UKRAINE / SUISSE: Une chance pour les Roms !

de Michael Rössler, FCE, 19 oct. 2025, publié à Archipel 351

Le 6 septembre, un événement intitulé «Tabor Mukachevo[1] – Aide à la survie pour la population rom en Ukraine» s’est tenu à Bremgarten, près de Berne, à l’initiative du président de la commune et du Forum Civique Européen. La commune avait décidé de faire un don de 5000 francs pour soutenir les Roms en Ukraine. Rada Kalandjia[2], de Mukatchevo, qui a reçu cette contribution au nom du «Chiricli Roma Women’s Fund»[3], a prononcé le discours ci-dessous.

Chèr·es ami·es, chèr·es collègues, chèr·es partenaires,

Je m’appelle Rada Kalandjia. Je suis une personne déplacée à l’intérieur de mon propre pays. Originaire de l’oblast de Donetsk, lorsque la guerre a éclaté, comme des millions d’autres Ukrainien·nes, j’ai été contrainte de quitter ma maison, mes rues familières et mes proches pour commencer une nouvelle vie. J’ai choisi la Transcarpatie [la partie la plus occidentale de l’Ukraine, ndlr], et c’est précisément là, où je pensais trouver la paix, que j’ai été confrontée à une autre grande tragédie: la vie des communautés roms. Lorsque j’ai vu pour la première fois les campements roms, j’ai eu l’impression que ces personnes vivaient dans un monde parallèle. C’était comme s’il existait un monde parallèle – sans papiers, sans écoles, sans médecins, sans avenir. Un monde dont peu de gens parlent ouvertement. Et puis j’ai compris que ma propre histoire de déplacée interne me donne la force et le devoir de me battre non seulement pour moi-même, mais aussi pour celles et ceux qui, depuis des années, ne sont pas entendu·es.

L’isolement socio-économique

Le taux de chômage dans les communautés roms est catastrophique. Plus de 70 % des Roms n’ont pas d’emploi fixe officiel. Le travail qu’iels trouvent est généralement saisonnier, occasionnel et mal rémunéré. Imaginez un homme qui travaille trois mois par an dans le bâtiment et qui doit joindre les deux bouts le reste du temps avec des petits boulots. Ses enfants grandissent dans la pauvreté, sans stabilité, sans modèle pour un autre mode de vie.

Pas d’accès à l’éducation

De nombreux enfants vivant dans des campements roms ne vont pas à l’école ou la quittent très tôt. Plus de 50 % des enfants roms n’ont pas accès à l’éducation préscolaire et plus de 40 % ne terminent pas leurs études secondaires. La Transcarpatie compte le plus grand nombre d’écoles ségréguées en Ukraine. Il s’agit d’écoles où les enfants roms sont scolarisés séparément et reçoivent souvent une éducation nettement moins bonne. Beaucoup de filles se marient entre 14 et 15 ans sans avoir terminé leur scolarité de base. Les adultes restent souvent analphabètes, ce qui crée un cercle vicieux: les parents ne peuvent pas aider leurs enfants dans leur apprentissage et les enfants reproduisent le destin de leurs parents. Je me souviens d’une petite fille nommée Mariyka. Elle m’a dit qu’elle voulait devenir médecin «pour que nos enfants ne meurent pas de rhumes». Mais sa mère lui a répondu: «L’école n’est pas pour nous, tu ferais mieux d’apprendre à cuisiner.» Ce ne sont pas que des mots, mais un jugement pour la vie.

Un logement qui n’est pas un foyer

Il existe plus de 120 campements roms en Transcarpatie. Les maisons sont souvent dépourvues d’eau, d’égouts et d’électricité. Environ 20 % de ces campements ne sont pas reliés au réseau d’eau potable. Plusieurs familles vivent entassées dans une seule pièce. J’ai vu des endroits où les enfants dorment à même le sol, car il n’y a pas de lits. Où l’eau provient d’un seau tiré d’un puits et où une salle de bain relève du rêve. De telles conditions ne portent pas seulement atteinte à la dignité humaine, elles mettent également la santé en danger.

La médecine, un luxe

De nombreux Roms n’ont ni passeport, ni acte de naissance. Sans ces documents, iels n’ont pas accès aux hôpitaux, aux programmes de vaccination ou aux services sociaux. Il en résulte un taux de mortalité infantile élevé et des maladies chroniques qui ne sont pas traitées. Dans la ville de Mukatchevo, par exemple, plus de 1500 Roms n’ont pas de papiers. Grâce à la coopération de la Fondation Chirikli avec le Conseil de l’Europe et le Bureau du Médiateur, ainsi qu’à la participation de médiateurs roms, des mesures ont toutefois été prises pour faciliter l’enregistrement des passeports. En conséquence, 158 Roms ont déjà obtenu des papiers. Cela montre que des changements sont possibles, si nous agissons de manière systématique.

Discrimination et stéréotypes

Même lorsque les Roms tentent de s’intégrer, iels se heurtent à des obstacles. À l’école, iels sont confrontés à des préjugés, sur leur lieu de travail à du rejet, à l’hôpital à de l’indifférence. Les médias présentent souvent les Roms comme un problème et non comme une partie intégrante de la société. Cela conduit à un cercle vicieux d’isolement: la société rejette les Roms et iels perdent confiance en la société.

Pourquoi est-ce important pour nous tou·tes

Certain·es diront peut-être: «Ce sont leurs problèmes.» Mais en réalité, ce sont nos problèmes à tou·tes. Car lorsqu’une partie de la société vit dans l’isolement et la pauvreté, cela ralentit le développement de toute la région. Cela engendre des tensions sociales, des risques sanitaires et une méfiance envers les autorités. À l’inverse, investir dans les Roms, c’est investir dans la stabilité, l’économie et la cohabitation pacifique. Lorsque les enfants roms vont à l’école, iels deviennent médecins, enseignant·es et entrepreneur·es. Lorsque les familles roms obtiennent un logement et des papiers, elles cessent d’être des ombres et deviennent des citoyen·nes.

Un centre d’aide

Notre solution: la création d’un centre d’aide global pour les Roms en Transcarpatie. Il ne s’agira pas d’une initiative ponctuelle, mais d’une institution systémique qui fonctionnera au quotidien et fournira aux Roms de véritables leviers de changement. Dans ce centre, nous prévoyons d’offrir les services suivants:

  • aide alimentaire et humanitaire aux familles les plus démunies;
  • éducation: associations, bourses, cours d’alphabétisation, formation professionnelle;
  • médecine: équipes mobiles, consultations médicales, vaccinations, campagnes d’hygiène;
  • assistance juridique: aide aux papiers, inscription aux prestations sociales, conseils juridiques gratuits;
  • emploi: formation, microcrédits, aide aux petites entreprises;
  • intégration culturelle: festivals, dialogues, campagnes contre les stéréotypes.

Imaginez comment cela fonctionne: un enfant vient au club du centre, sa mère bénéficie d’une assistance juridique et d’une aide humanitaire, son père suit des cours d’électricité ou de menui-serie, et toute la famille passe un examen médical. Il ne s’agit pas d’un programme d’aide d’une journée, mais d’un nouveau mode de vie.

Pour que le centre puisse commencer à fonctionner, nous avons besoin:

  1. De locaux où nous pouvons installer des salles de classe, des salles de consultation et des espaces pour les clubs.
  2. D’un financement pour une équipe pendant deux ans: enseignants, avocats, travailleurs sociaux, médiateurs, employés administratifs.
  3. Des ressources pour les programmes: nourriture, manuels scolaires, équipement, médicaments, soutien pour les événements culturels. Nous avons besoin de deux ans pour développer le modèle, montrer les premiers résultats et créer un exemple qui pourra être transposé à d’autres régions d’Ukraine.

Pourquoi vous?

Nous nous adressons à vous non seulement en tant que donateur/trices, mais aussi en tant que partenaires. Nous vous invitons à participer à cette transformation. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que les communautés roms ne soient plus un symbole de pauvreté et de discrimination, mais deviennent un exemple d’intégration et de développement.

Je sais très bien ce que signifie perdre son foyer et devoir tout recommencer à zéro. Mais je sais aussi que le soutien peut tout changer. Les Roms attendent ce soutien depuis des décennies. Et aujourd’hui, nous avons la chance de briser le cercle vicieux de la pauvreté, de l’isolement et de la discrimination. Créons un lieu où l’on peut non seulement récupérer des papiers ou retrouver la santé, mais aussi reprendre confiance en soi. Construisons ensemble un centre qui deviendra le symbole d’un nouvel avenir pour les Roms de Transcarpatie – et pour toute l’Ukraine.

Merci beaucoup pour votre attention, votre confiance et votre volonté d’agir ensemble.

  1. Tabor signifie «colonie», mais dans le cas des Roms, on peut plutôt parler d’un ghetto où environ 12.000 personnes vivent dans des conditions épouvantables dans la ville de Moukatchevo. Voir Archipel no 344: J. Kräftner: «Les Roms en Transcarpatie».
  2. Rada Kalandija a 42 ans et est rom. Elle a dû fuir le Donbass avec sa famille en 2022.
  3. https://chirikli.com.ua