Pas d'argent, pas d'asile? Il y avait déjà deux importants projets de loi en chantier pour durcir le droit d'asile, la révision totale de la législation sur les étrangers dont certains aspects touchent de près à l'asile, et la 6ème révision de la loi, pour ne compter que les révisions majeures, de la législation sur l'asile. Voilà maintenant qu'un troisième projet se prépare en procédure accélérée, sous prétexte de rééquilibrer le budget de la Confédération.
Le déficit des finances fédérales a en effet conduit le Conseil fédéral à exiger une réduction de 70 millions dans le domaine de l'asile, et ces mesures d'économies pourraient faire l'objet d'un arrêté urgent lors de la session d'automne des Chambres fédérales. Une forme de loi dont l'entrée en vigueur immédiate ne peut pas être bloquée par un référendum populaire.
Profitant de l'appel aux économies, l'Office des Réfugiés (ODR) n'a pas hésité à ressortir sa vieille idée d'une coupure de l'assistance pour les déboutés de l'asile, en visant cette fois-ci spécialement ceux qui viennent d'arriver et qui font l'objet d'une décision de non entrée en matière dans les centres d'enregistrement. Techniquement, ceux qui ne pourraient être expulsés immédiatement pourraient à l'avenir être lâchés dans la nature sans même être attribués à un canton pour leur assistance. Bien sûr, notre Constitution fédérale prévoit un droit constitutionnel à un minimum d'assistance, et celui-ci pourrait théoriquement être revendiqué par les intéressés. Mais l'ODR sait bien que ceux-ci auront toutes les peines du monde à accomplir les démarches nécessaires, d'autant qu'ils n'auront même plus un canton précis comme interlocuteur et qu'ils seront susceptibles d'être arrêtés à tout moment.
Pratiquement, ce changement risque évidemment de développer de nombreux effets pervers sur le terrain: accroissement du nombre des "Sans-papiers", développement d'une délinquance de survie, problèmes de santé publique. On a même vu certaines villes et cantons, qui craignent d'avoir à subir les contrecoups de cette politique de marginalisation à outrance, joindre leurs critiques à celles des organisations solidaires des réfugiés. Mais la Confédération a habilement manœuvré en promettant de mettre sur pied un monitoring permettant aux cantons de se voir rembourser leurs frais.
Si l'on voulait vraiment économiser 70 millions, il serait très facile de le faire en favorisant l'accès au travail des requérants d'asile aujourd'hui voués à l'assistance, comme le recommande le manifeste lancé en février par la Ville de Zurich. Mais tout indique que les autorités fédérales ne sont pas vraiment intéressées par les économies. Il ne s'agit aujourd'hui que d'un prétexte pour poursuivre le démantèlement du droit d'asile, et le pourrissement qui résultera de la mise à la rue de milliers de déboutés servira naturellement à justifier de nouveaux durcissements.
L'examen de ce projet, qui reprend certaines des propositions de la droite nationaliste (UDC) qui avaient pourtant été rejetées en votation en décembre dernier, montre d'ailleurs que les autorités fédérales cherchent à faire passer dans cet arrêté urgent certaines des pires propositions des projets de révision ordinaire des lois sur l'asile et sur les étrangers. Voté en procédure accélérée, l'arrêté urgent offre en effet l'avantage de ne pas permettre un débat parlementaire approfondi.
Entrent ainsi dans cet arrêté "financier", la réduction de 30 à 5 jours du délai de recours en cas de décision de non entrée en matière et l'élargissement de la détention en vue du refoulement à tous ceux qui font l'objet d'une telle décision, indépendamment de leur comportement. Au prix de la journée de prison, on se demande où sont les économies.
Yves Brutsch, "Vivre Ensemble"* (Genève)
* Bulletin d'information de la coordination Asile de Suisse romande