Référendum contre la nouvelle loi sur l’asile (LAsi) et la loi sur les étrangers (LEtr): quelques réflexions après le scrutin du 24 septembre 2006.
Cette fois encore, la lueur au bout du tunnel n’indiquait pas la sortie, mais un train arrivant en sens inverse. Après les résultats du 24 septembre je dois me rendre à l’évidence et regarder les choses en face. Les électeurs suisses ont approuvé avec 67,7% des voix une nouvelle loi sur l’asile, encore plus dure, et avec 68% une loi sur les étrangers encore plus répressive. Les cantons francophones sauvent l’honneur: Genève (48,7% de non), Jura (47,2%), Neuchâtel (47,1%) et Vaud (42,8%). Il est réjouissant de constater un grand nombre de non dans de nombreuses villes à forte communauté immigrée. Mais ce sont les résultats de la plupart des régions de Suisse alémanique et des zones rurales qui m’ont atterré, avec en tête le canton de Schwyz et ses 80,1% de oui.
D’abord sceptique, craignant qu’une approbation ne ferait que justifier une politique d’immigration répressive, je me suis engagé d’autant plus après le dépôt des signatures. Et, optimiste incorrigible, j’espérais un refus plus prononcé, peut-être même la surprise d’une victoire. La mobilisation était presque exemplaire: les églises, les syndicats, les œuvres d’entraide, toutes les organisations de réfugiés et d’immigrés, des artistes connus, un comité bourgeois, les gouvernements des plus grandes villes, une grande manif contre la xénophobie et des années d’un travail de base de sensibilisation.
Pourtant, je savais par expérience qu’un durcissement des lois sur l’asile et sur les étrangers est généralement plébiscité par les deux tiers de la population suisse, à condition que les propositions soient issues du gouvernement et du parlement. Par contre, les référendums de même contenu, issus d’initiatives de l’extrême-droite, ont jusqu’à présent toujours été refusés – à une seule exception près – tout en étant des sources d’inspiration notoires pour l’appareil de répression d’Etat. Depuis le 24 septembre, je vis dans un pays qui possède les lois d’asile les plus dures d’Europe, et qui est cité comme modèle par les organisations racistes dans d’autres pays…
Ce référendum a au moins le mérite de m’obliger à faire face, dans mon «tunnel», à ce train qui me fonce dessus. La locomotive était sans aucun doute la machine de propagande de l’UDC (Union Démocratique du Centre), un mélange entre parti de gouvernement clientéliste et mouvement d’opposition xénophobe et raciste, toujours à la limite de la décence politique avec ses thèmes provocateurs (Überfremdung 1, les mensonges sur l’holocauste, le conflit des cultures…), répercutés comme une propagande gratuite par des médias soucieux de leur tirage.
L’UDC dispose de très grands moyens financiers; ce parti navigue dans le brouillard d’institutions financières opaques qui gèrent des milliards en Suisse. Son discours politique est plutôt néolibéral, pour plus de liberté et moins d’Etat, mais sa propagande xénophobe lui apporte les voix des perdants de cette politique. Avec 27% des voix, il est devenu le plus grand parti suisse. Pendant des années, les autres partis de droite ont toléré ses campagnes de haine contre les étrangers et les plus faibles de la société, tout en admirant l’habileté de sa politique de marketing. Ces mêmes partis bourgeois ont finalement propulsé au Conseil Fédéral d’une manière presque putschiste son représentant le plus connu, Christoph Blocher, aujourd’hui désireux d’y laisser son empreinte pour la postérité.
La locomotive m’aurait presque caché les wagons. Loin derrière, ils sont nombreux, mais on les voit moins à cause des phares. Les Suisses-Allemands en constituent la grande majorité, mais aussi beaucoup de Romands, et de gens en provenance de zones rurales d’où les immigrés sont quasiment absents. Dans ce train règne la peur, la peur de l’autre, de l’étranger. Mais au-delà de cette peur de l’Überfremdung , cette expression terrible remontant à la période nazie et toujours usitée en Suisse, n’y a-t-il pas encore autre chose?
Au cours des innombrables discussions que j’ai eues avec des gens plutôt favorables au durcissement (j’espère qu’elles n’auront pas été vaines), j’ai toujours été confronté à la peur de faire partie des perdants, même si on s’adapte, et d’être complètement dépassé par une mondialisation galopante. «Moi je suis dans le besoin, à eux on donne tout» . La peur d’être abandonné par la Mère Helvétie est partout présente. Détourner le mécontentement sur les plus faibles, les boucs émissaires, c’est une bonne vieille méthode qui a fait ses preuves. Elle est surtout efficace dans des régions et à des époques caractérisées par une culture politique sous-développée.
Je devrais accorder plus d’attention aux peurs de ces gens. Pas la petite peur du nouveau voisin avec plein d’enfants, ou d’un noir inconnu croisé sur le trottoir. Cette peur de l’Überfremdung n’est qu’une lâche excuse. Je devrais prendre davantage au sérieux les peurs qui sont ancrées plus profondément, pénétrer leurs origines pour contribuer à empêcher qu’elles ne soient instrumentalisées par un parti sans scrupules. Nous devrions montrer que les «oubliés du système» et les immigrés sont pris dans les mêmes mécanismes que tout le monde, ceux que nous impose un ordre économique mondial dévoreur d’êtres humains et de Nature, dont profitent toujours les mêmes.
S’il nous pousse à faire davantage d’efforts pour trouver des explications et des solutions politiques, alors** ce référendum aura servi à quelque chose. Peut-être pourra-t-on enfin parler d’une avancée de la culture politique, et que la prochaine lueur dans le tunnel ne sera plus un train arrivant en sens inverse.
Hannes Reiser
CEDRI
- Etre submergé par les étrangers