Hier, 25 décembre, l’État turc a mené une attaque majeure sur le nord-est de la Syrie avec des frappes aériennes qui se sont poursuivies jusque tard dans la nuit. Au moins 8 personnes sont mortes dans les attaques et 15 ont été blessées. Les principales cibles étaient des infrastructures civiles. À Kobané, une clinique ambulatoire spécialisée dans le diabète et soutenue par une association allemande a été touchée et détruite. Heureusement, la clinique était fermée en raison des vacances de Noël et aucune victime n’a été signalée.
À Qamishlo, un centre de dialyse rénale et un entrepôt d’oxygène pour les fournitures médicales ont été pris pour cible. En outre, plusieurs autres infrastructures civiles ont été touchées et détruites. Le ciblage de la principale presse à imprimer des livres pour étudiant·es, dans le nord-est de la Syrie (Simav), a entraîné la mort immédiate de six de ses employé·es. Cette presse distribue des livres à plus de 800.000 étudiant·es dans plus de 4400 écoles de la région. Deux usines de production de ciment, un grenier à blé, une usine d’huile d’olive, un moulin à farine et à tahini, une usine de plastique, un atelier de réparation automobile et même une salle de mariage (heureusement, aucun mariage n’avait lieu à ce moment-là) ont également été ciblé·es.
Malgré la récente stabilisation relative de la crise syrienne en termes de lignes de front et de déplacements internes significatifs, la situation est totalement différente dans le nord de la Syrie. Ses habitant·es sont confronté·es à des conditions de vie difficiles en raison des bombardements incessants de la Turquie et de ses drones contre les civil·es et les infrastructures essentielles: centrales électriques, stations pétrolières, boulangeries, cimenteries, établissements de santé et établissements d’enseignement pour les enfants. Les attaques et les dégâts se poursuivent depuis de nombreuses années et se sont considérablement intensifiés contre les infrastructures civiles depuis octobre 2022. La réparation et la réhabilitation de ces dommages nécessiteront des années d’efforts et de fonds considérables.
Le nord-est de la Syrie souffrait déjà d’une grave crise alimentaire, en plus du manque de re-sources énergétiques telles que le gaz et le carburant. Les récentes attaques contre les infrastructures y aggraveront la tragédie humanitaire.
La peur permanente de nouvelles attaques de drones affecte profondément la santé mentale de la population, en particulier des enfants. Les attaques permanentes de drones au cours des derniers mois, la réduction de l’accès à l’eau comme acte de guerre contre la population, la crise du choléra en cours, l’augmentation constante des activités d’ISIS et les milliers de personnes déplacées sont des indicateurs clairs qui montrent que nous traversons toujours une situation d’urgence et que la région n’est pas du tout stable. Depuis des années, le financement de l’aide humanitaire ne cesse de diminuer et les besoins humanitaires doivent être satisfaits avec nos propres ressources limitées.
L’AANES (Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie) accueille actuellement des dizaines de milliers de personnes dans les camps et implantations informelles du nord et de l’est de la Syrie. Ces camps accueillent des personnes déplacées et des réfugié·es de la guerre contre l’État islamique, des personnes qui ont fui les invasions turques en 2018 et 2019, des personnes qui ont fui la guerre à Idlib ou dans d’autres régions du sud de la Syrie et, récemment, des personnes qui ont perdu leur maison lors du tremblement de terre.
Le taux de déplacement et la couverture des camps dans le nord de la Syrie ont atteint leurs capacités maximales, et il y a une pénurie importante de services de base tels que les soins de santé, la nourriture, l’éducation et le soutien psychologique. La situation dans le camp d’Al Hol est particulièrement préoccupante. Le camp accueille encore près de 60.000 personnes, dont la plupart sont des familles de membres de l’État islamique et beaucoup d’entre elles sont originaires de pays européens. Le camp sert déjà de plaque tournante pour la radicalisation de ses résident·es. Les familles d’ISIS élèvent leurs enfants pour qu’ils deviennent de nouveaux soldats de l’État islamique. Même avant, la capacité de réponse à cette situation inquiétante n’était pas suffisante et le manque d’aide humanitaire ainsi que les mauvaises conditions de vie augmentaient la radicalisation de la population du camp.
L’agression turque actuelle augmentera les tensions à l’intérieur du camp et facilitera les efforts d’influence et de radicalisation des cellules de l’État islamique.
Les prisons et les centres de détention du nord-est de la Syrie accueillent des milliers de membres de l’État islamique, y compris des membres internationaux de l’EI. Les conditions structurelles et infrastructurelles sont très mauvaises, les mesures d’hygiène sont désastreuses et, par conséquent, de nombreuses maladies se propagent dans les prisons et les centres de détention. Il y a un manque d’espace important. Les habitant·es sont toujours dangereux et il n’y a aucune capacité pour un quelconque processus de réhabilitation. Même dans les prisons, l’EI poursuit ses activités et se renforce.
L’instabilité de l’ensemble de la région résultant de la guerre civile qui a duré 12 ans, du changement climatique, des attaques turques constantes depuis des années et surtout de l’attaque majeure en cours, crée les conditions parfaites pour que l’EI se renforce à nouveau. La radicalisation augmentera, les déplacements de population augmenteront, le besoin d’aide humanitaire augmentera, le nombre de réfugié·es à la recherche d’une vie à l’abri du danger augmentera.
Selon les statistiques de la Croix-Rouge, plus de 90 % des Syrien·nes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Selon l’ONU, 16,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire en Syrie, dont environ 6 millions vivent dans les régions du nord et de l’est de la Syrie. Néanmoins, la Turquie prend pour cible les minoteries et les fours de la région, privant ainsi des milliers de familles de pain.
En tant qu’organisation humanitaire locale et travailleurs locaux opérant dans la région depuis 2012, nous pouvons comprendre et compatir à la souffrance des civil·es. Beaucoup de celles et ceux qui ont émigré de Syrie, en particulier du nord de la Syrie, l’ont fait avant tout pour assurer un avenir sûr et meilleur à leurs enfants, avec la possibilité d’apprendre, comme n’importe quel autre enfant dans ce monde.
La Turquie cherche à faire fuir les gens de la région pour changer la démographie dans le nord-est de la Syrie, à l’instar de ses efforts dans d’autres régions kurdes telles qu’Afrin depuis son occupation en février 2018. Et malgré les récentes réglementations et restrictions sur les routes migratoires vers l’Europe par l’Union européenne, les attaques turques contre les civil·es et les infrastructures poussent les parents à fuir et à risquer leur vie pour sauver leurs enfants de l’agression turque, même s’ils connaissent les risques des routes migratoires ou des traversées maritimes.
Le seul moyen d’alléger ne serait-ce qu’une partie des souffrances des civil·es est d’exercer une pression internationale claire pour empêcher la Turquie de prendre pour cible les civil·es, les établissements de santé et d’autres infrastructures essentielles aux conditions de vie de la population dans le nord et l’est de la Syrie.
Croissant Rouge Kurde Qamishlo