Le texte qui suit est extrait de la deuxième partie de l’intervention du Professeur Othmar Tönz lors de l’assemblée annuelle de la Société Suisse de Gynécologie et d’Obstétrique à Interlaken, le 24 juin 2004. Si ce n’est pas son but premier, il est intéressant de noter, chiffres à l’appui, que sans l’immigration, la population suisse – puis européenne – est en voie de disparition.
Abordons maintenant la problématique des migrations. Au cours des dernières années nous avons pu observer un solde migratoire positif de 40.000 à 50.000 personnes par an. En effet, la Suisse compte le taux le plus élevé d’étrangers – après le Luxembourg et le Liechtenstein – plus du double de l’Allemagne ou de l’Autriche. Si nous ne voulons pas rétrécir et devenir un pays de vieillards, nous allons de plus en plus dépendre de cette transfusion exogène. Cela implique que, sans naturalisations, les étrangers seraient majoritaires à la fin de ce siècle, à moins que nous produisions nous-mêmes plus d’enfants. Déjà au cours des derniers siècles, de nombreux immigré-e-s ont peuplé notre pays et l’ont enrichi tant du point de vue humain que matériel. Ils ont également élargi le spectre médical de notre travail quotidien en le rendant plus coloré. Une fluctuation très souhaitable pour le «rafraîchissement du sang» comme on dit. Mais aujourd’hui nous nous trouvons devant d’autres dimensions quantitatives et qualitatives. Les immigré-e-s d’autrefois venaient surtout des pays voisins avec des situations culturelles, linguistiques et religieuses semblables aux nôtres. Comme aujourd’hui dans ces pays nous observons également un déficit de la natalité, les immigré-e-s viendront de plus en plus de cercles culturels extraeuropéens, surtout de pays connaissant une forte pression démographique, principalement d’Afrique, ce qui ne facilitera pas forcément leur intégration. Il serait naïf d’envisager un processus de cohabitation sans scepticisme. Mais la cohabitation fonctionne, la preuve en sont les nombreux mariages entre Suisses et étrangères et vice versa. Seuls 51% de tous les mariages en Suisse se concluent entre Suisses, et le nombre des unions avec un étranger est en constante augmentation. Dans dix ans seulement, elles seront probablement plus fréquentes que les mariages entre Suisses. Bien sûr, l’Europe et la Suisse continueront d’exister, même sans les «fils de Tell» et avec une couleur de peau plus foncée. Lors du 300ème anniversaire de la mort de Albrecht von Haller1 en 2077, on citera ses vers: «Dis, la Helvétie, patrie des héros, quelle est la parenté entre ton vieux peuple et celui d’aujourd’hui?»
Pour terminer ce tour d’horizon démographique, un regard sur le monde. Le nombre des naissances régresse sur toute la planète, et malgré cela nous nous inquiétons d’une éventuelle surpopulation. A juste titre, car les capacités de la terre mère sont exploitées à l’extrême, ses réserves naturelles sont brutalement pillées, principalement par les pays industriels. Si nous partons de la supposition réaliste que globalement, même au tiers monde, la fertilité dans les cinquante prochaines années va repasser nettement en deçà du seuil de renouvellement des populations, alors nous serons en 2080 9 milliards déjà, mais à partir de là, le genre humain va continuellement décliner. Avec une moyenne de 1,5 enfant, en l’an 2400, c’est-à-dire dans 14 générations, nous serons près de l’extinction de l’espèce. Si l’on table de façon plus réaliste sur 1,75 enfant nous serons, comme en 1800, un milliard. Il faut espérer que l’instinct de survie collectif sortira l’humanité de son hibernation. (…)
Professeur Othmar Tönz2
- Grand lettré né en 1708 à Berne en Suisse, extrêmement cultivé, passionné de médecine, de chirurgie,
d’anatomie et de botanique. Considéré comme le fondateur de la neurologie moderne, son oeuvre s’étend à
toutes sortes de domaines: il est également considéré comme un maître de la poésie lyrique et didactique
- Ancien Médecin chef de l'hôpital pour enfants de Lucerne (Suisse)