importants: ne pas consacrer de temps et d'énergie dans les jeux de pouvoir, ne pas s'impliquer avec les forces qui veulent prononcer des sanctions ou façonner la société par le haut. Illes préfèrent continuer à construire des structures par le bas qui ébranlent les fondements du capitalisme, qui ne se concentrent pas sur la croissance et les profits mais sur les personnes et leurs besoins fondamentaux. Leur organisation sans patron·ne met la responsabilité du résultat entre les mains de chacun·e. Une grande confiance ainsi que de nombreuses compétences créatives et pratiques se sont ainsi développées au cours de 50 années d’expérience. Pour certaines personnes, ce n'était pas le bon "job" et elles ont quitté CECOSESOLA. Celles et ceux qui sont resté‧es au fil des années et des décennies façonnent au quotidien un processus impres-sionnant de transformation personnelle, collective et sociale.
CECOSESOLA adopte également face à la pénurie de diesel une approche très personnelle, bien diffé-rente des pratiques locales. Ainsi les membres de la coopérative se concentrent actuellement à accroître la pratique du vélo. Dans un pays où, pendant longtemps, un plein d'essence coûtait moins cher qu'une bou-teille d'eau, les adultes ne se déplacent pas à vélo dans la vie quotidienne. Le vélo est considéré comme un jeu pour enfant ou un équipement sportif. Il y a un an et demi, un changement de perspective s’est amorcé à Barquisimeto. Lors de la visite de deux membres de la coopérative à des projets collectifs en Allemagne, où l'accent était plutôt mis sur les structures alternatives de santé et d'éducation, c’est la rue qui s’est avé-rée être la plus inspirante! D'une part, les "Fridays for Future" et d'autre part la fascination de voir les jeunes et les moins jeunes circuler partout à vélo dans les rues. Cela semblait une bonne solution pour remédier à la pénurie chronique de pièces détachées pour les voitures et d’une pierre deux coups de faire quelque chose pour la protection du climat. Immédiatement après leur retour au Venezuela, les premiers cours pour apprendre à faire du vélo ont été organisés et les premiers vélos réparés. Des places de stationnement dédiées sont actuellement créées sur les marchés et de plus en plus de nouveaux/elles cyclistes sont recruté‧es grâce à des excursions de groupe à vélo. Etant donné que, même dans la situation actuelle qui se dégrade, il ne faut pas consacrer d'énergie au lobbying contre les sanctions, la poursuite de l'expansion de la flotte de vélos est la meilleure solution pour rester mobile plus longtemps. Le vélo permet dé-sormais d'économiser chaque goutte de carburant pour les transports importants. En outre, les nombreux autres avantages de cette solution, mise en place dans une situation de nécessité, se font jour: les gens risquent moins d'être infectés par le Covid-19 qu'avec des trajets partagés, c’est un mode de transport avantageux pour la santé, il représente également un gain de temps car moins de voitures doivent attendre pendant des heures et des jours devant les stations-service et les réparations de voitures ainsi que l'achat de pièces de rechange peuvent être partiellement éliminés. Il est actuellement impossible de prévoir combien de temps cette solution de secours devra tenir et si elle pourra effectivement faire face à tous les transports importants des prochaines semaines et peut-être même des prochains mois, car il existe toujours une dé-pendance, même réduite, vis-à-vis du carburant. Il faut espérer que l'énergie et l'endurance de CECOSESOLA seront à nouveau suffisamment grandes pour survivre à cette crise.
Kathrin Samstag, FCE-Allemagne en coopération avec le réseau de CECOSESOLA et au nom du groupe transcontinental d'Intercambio
- https://news.un.org/es/story/2020/06/1476202 (21.04.2021)
- Un court métrage sous-titré montre l’histoire et l’activité de CESOSESOLA sur leur site web https://cecosesola.org/acerca-de/
- Les membres du réseau montrent plus d’exemples dans leur film"Reinventándonos" sur youtube.
- https://amerika21.de/analyse/249246/trump-biden-venezuela-dieselknappheit (21.04.2021)