Il y aura inéluctablement un prochain sommet de l’Otan et le mouvement pour la paix mobilisera tout aussi inéluctablement. Mais il en est pour qui le dernier sommet à Strasbourg est encore douloureusement actuel: des personnes se trouvent encore en détention provisoire et, dans un certain Land à quelques milliers de kilomètres de là, la police et le ministère public tentent d’inventer une nouvelle procédure. Pour l’Otan, le Mecklembourg est un Boomland: désindustrialisé et dépeuplé après la chute du mur, le Mecklembourg offre des étendues illimitées pour accueillir bases militaires (vedettes K130, Eurofighter avec centres d’entraînement au niveau national, fusées Patriot), stations satellites, filiales EADS, recherche militaire en expansion et gouvernements prêts à signer des accords adéquats, comme par exemple pour le centre de navigation aérospatiale. La situation sociale qui règne actuellement au Mecklembourg étant assez désespérée – un enfant sur trois vit dans la pauvreté – le stand de l’armée à l’agence pour l’emploi est assiégé. Autant de raisons pour participer à la grande manifestation internationale contre le sommet anniversaire de l’Otan à Strasbourg, le 4 avril dernier. La coordination pour la paix de Rostock avait alors organisé un voyage en car, annoncé publiquement. Cette idée avait suscité un vif intérêt. Les dons avaient afflué, y compris venant de députés fédéraux et du Land. On sait aujour-d’hui que dès le début, l’objectif politique de ce voyage était considéré comme suspect: «Des pronostics de dangers potentiels faits dans la phase de préparation du contre-sommet de l’Otan ont amené la police à observer le départ du car, le soir du 3 avril 2009, à la gare de Rostock.» (extrait d’une résolution du Tribunal de Grande Instance de Rostock du 12 octobre). (...)
Le car est arrivé jusqu’à Kehl, après deux contrôles de police. Seule une partie des manifestants est parvenue à franchir le pont de l’Europe. Au départ, il manquait deux passagers. Nous avons appris, quelques jours plus tard, qu’ils faisaient partie des 300 personnes arrêtées. Ce sont les deux derniers manifestants allemands à être encore incarcérés à la maison d’arrêt de Strasbourg, après que les uns soient passés en comparution immédiate traumatisante et que les autres aient eu droit à des procès aux jugements fort contestables. Ils se trouvent dans une prison surpeuplée et ont été témoins de plusieurs tentatives de suicide. Leur procès est attendu pour la fin de l’année. Jusque-là, ce que l’on pourrait bien avoir à leur reprocher n’est pas du tout clair. Ces dernières semaines, ils ont eu droit à de légères améliorations de leurs conditions carcérales.
Entre-temps, les enquêteurs du Mecklembourg ont développé leur propre stratégie: quelques mois après le voyage, quatre participants ont été convoqués simultanément comme témoins. Leur interrogatoire portait sur les discussions et l’ambiance dans le bus ainsi que sur les méthodes de travail de la coordination pour la paix de Rostock. Ils voulaient plus précisément savoir si des manifestants dans le bus portaient des vêtements avec des traces de brûlures. Les enquêteurs n’ont, par ailleurs, pas voulu tenir compte de la remarque faite au sujet d’un projectile en caoutchouc venant de la police, retrouvé sur le pont. Le fait que les personnes convoquées aient utilisé leur droit, en tant que témoins, de refuser de faire une déposition (pour faire valoir ce droit, il a été fait appel à plusieurs reprises jusqu’à la deuxième Instance qui l’a rejeté) a été prétexte à exiger d’eux jusqu’à 500 euros d’amende ainsi que leur participation aux frais de procédure. Il n’est pas exclu que les enquêteurs transforment les témoins en inculpés. Ces derniers n’ont, à ce jour, pas pu accéder à leur dossier. La recherche de la liste des noms des passagers du car a pris l’allure d’un sketch: lors de l’audition d’une des témoins par le procureur, il fut décidé, après accord par téléphone du juge d’instance, que celle-ci serait conduite à son domicile, qui a été perquisitionné et photographié sans que ni elle-même, ni son avocat n’aient le droit d’y pénétrer. Cette témoin a été menacée de contrainte par corps et son ordinateur a été confisqué par un fonctionnaire de police zélé. Il a été fait opposition à ces agissements, mais la justice n’a pas encore pris l’affaire en main. Il y a une procédure en suspens contre cette témoin pour «entrave à la justice», sans que les inculpés soient nommés, que des faits soient prouvés et donc que soit explicitée la procédure qu'elle aurait pu entraver. On en est au stade de la recherche d'indices pour motiver des inculpations. Lors de l’audition, le procureur a dit lui-même: on cherche à élucider la planification et la préparation «du crime». Cela ne signifie rien d’autre qu’une suspicion généralisée contre les manifestants. Et c’est là le défi qui nous est posé à tous: les désastres de Strasbourg et de Pittsburg où des armes «non létales», comme les grenades assourdissantes LRAD, ont été utilisées contre les manifestants, ont mis en évidence que la critique de l’Otan et de sa politique n’a plus voix au chapitre. La critique du bras armé de la politique économique et de la géostratégie est un crime. Il suffit de présenter quelques «criminels» à un public effrayé. Et si de surcroît on peut effrayer ses ami-e-s, tant mieux. Ça n’est peut-être pas un hasard si le Mecklembourg fait du zèle à ce sujet – les structures du Land dépendent en grande partie des bonnes relations avec l’Otan. Les opposants à l’Otan et à sa politique ont donc maintenant pour tâche de renforcer leurs structures et de discuter de nouvelles stratégies. A Rostock est donc née l’idée d’une manifestation anti-répression au niveau national2. Le temps d’un week-end, la préparation et le bilan de la manifestation offriront l’occasion de discuter à la fois sur le contenu et sur l’organisation et de saisir la chance de réussir là où les politiciens, malgré leurs promesses grandioses dans le contexte de crise capitaliste, échouent: sortir de cette situation, renforcés.
Cet article est paru dans le journal du Forum pour la Paix, No 6, 2009. Traduction Archipel.
Note de la rédaction: au moment de la parution de ce numéro d’Archipel, cet événement a déjà eu lieu. La manifestation a réuni 500 participants motivés qui ont dénoncé haut et fort dans la rue le contrôle étatique multiforme en expansion et les nouvelles formes de répression l’accompagnant. Malgré une présence policière disproportionnée (1.000 robocops très excités, des lances à eau cachées dans les rues adjacentes, etc.) et quelques provocations de néo-nazis en marge du cortège, elle a pu se dérouler sans incidents majeurs, ni arrestations.