Le 27 septembre 2023 à Paris a eu lieu la soirée «Pınar Selek persiste et signe». Voici le discours lu par Marianne Ebel au nom des collectifs de solidarité. La répression enclenchée en 1998 par la justice turque contre Pınar Selek – à l’époque jeune écrivaine, activiste et sociologue – avait pour but d’entraver ses recherches et ses actions pour la justice, et d’étouffer l’écho de sa voix. En réalité elle a eu l’effet inverse: elle a contribué à faire passer la voix de cette opposante de l’échelle nationale à l’échelle transnationale. Elle a décuplé les soutiens qui se sont engagés à ses côtés. Face à ce constat, le pouvoir en place a pour le moment décidé de s’entêter dans son erreur, s’enfonçant à chaque fois un peu plus dans l’ornière dans laquelle il s’est engagé.
Le premier épisode de cette défaite politique remonte à l’emprisonnement de Pınar Selek de 1998 à 2000. L’annonce de son accusation de terrorisme, inventée de toutes pièces, eut un retentissement médiatique énorme en Turquie. Bientôt, de nombreux médias prenaient partie en faveur de cette jeune femme engagée et victime d’un grossier montage juridique destiné à la faire taire.
La jeune activiste et chercheuse universitaire est sortie de prison avec une notoriété qui s’était accrue, et a pu engager des actions fortes en faveur de la paix, ou encore au sein des mouvements féministe et antimilitariste.
L’appel systématiquement interjeté par l’État, suite à chacun de ses acquittements, n’a eu de cesse de la remettre sur le devant de la scène médiatique et a peut-être contribué sans le vouloir au retentissement important de ses actions et de ses recherches.
En 2009, Pınar Selek a dû s’exiler de Turquie, s’arracher à ses engagements et à ses proches. Ce départ forcé du jour au lendemain, forcément douloureux, lui a permis de rencontrer de nombreux réseaux internationaux qui se sont ralliés à ses combats, s’engageant à défendre ses droits. Du Pen Club International à la Marche Mondiale des Femmes, de la Ligue des droits de l’Homme à des associations françaises et européennes de recherche universitaire, la liste serait interminable.
Depuis bientôt 15 ans que Pınar Selek vit en exil, les innombrables rencontres qu’elle a faites, les amitiés, les complicités politiques, littéraires qu’elle a nouées, les recherches qu’elle a effec-tuées, les initiatives militantes dans lesquelles elle s’est engagée, ont tissé un réseau très dense dans de nombreux pays, de l’Allemagne à la France, de la Suisse à l’Italie ou à la Tunisie.
Cet exil imposé a, de fait, considérablement élargi le cercle des lectrices et des lecteurs de ses romans, essais ou contes; il a élargi le cercle des personnes qui aujourd’hui sont informées de l’évolution du mouvement féministe, LGBT+ ou antimilitariste en Turquie. Ses œuvres continuent à être publiées, rééditées et traduites dans de nombreuses langues.
Le pouvoir politique turc voulait éviter la contagion de ses idées subversives: il n’a réussi qu’à en étendre considérablement la portée, au-delà de ses frontières. C’est ainsi que fonctionne le feu, et même un État autoritaire n’y peut rien. Chaque fois que l’État turc fait appel d’un acquittement de Pınar Selek, c’est comme si, au lieu d’éteindre le feu, il souf-flait sur des braises, les répandant au loin.
À deux jours de la nouvelle audience du procès contre Pınar Selek qui aura lieu le 29 septembre à Istanbul, en présence d’une forte délégation internationale, nous, ses nombreux comités de solida-rité, venons témoigner ici de la vague de solidarité qui entoure et porte Pınar Selek. Des événements de soutien se sont multipliés partout en France, en Suisse et ailleurs. De nombreuses tribunes, dont une signée récemment par des personnalités du monde littéraire, ont été publiées. 26 membres du Conseil de l’Europe ont adopté une déclaration écrite contre l’acharnement judiciaire qu’elle subit. Une pétition largement signée a été envoyée aux autorités turques via l’ambassade de Turquie en Suisse, etc.
Ce procès sans fin est insupportable et doit enfin cesser. Pınar Selek doit être définitivement acquittée. Cet acharnement politico-juridique qui la freine dans son travail universitaire de cher-cheuse et dans ses actions féministes et antimilitaristes, est aussi une souffrance. C’est intolérable. Face à l’injustice, nous ne céderons pas.
Chère Pınar, tu nous surprendras toujours. En publiant Le Chaudron militaire turc1 en réponse au harcèlement juridico-politique qui cherche à te faire taire, tu fais preuve d’un courage et d’une audace hors du commun. La liberté de pensée, de recherche et d’expression que tu pratiques au quotidien font de toi plus qu’une sociologue, un symbole de la résistance face à la montée du totalitarisme, en Turquie et ailleurs.
Ta force et ta détermination sont contagieuses. Merci à toi! et promis, nous ne lâcherons pas. La solidarité internationale est plus forte que leurs coups bas et leurs coups de force.
Marianne Ebel Au nom des collectifs de solidarité*
- <Pınarselek.fr>
Vous pouvez retrouver la série d’émissions consacrées à Pınar en tapant «Pınar» ou «Pinar»- dans le moteur de recherche du site de Radio Zinzine <radiozinzine.org>.
- Le chaudron militaire turc. Un exemple de production de la violence masculine, aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, octobre 2023.
Le grotesque judiciaire se poursuit
Aujourd’hui, 29 septembre 2023, le palais de justice turc d’Istanbul n’a de nouveau pas prononcé de jugement définitif à l’encontre de Pınar Selek. Le procès a été reporté au 28 juin 2024. Certaines conditions manquent pour qu’un jugement définitif soit prononcé.
- Le dossier d’accusation est dépourvu de toute preuve de sa culpabilité.
- La présence de Pınar à l’audience est exigée par le ministère public.
Pour la contraindre de se rendre en Turquie, un mandat d’arrêt international via Interpol doit être émis à son encontre, ce qui n’a pas pu être fait jusqu’à présent car cela nécessite certaines vérifications. En 2014, cette demande avait déjà été rejetée par Interpol.
Le procureur vise en outre à obtenir son extradition vers la Turquie, ce que la France a peu de chances de faire puisque Pınar est citoyenne française.
La présence aujourd’hui de nombreux avocat·es turc/ques, français·es et suisses, de scientifiques, d’écrivain·es, de syndicalistes, de professeur·es d’université et de représentant·es de diverses organisations de défense des droits humains était très imposante, face à un déploiement policier démesuré.
Constanze Warta et Michael Roessler, FCE