La radio-télévision suisse de service public va-t-elle bientôt sombrer corps et biens? La question est moins saugrenue qu'il n'y paraît puisque le 4 mars, les citoyens suisses se prononceront sur une initiative intitulée «Oui à la suppression des redevances radio et télévision», dite aussi «No Billag». Or, la redevance représente près de 8% des recettes de la radio-TV de service public alors que la presse écrite se trouve aussi dans une situation difficile.
Chère, mais …
En Suisse, la redevance radio-TV s'élève à 451 francs par an et par ménage. Elle est l'une des plus élevées d'Europe, ce qui tient surtout au fait que la SSR (Société Suisse de Radiodiffusion et télévision) assure un service en trois langues (allemand, français et italien), auquel s'ajoutent des émissions en romanche. Avec sa généralisation dès 2019, la facture devrait baisser à moins de 400 francs, alors que les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500.000 francs par an débourseront entre 400 et 39.000 francs, ce qui est nouveau.
L'essentiel du budget
En 2015, la redevance a rapporté 1,35 milliard de francs. Sur ce total, la part de la SSR est de 1,235 milliard de francs, soit l'essentiel de son budget de quelque 1,6 milliard. Le solde est financé par la publicité et le parrainage. Le reste du produit de la redevance va à 34 radios et télévisions régionales. La quasi-totalité de celles-ci sont privées mais cette mesure vise à diversifier le paysage médiatique, en particulier dans les régions périphériques.
Concurrence faussée
Les auteurs et soutiens de l'initiative sont essentiellement alémaniques. Ils se recrutent dans les rangs de la droite néolibérale emmenée par l'UDC zurichoise, qui rêve de faire tomber la SSR. A cela s'ajoutent des éditeurs privés qui voudraient occuper l'espace qui serait libéré par la chute de la radio-télévision de service public. Ils estiment que chacun doit être libre de choisir le média qu'il veut sans s'acquitter d'un « impôt ». Ils ne comprennent pas que les entreprises devraient payer 200 millions de francs de redevance. Ils sont aussi d'avis que les privilèges accordés par l'Etat à la SSR font d'elle une entreprise quasi monopolistique qui possède de bien meilleures armes que la concurrence.
Risque de «berlusconisation»
En face, on rétorque qu'en cas d'acceptation de l'initiative, la SSR devrait fermer de nombreuses antennes au détriment des régions périphériques et de la diversité linguistique du pays. Elle ne pourrait pas compenser ses pertes au moyen de la publicité. Les radios et TV régionales, comme Fréquence Jura, seraient aussi contraintes de réduire la voilure. On peut également craindre un risque de « berlusconisation » du paysage médiatique et une menace pour la production cinématographique. Un élu Vert va jusqu'à mettre en garde contre une mainmise de Christoph Blocher, voire du … Qatar et de ses moyens quasi illimités. Le paysage audiovisuel suisse serait à la merci des grands groupes internationaux. Déjà malmenée par la remise en question de l'enseignement du français à l'école primaire, la cohésion nationale subirait un nouveau coup dur en cas d'acceptation de No Billag. Car les francophones, les italophones et les romanches profitent de la redevance de manière plus importante que leur poids démographique.
Concentrations dans la presse
Le climat est d'autant plus tendu que ce débat intervient à un moment où la presse écrite se heurte à de grosses difficultés:
- Principal magazine romand, L'Hebdo a mis la clé sous la porte au printemps 2017.
- Patron de l'UDC, Christoph Blocher s'est emparé de 25 journaux locaux, après avoir raflé la Basler Zeitung, l'un des principaux quotidiens alémaniques.
- Le groupe Tamedia a annoncé le regroupement de la Tribune de Genève, de 24 Heures et du Matin Dimanche, trois des plus importants journaux romands, qui partagent leurs rubriques suprarégionales dès cette année. Quant à l'existence du Matin – qui a regroupé sa rédaction avec celle de 20 minutes – elle reste précaire. Il en va de même pour Le Temps.
- L'Agence télégraphique suisse (ATS) va supprimer jusqu'à 40 emplois.
Aujourd'hui, trois grands groupes – Tamedia, Ringier et Blocher – se partagent le marché suisse, auxquels il faut ajouter Hersant Suisse s'agissant de plusieurs quotidiens régionaux romands. Le poids de la concentration est tel qu'aujourd'hui, seuls trois journaux romands – Le Courrier, La Liberté et Le Quotidien jurassien – peuvent être considérés comme économiquement indépendants. Politiques et acteurs du secteur rivalisent d'imagination pour trouver des solutions, comme un soutien direct à la presse, une aide à la formation, un accès plus facile à l'innovation, voire la nationalisation des imprimeries.
4.000 emplois menacés
Toutes ces pistes doivent être étudiées, mais à court terme, il s'agit de sauver les programmes de la SSR et ceux de 34 radios et TV régionales, mais aussi la diversité culturelle et le débat démocratique. Enfin, n'oublions pas que pour la seule Suisse romande, l'acceptation de « No Billag » entraînerait la suppression de 2.000 emplois dans l'audiovisuel et autant d'emplois indirects.
Jean-Claude Rennwald
Politologue, militant socialiste et syndical, ancien Conseiller
national, Courrendlin JU.