Dans le précédent numéro d'Archipel, nous vous avons fait part de l'inquiétude de nos amis de l'Ukraine concernant le projet de construction d'un complexe touristique en plein cœur du massif Svydovets. Sur place, de nombreuses personnes se mobilisent pour empêcher ce vaste projet d'aménagement, destructeur pour l'environnement et mené uniquement par des logiques de profit, dans un pays fortement corrompu. De toute l'Europe des soutiens se manifestent et la bataille a commencé. Voici un texte retraçant les moments clés de ces dernières semaines.
Nous, le groupe d'initiative Free Svydovets, avons rencontré un ami hydrogéologue qui nous a bien expliqué que la station de ski de Bukovel, voisine du massif Svydovets, a déjà un sérieux problème d'approvisionnement en eau potable, étant donnée l'importance des besoins pour les touristes actuels. C'est une des raisons de la volonté de l'investisseur de s'étendre sur le massif de Svydovets. De plus, il nous a rappelé que la norme de besoin en eau se situe en Ukraine pour chaque habitant autour de 200 litres par jour. Ce qui signifie que la nouvelle station de ski, qui devrait accueillir 28.000 touristes, sans compter les employés, devra couvrir des besoins quotidiens en eau de l'ordre de 6.000.000 de litres par jour.
De nombreux scientifiques de l'Institut Ecologique des Carpates à Lviv ont commencé à rédiger des publications très bien argumentées sur les réseaux sociaux pour protéger le massif et mobiliser en faveur du groupe d'initiative Free Svydovets.
Un vaste travail de cartographie est en cours, que nous mettrons prochainement sur notre site web en construction.
La répression continue
En particulier, un contrôle fiscal des plus étranges a visé l'un des activistes avec une amende de 10.000 €. Nous lui avons trouvé un bon avocat fiscaliste et il dépose un recours. Une des journalistes écologistes a été convoquée par son rédacteur en chef qui lui a demandé d'arrêter d'écrire des demandes d'informations au nom du journal sous peine du retrait de sa carte de presse.
La meilleure université du pays, l'université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev, dispose d'une station de recherche scientifique en plein milieu du massif, menacée par le projet de construction de futurs hôtels.
Visibilité
Une jeune réalisatrice, dont on ne peut donner le nom pour des raisons de sécurité, a décidé de faire un film documentaire sur la lutte et a déjà réuni une petite équipe de caméramans. Les premières réunions avec eux ont déjà eu lieu et ils ont commencé à filmer les rencontres. Avant le 1er février, elle va déposer un pré-projet auprès du festival international du film documentaire de Kiev1. Nous voudrions utiliser le pré-projet pour également chercher des financements pour le film en Europe. La jeune femme et son équipe sont actuellement au cœur du massif dans des cabanes de bergers avec des scientifiques qui prennent des mesures de la neige.
Des investisseurs ciblés
«L'investisseur» qui n'est pas encore officiel, puisque juridiquement il n'apparaît nulle part, se fait de moins en moins discret. Il s'agit bien d'un des principaux oligarques du pays, Ihor Kolomoïsky, qui possède la station Bukovel, et vit au bord du lac Léman. C'est un de ses bras droits, Oleksandr Shevchenko, actuellement député national du parti Ukrop2 et membre du groupe majoritaire Bloc Petro Porochenko3, qui s'affiche publiquement comme le futur investisseur.
Dans une réunion privée rendue publique le 20 décembre dernier, Oleksandr Shevchenko s'est affiché avec l'adjoint du chef de l'Agence Nationale de la Forêt de l'Ukraine, les chefs de la forêt des régions de Transcarpatie et d'Ivano-Frankivsk, devant la seule carte connue du public expliquant leur plan de construction du Complexe Touristique Svydovets. Actuellement, la plupart des terrains sont des forêts nationales et ils ont besoin de bien se comprendre pour changer l'attribution des terres et leurs privatisations. Dans un communiqué, ils expliquent qu'en plus du complexe touristique et de ses infrastructures ils prévoient 16 forages pour l'alimentation en eau et une station d'épuration pouvant nettoyer 12.000 m3/jour. Pour répondre aux oppositions (il s'agit de nous) ils pensent qu'il faut créer un groupe de travail pouvant trouver des «compromis» pour éviter des «malentendus».
Un procès remporté
Le 10 janvier a eu lieu le procès initié par les activistes de Lopukhovo4. Avant le procès ils étaient assez inquiets qu'il y ait des provocations physiques.
Finalement tout s'est passé dans le calme. Nous étions nombreux et même aucun de nos adversaires ne s'est présenté. Il faut dire qu'il y avait plusieurs télévisons nationales et régionales. Notre équipe de documentalistes et des activistes ont filmé l'intégralité du procès.
Les représentants des deux administrations de district n'ont pas daigné se présenter et ce pour la deuxième fois. Les trois juges ont compris que les villageois, qui soutiennent majoritairement le projet d'aménagement, n'ont pas eu accès au document officiel lors des auditions publiques appelé Plan Détaillé du Territoire (PDT) du complexe touristique de récréation Svydovets. La carte schématique fournie pendant ces auditions ne peut faire office de PDT. Les administrations n'ont pas pu présenter la moindre explication et les juges ont donc décidé de casser les décrets des sous-préfets du district de Tyatchiv et de Rakhiv.
C'est une décision de justice rare et en notre faveur dans un pays où la justice est corrompue. La pression des activistes, des médias, la présence de nombreux sympathisants dans la salle du tribunal ont permis une décision objective et juste. Suite à cette décision l'administration peut encore faire appel dans les 30 jours.
Une conséquence positive de ce premier round est un renforcement de la position très minoritaire des premiers activistes de Lopukhovo dans leur village.
Tous les membres du groupe d'initiative Free Svydovets et beaucoup de nos soutiens comprennent que la lutte n'est pas finie. Cette décision de justice n'empêche pas l'investisseur de refaire une demande, cette fois-ci, avec un PDT dans les normes de la loi. Mais alors il doit réorganiser de nouvelles auditions publiques.
Nous restons donc très mobilisés:
- pour créer une grande réserve ou plusieurs qui protégeraient les lacs-glaciers et les sources de la Tissa;
- contre les coupes illégales dans la forêt;
- pour rassembler des personnes et ONG contre l'urbanisation des Carpates.
Tout de suite après le procès, nous avons eu un renfort de choix: le WWF Ukraine a décidé de rejoindre le groupe d'initiative. Ainsi que le Club de Tourisme Pédestre qui va nous aider dans la traduction en hongrois et en tchèque de nos différentes publications. De nouvelles réunions sont prévues prochainement et une conférence de presse à Kiev début février.
Free Svydovets
12 janvier 2018
- Lopukhovo est un des 3 villages de la zone où la lutte a commencé, menée par trois villageois entrepreneurs. Ils ont intenté un procès contre la légitimité du décret des sous-préfets permettant le changement d'attribution des terrains pour vice de forme.