Pétitions, résolutions, manifestations populaires, refuges dans des églises pour défendre des réfugié-e-s menacé-e-s d’expulsion: le canton de Vaud est en ébullition! Au printemps 2004, un accord a été passé entre le Conseil d’Etat vaudois et le Département fédéral de justice et police, afin de statuer sur le cas de 1280 personnes séjournant depuis des années dans le canton.
C’est ainsi 680 personnes qui sont menacées d’expulsion pour la fin de l’été 2004. Notons que la légalité de toute cette procédure est douteuse. Ces personnes n’ont même pas pu connaître les raisons du verdict fédéral et aucun recours ne leur a été offert: c’est l’arbitraire et le fait du Prince dans toute sa splendeur.
Parmi ces 680 personnes, environ la moitié sont des enfants, nés en Suisse ou y vivant depuis 4, 7 ou 10 ans: autant d’enfants qui ont accompli toute leur scolarité, qui ont rattrapé le handicap d’une langue nouvelle ou entrepris une formation professionnelle... On trouve aussi des pères de famille, qui, grâce à leur travail en Suisse, peuvent soutenir leur famille au pays.
Il y a encore des rescapé-e-s du massacre de Srebrenica en juillet 1995, pensant avoir trouvé en Suisse un accueil, que l’on renvoie vers des mines et des champs de ruines. Quant aux femmes kosovares isolées, un retour en Kosovo, seules ou avec leurs enfants, les condamne à une vie d’exclusion. Beaucoup d’entre elles n’auront comme seul moyen de subsistance que celui de rejoindre les nombreux réseaux de prostitution forcée. Les mères risquent de se faire retirer la garde de leurs enfants, car dans certaines régions, les traditions ont pris le dessus sur le droit. D’autres personnes appartiennent à des minorités ethniques du Kosovo (Goran, Ashkali, etc.) pour qui d’autres pays accordent l’asile, reconnaissant les risques de rétorsion en cas de retour. Enfin, une centaine de personnes risquent leur vie en raison de la dictature qu’elles ont justement fuie et qui est toujours en place dans leur pays.
Face à tant d’injustice, on a vu monter un large mouvement de protestation. La première réponse du Conseil d’Etat vaudois a été un report du délai imposé aux débouté-e-s pour s’inscrire au programme «d’aide au retour volontaire» , qui est apparu n’être qu’un simple miroir aux alouettes. Mais ensuite, il est resté sourd aux nombreuses manifestations de soutien, provenant des milieux les plus divers: églises, partis politiques, parlement cantonal, syndicats, artistes, universitaires, élus locaux de tous bords politiques, etc. Dès la fin du report, à la mi-septembre 2004, l’infernal compte à rebours a recommencé et les 680 personnes sont de nouveau susceptibles de se voir à tout moment notifier un plan de vol, puis de voir débarquer la police si elles n’ont pas quitté le pays. Deuxième signe de recul du canton: sur proposition d’Amnesty International, une commission «neutre» devrait être mise sur pied pour vérifier que les dossiers soient bien complets. Mais pas question d’un moratoire sur les expulsions pour la durée de ce processus: en réalité, cette commission semble avant tout destinée à draper l’arbitraire de la caution que pourrait fournir cette ONG. Une chose est sûre: ce réexamen des dossiers confirme la légèreté avec laquelle ils ont été analysés!
Rarement on aura assisté à un tel clivage entre un gouvernement restant sourd à tous les appels et une population, toutes tendances politiques confondues, indignée par le mépris avec lequel l’Etat traite ces hommes, ces femmes et ces enfants, après les avoir accueillis pendant de longues années. Le meilleur exemple est donné par la pétition qui a réuni près de 14.000 signatures, recueillies en moins d’un mois. Un signe supplémentaire du degré d’intégration à la société vaudoise de celles et ceux dont on prétend se débarrasser du jour au lendemain. Raison pour laquelle le mouvement demande aux autorités cantonales et fédérales de revenir sur l’accord passé, exigeant la régularisation du séjour de toutes les personnes concernées.
Après avoir été durant quelques années le laboratoire d’une politique d’asile un peu moins inhumaine que celle voulue par les autorités fédérales, le canton de Vaud devient celui de son démantèlement. Sous les coups de boutoir de l’extrême droite et de son mentor bombardé Conseiller fédéral, Christophe Blocher, on prétend le faire rentrer dans le rang, en taisant toutes les contradictions d’une politique d’asile et d’immigration durcie année après année. Sans parler de ce que nous préparent les nouvelles révisions en cours. Dans cette affaire, les droits humains les plus élémentaires subissent une offensive d’une brutalité sans précédent.
Derrière la menace pesant sur ces 680 personnes, c’est une part de notre humanité et de notre dignité à tous qu’on cherche à expulser. De nouveaux démantèlements qu’on nous mitonne dans une politique d’asile qui ne mérite déjà plus son nom. Sans parler des autres attaques programmées dès que les solidarités auront été brisées avec les plus faibles des plus faibles: chômeurs, bénéficiaires de l’aide sociale ou assurés maladie en difficulté pourront alors passer à la moulinette.
La partie qui se joue actuellement dans le canton de Vaud est donc cruciale pour tou-te-s les citoyen-ne-s de ce pays qui restent attaché-e-s aux droits fondamentaux. Ces voix seront nécessaires: face à un Conseil d’Etat restant sourd, il faut crier encore plus fort.
Christophe Tafelmacher
Yves Sancey*
* membres de la Coordination Asile qui regroupe diverses associations telles que: Les Survivants de la Drina-Srebrenica, En quatre ans on prend racine, Les Femmes Kosovares Isolées, Non Aux Expulsions, Carrefour NEM.